Jane Goodall, primatologue britannique et l’une des figures scientifiques les plus emblématiques du siècle dernier, s’est éteinte mercredi 1er octobre à l’âge de 91 ans. Connue pour ses travaux sur les chimpanzés, elle a révolutionné la compréhension des primates et, plus largement, du monde animal, en démontrant la première qu’ils pouvaient adopter des comportements jusqu’alors considérés comme exclusivement humains. Son héritage perdure aujourd’hui à travers de nombreux instituts consacrés à la conservation et à la formation des jeunes générations.
Née le 3 avril 1934 à Hampstead, à Londres, d’un père ingénieur et d’une mère au foyer, Jane Goodall (son nom complet Valerie Jane Morris-Goodall) nourrissait dès l’enfance le rêve de partir en Afrique pour y observer les animaux et exercer des métiers alors réservés aux hommes.
À l’âge adulte, elle obtient d’abord un diplôme de secrétaire et enchaîne divers emplois. Invitée en 1957, à 23 ans, au Kenya, elle y rencontre Louis Leakey, archéologue et paléontologue engagé dans d’importantes fouilles en Afrique de l’Est, qui l’embauche comme secrétaire.
Cette rencontre lui ouvre la voie vers son objectif. En 1960, elle entreprend l’étude des chimpanzés, vivant seule à leurs côtés dans la région du lac Tanganyika (Tanzanie), sur le site qui deviendra le parc national de Gombe Stream. Il s’agissait alors de l’une des premières longues études de terrain consacrées à des animaux sauvages dans leur habitat naturel.
Encouragée par Leakey, elle est admise en 1961 à l’Université de Cambridge pour un doctorat en éthologie, sans avoir de diplôme universitaire de premier cycle – une exception rarissime. Elle soutient sa thèse en 1965 et devient l’une des pionnières du domaine.
La notion d’humanité redéfinie
Les recherches de Goodall ont bouleversé l’éthologie. En observant les chimpanzés de Tanzanie, elle fut la première à mettre en évidence leur capacité à fabriquer et utiliser des outils – compétence alors considérée comme le propre de l’homme. D’après Nick Boyle, directeur exécutif du zoo de Taronga à Sydney, ses découvertes ont « redéfini l’humanité ».
Elle a également révélé d’autres comportements sociaux complexes, jusque-là considérés typiquement humains. En 1973, elle observe par exemple une guerre entre deux communautés de chimpanzés, un conflit de quatre ans ayant entraîné le décès de tous les mâles de l’un des groupes – une dynamique sociale troublante par sa ressemblance avec celles des sociétés humaines.
« Je pensais qu’ils étaient comme nous, mais plus gentils. Il m’a fallu du temps pour accepter leur brutalité », confiait-elle, citée par National Geographic. Ses découvertes suscitèrent de vifs débats, en particulier parmi les adeptes du créationnisme, puisqu’elles semblaient suggérer que ce n’étaient pas les singes qui reflétaient l’homme, mais le comportement de homme qui reflétait celui des singes.
Elle fut aussi la première à montrer que les animaux, tout comme les humains, éprouvent des émotions, de l’empathie et des formes de culture. « J’avais le sentiment d’apprendre à connaître des êtres semblables, capables de joie et de chagrin, de peur et de jalousie », confiait-elle à propos de ses années passées à Gombe.
Ses travaux permirent enfin de réfuter l’idée répandue selon laquelle les chimpanzés seraient exclusivement herbivores. Elle observa en effet qu’ils se servaient d’outils pour capturer des termites, mais aussi qu’ils chassaient et consommaient de la viande.
Transformer la recherche scientifique
À la lumière de ces découvertes, Goodall s’efforça de transformer les méthodes de recherche. Elle rompit notamment avec l’usage académique consistant à numéroter les animaux étudiés : elle leur donna des noms, geste qui lui valut de vives critiques à l’époque.
« Elle a été critiquée comme non scientifique, mais elle a prouvé que la science pouvait repousser ses limites sans perdre en rigueur », souligne Mireya Mayor, anthropologue et primatologue à la Florida International University de Miami, dans la revue Nature.
Son parcours l’a ensuite amenée à s’engager pour la conservation, les droits humains et le bien-être animal, notamment dans la lutte contre l’utilisation des animaux dans la recherche médicale. En 1977, elle fonde à Washington le Jane Goodall Institute, organisation à but non lucratif dédiée à la protection de la faune et à la conservation, et inspire de nombreuses initiatives similaires.
Ses efforts furent couronnés de nombreuses distinctions prestigieuses. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) lui décerna par exemple la Médaille commémorative John C. Phillips, sa plus haute distinction.
Rendre la science accessible à tous
Le secret de l’impact et de la popularité de Goodall résidait dans sa capacité à rendre la science accessible au plus grand nombre. Naturellement réservée, elle dut faire preuve d’une grande discipline pour s’adresser au public et transmettre sa passion. Elle savait établir un lien en rapprochant la recherche de thèmes qui touchaient chacun, comme la relation mère-enfant, et en montrant que les animaux manifestent des comportements comparables.
Ses efforts de communication lui ont permis de rallier de nombreux donateurs et célébrités à la cause de la conservation. Elle s’est aussi particulièrement investie auprès des jeunes générations, en créant en 1991 le programme « Roots and Shoots », destiné à sensibiliser la jeunesse et à l’impliquer dans la protection de l’environnement.