La « neuroéducation », une discipline émergente consistant à appliquer les neurosciences à l’éducation, suscite une vague d’intérêt croissante. Diverses techniques d’apprentissage amélioré sont désormais proposées dans ce sens. Cependant, leur application se heurte à des défis principalement liés à leur interférence persistante avec les « neuromythes ». Nous avons exploré, avec l’appui d’experts de renommée internationale, les techniques neuroéducatives dont l’efficacité est neuroscientifiquement fondée.
Sections principales de l’article :
- Les systèmes impliqués dans la mémorisation des informations
- Les techniques de neuroéducation les plus recommandées par les neuroscientifiques
- L’apprentissage multi-sensoriel : la clé pour booster la mémorisation
- Des « neuromythes » persistants entravant la neuroéducation
La neuroéducation est un domaine multidisciplinaire visant à intégrer la compréhension des mécanismes neuronaux sous-tendant l’apprentissage à l’éducation. En d’autres termes, elle se concentre sur la manière dont le cerveau traite les informations et sur la façon dont les enseignants pourraient exploiter ces connaissances pour améliorer leurs stratégies d’enseignement. Elle implique également la compréhension de la manière dont les facteurs socio-environnementaux influencent le fonctionnement du cerveau — un aspect déterminant pour les conditions dans lesquelles l’apprentissage a lieu.
Cependant, bien que la neuroéducation puisse constituer une stratégie prometteuse pour améliorer les performances en matière d’apprentissage, un certain scepticisme subsiste. Certains chercheurs et éducateurs ne parviennent pas à concevoir le fait que la neuroscience puisse être appliquée à l’éducation. En effet, ils demeurent méfiants envers ce qu’ils considèrent comme un battage médiatique autour de la neuroéducation.
Cela proviendrait principalement du fait que les sources fiables et pertinentes sur le sujet sont soit rares, soit inaccessibles à la majorité des enseignants ou des éducateurs. Ce manque d’information, ainsi qu’un certain degré d’incompréhension, ont contribué à la propagation des « neuromythes » (des croyances ou des conceptions erronées concernant le fonctionnement du cerveau), ou à la non-différenciation de ces derniers des phénomènes prouvés par les neurosciences.
« L’un des principaux défis [de l’application de la neuroéducation] consiste à surmonter la résistance des enseignants formés en psychologie traditionnelle, qui peuvent considérer les neurosciences comme étant sans intérêt, ou comme une extension des neuromythes », a expliqué dans un courriel à Trust My Science Barbara Oakley, professeure émérite d’ingénierie à l’Université d’Oakland (en Californie) et experte en stratégies d’apprentissage. Or, « les neurosciences offrent bien plus que la démystification des mythes ; elles fournissent des techniques pratiques et fondées sur des preuves qui peuvent considérablement améliorer les résultats d’apprentissage », affirme-t-elle.
Deux principaux systèmes impliqués dans la mémorisation des informations
Pour stocker de nouvelles informations dans la mémoire à long terme, le cerveau s’appuie principalement sur deux voies majeures : le système déclaratif et le système procédural. Le premier dépend fortement de l’hippocampe et nous aide à nous souvenir de faits et d’événements de manière consciente.
En revanche, le second implique les noyaux gris centraux et est responsable de l’apprentissage de nouvelles compétences et d’habitudes acquises par le biais de répétitions. Cela inclut par exemple le fait de savoir taper sur un clavier (dactylographie) ou nouer ses lacets de chaussures, ainsi que des processus plus complexes comme la résolution d’un Rubik’s Cube ou l’utilisation d’un instrument de musique.
« Les deux systèmes jouent des rôles clés, mais distincts, dans la façon dont nous acquérons et conservons les connaissances », indique Oakley en réponse à nos questions. Se concentrer sur une seule voie d’apprentissage pourrait entraver la capacité à apprendre par le biais de l’autre voie. L’enseignement entre les pairs (où les élèves s’enseignent mutuellement) est par exemple un excellent moyen de mémoriser des informations déclaratives. Cette mémorisation peut ensuite être renforcée de manière procédurale par le biais d’exercices à effectuer soi-même chez soi.
Le système procédural est incroyablement puissant au cours de la petite enfance et de l’enfance, ce qui explique pourquoi les enfants peuvent apprendre des langues complexes très facilement. Cependant, cette force diminue avec l’âge et le système déclaratif prend le relais, expliquant pourquoi les adultes ont plus de mal à apprendre de nouvelles langues. Il serait ainsi avantageux de mieux exploiter ces deux systèmes d’apprentissage pendant les périodes critiques de la vie, notamment au cours des premiers mois de l’enfance et pendant l’adolescence.
Toutefois, bien que la force du système procédural diminue avec l’âge, cela ne signifie nullement que les adultes et les personnes âgées ont une capacité d’apprentissage réduite. « Si l’apprentissage procédural devient plus difficile, les personnes âgées ont souvent l’avantage d’un apprentissage déclaratif amélioré : leur capacité à assimiler des connaissances factuelles peut s’améliorer avec l’expérience », précise l’experte. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certaines activités, telles que les jeux vidéo d’action, peuvent améliorer la mémoire de travail, l’attention et le traitement visuel chez les adultes et les personnes âgées, offrant ainsi un coup de pouce significatif pour l’apprentissage.
Les techniques de neuroéducation les plus recommandées par les neuroscientifiques
Parmi les techniques d’apprentissage les plus recommandées par les neuroscientifiques figurent la pratique de la récupération et de la répétition espacée — un moyen d’exploiter efficacement à la fois l’apprentissage déclaratif et procédural. « Ces méthodes fonctionnent en renforçant les connexions neuronales chaque fois que nous nous souvenons d’informations, ce qui rend la mémoire plus durable », explique Oakley.
Les événements qui ne sont pas émotionnellement intenses sont mieux mémorisés s’ils sont répétés. Il est également essentiel de répéter les informations apprises avant qu’elles ne soient oubliées (récupération). Une fois celles-ci oubliées, l’apprentissage doit être effectué depuis le début. « Les éléments qui composent la mémoire deviennent plus forts, plus durables et plus faciles à récupérer lorsqu’ils sont répétés, donc plus souvent nous apprenons, plus nous nous souvenons de quelque chose avec plus de succès », explique à Trust My Science Juddy Willis, neurologue/neuroéducatrice et professeure adjointe au Williams College (dans le Massachusetts).
L’espacement de l’apprentissage agit en complément en répartissant les informations complexes selon une séquence logique, de sorte qu’elles soient plus faciles à traiter pour le cerveau. Cela permet de consolider la mémorisation à long terme tout en évitant la surcharge de travail.
La technique « Pomodoro » figure aussi parmi les plus recommandées par les neuroscientifiques. Elle consiste à diviser les sessions de travail en séquences de 25 minutes alternées par des pauses de 3 à 5 minutes, exploitant ainsi les cycles naturels d’attention et de récupération du cerveau (la durée d’attention moyenne d’un adulte est comprise entre 10 et 20 minutes). La charge de travail devient plus facile à gérer et la concentration est améliorée. Cette méthode peut aussi être utilisée pour optimiser l’efficacité au travail.
Une étude comparant les sessions de travail cycliques Pomodoro à des sessions de travail autorégulées a montré que les étudiants pratiquant la seconde méthode choisissaient systématiquement d’effectuer des pauses plus longues. Cela était associé à des niveaux plus élevés de fatigue et de distraction, ainsi qu’à des niveaux plus faibles de concentration et de motivation par rapport à ceux pratiquant la technique Pomodoro.
Il est en outre important d’éviter les distractions, même pendant les pauses. « Cette méthode améliore non seulement la concentration, mais aide également à consolider l’apprentissage pendant les pauses, en particulier lorsque les distractions comme les téléphones portables sont évitées pendant ces dernières », précise Oakley.
En effet, l’environnement ainsi que d’autres facteurs tels que le mode de vie sont déterminants pour l’apprentissage. Si le stress modéré peut par exemple améliorer la vigilance, le stress chronique est préjudiciable pour la concentration. Il est ainsi essentiel de créer un environnement favorable à cette dernière en minimisant les distractions. D’autre part, les facteurs de mode de vie favorisant la santé cérébrale sont tout aussi essentiels, notamment le sommeil, l’activité physique, l’alimentation (équilibrée), etc.
L’apprentissage multisensoriel : la clé pour booster la mémorisation ?
L’apprentissage basé sur le système de récompense de la dopamine (responsable de la sensation de plaisir et de satisfaction) pourrait aussi être très avantageux, notamment en stimulant la motivation à l’effort. La libération de la dopamine peut s’effectuer tout simplement après la réalisation d’un défi ou l’atteinte d’un objectif, ainsi que par le biais de fonctions sociales telles que l’humour, la gratitude et la gentillesse.
Les deux expertes s’accordent d’ailleurs sur le fait que les émotions constituent des éléments clés de l’apprentissage, l’amygdale (responsable du traitement émotionnel) interagissant étroitement avec l’hippocampe, une région essentielle à la mémoire. « Lorsque vous ressentez un stress modéré ou des émotions positives, l’amygdale peut améliorer la mémoire en augmentant l’attention et la vigilance », explique Oakley.
D’autre part, il a été suggéré que les stimuli sensoriels peuvent aussi contribuer à améliorer la mémoire. Une récente étude a par exemple suggéré que l’exposition à l’odeur de roses pendant le sommeil améliore l’apprentissage. Cependant, bien qu’il ait été prouvé que ce type de stimuli peut effectivement influencer la mémoire, leur application à l’apprentissage est mitigée. Néanmoins, les neuroscientifiques recommandent tout de même l’activation de plusieurs sens (visuel, auditif, kinesthésique ou la perception des mouvements) au cours de l’apprentissage, de sorte à activer plusieurs régions du cerveau. Cela permettrait de mieux encoder et mémoriser les informations.
« La mémoire est facilitée lorsque l’information est vécue de multiples façons », explique Willis. « Par exemple, si quelqu’un apprend quelque chose parce qu’il lit ou en entend parler — comme la façon dont les planètes gravitent autour du Soleil — c’est une entrée sensorielle soit verbale, soit visuelle de la conférence ou de la lecture », indique-t-elle. D’autre part, « si cela est également lié au mouvement du sujet — comme la personne montrant le déplacement des planètes autour du soleil ou des électrons autour du noyau d’un atome —, la mémoire de mouvement ajoutée est conservée au niveau d’une partie différente de la zone de stockage à long terme du cerveau », explique-t-elle.
Des « neuromythes » persistants entravant la neuroéducation
Les neuromythes constituent les principaux obstacles à l’application de la neuroéducation. « Ces mythes persistent souvent en raison d’une interprétation trop simpliste des résultats scientifiques ou parce qu’ils semblent intuitivement attrayants », explique Oakley. « Pourtant, les neurosciences offrent une compréhension plus claire et plus nuancée du fonctionnement réel de notre cerveau », ajoute-t-elle.
Parmi les plus populaires figure l’idée selon laquelle les humains n’utiliseraient que 10 % de leur cerveau — une supposition largement démentie par les neurosciences. Ce mythe est d’ailleurs vulgarisé dans la culture populaire, comme dans le film « Lucy » de Luc Besson. Un grand nombre d’études basées sur l’imagerie cérébrale (généralement l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et la tomographie par émission de positons) ont montré que presque toutes les régions cérébrales sont actives, même au repos. Certaines zones sont cependant plus actives que d’autres et synchronisent leur activité lors de l’exécution de tâches fonctionnelles et cognitives.
Une étude a également montré que les microglies (les cellules immunitaires du cerveau) « sculptent » les circuits neuronaux postnataux de manière dépendante de l’activité. En d’autres termes, les synapses inactives sont systématiquement élaguées, même si elles sont saines. En supposant que nous n’utilisions que 10 % de notre cerveau, celui-ci serait ainsi rapidement atrophié (un symptôme courant des maladies neurodégénératives), car les synapses des 90 % restants seraient supprimées par cette fonction microgliale.
Un autre neuromythe répandu est la théorie selon laquelle certaines personnes utiliseraient davantage leur « cerveau gauche » que leur « cerveau droit » et vice-versa. Selon Oakley, « cette dichotomie est trop simpliste et n’est pas soutenue par les neurosciences ». « Bien que certaines fonctions soient plus dominantes dans un hémisphère (comme le langage dans l’hémisphère gauche), les deux hémisphères fonctionnent ensemble pendant la plupart des tâches cognitives, et personne n’est exclusivement dominé par un côté de son cerveau », indique-t-elle.
D’après Willis, certaines techniques « pseudoneuroéducatrices » inciteraient même à effectuer des activités du côté gauche ou droit du corps de sorte que l’information puisse soi-disant passer d’un côté du cerveau à l’autre, ou traverser la ligne médiane. « C’est absolument faux, car, essentiellement, tout ce que nous expérimentons va automatiquement des deux côtés du cerveau », affirme la neurologue.
« L’effet Mozart », l’idée selon laquelle écouter de la musique classique rendrait plus intelligent ou favoriserait grandement l’apprentissage, constitue un autre neuromythe répandu. Bien que la musique puisse améliorer l’humeur ou l’éveil, il n’existe pas de preuves neuroscientifiques fiables indiquant qu’elle influence directement les capacités cognitives à long terme ou l’apprentissage.
Des études ont suggéré qu’en écoutant du Mozart pendant quelques minutes, le raisonnement spatial serait significativement amélioré et augmenterait les scores de QI spatial de 8 à 9 points par rapport à avant l’écoute. Cependant, « ces études étranges montrant des améliorations à court terme du raisonnement spatial ont été exagérées, et les recherches ultérieures ont montré que l’effet Mozart est au mieux minime », indique Oakley.
Par ailleurs, l’hypothèse selon laquelle l’apprentissage devrait être adapté à chaque type de personnalité ou que les élèves devraient recevoir un enseignement en fonction de leur style d’apprentissage préféré, est controversée. Bien que les apprenants puissent effectivement avoir des préférences, des études ont montré que l’adaptation à ces préférences n’est pas corrélée à de meilleurs résultats d’apprentissage.
L’application de ce type d’approche pourrait au contraire entraver l’adoption d’autres stratégies potentiellement plus efficaces. Malheureusement, il s’agit de l’un des neuromythes les plus couramment adoptés. Une enquête sur des milliers d’éducateurs et de parents a révélé que 76 % d’entre eux appliquaient cependant cette approche pour l’éducation de leurs enfants.
Au mieux, cette adaptation du type d’apprentissage peut se faire en cas de diagnostic avéré d’une différence significative dans le fonctionnement du cerveau de l’élève. Par exemple en cas de surdouance (QI supérieur à 130-140) ou à l’inverse, en cas de retard mental (QI inférieur à 69). Dans ce dernier cas cependant et si le retard est important, des structures spécialisées sont généralement proposées.
Traduction :
- Titre : parmi les méthodes ou techniques suivantes, lesquelles avez-vous entendu parler ou utilisées pour améliorer le rendement scolaire des élèves ?
- Colonne 1 : Style d’apprentissage
- Colonne 2 : Gymnastique cérébrale
- Colonne 3 : Cerveau droit et gauche
- Colonne 4 : Technique de récupération
Un autre défi majeur réside dans le fait que les enseignants peinent à inclure les neurosciences dans l’apprentissage, soit par manque de temps pour se former à la discipline, soit par manque d’informations fiables. « Pour moi, il serait essentiel que la formation des enseignants inclue les neurosciences de l’apprentissage. Ainsi, elles pourraient évaluer de manière critique les ressources les plus fiables et approuvées », estime Willis.
Cependant, « il y a tellement de choses que les enseignants doivent apprendre pour pouvoir enseigner. Ils ont du mal à inclure ces choses et ont moins de temps à consacrer à ce que je considère comme l’un des outils les plus essentiels qu’un enseignant ou un parent puisse avoir : une compréhension de la science de l’apprentissage », conclut l’experte.