La conscience, ce fascinant et complexe processus dynamique, est un sujet d’étude central dans le vaste domaine des neurosciences. Elle mobilise le thalamus, le cortex et le tronc cérébral et a fait l’objet de recherches approfondies au fil des années. Une étude récente a mis en lumière le rôle clé de la dynamique cérébrale dans la distinction entre les états de conscience et d’inconscience, marquant une avancée dans la compréhension des mécanismes fondamentaux de la conscience et de sa nature dynamique.
La conscience se manifeste à travers deux niveaux hiérarchiques : l’éveil et l’accès conscient. L’éveil, un état de conscience, se caractérise par l’activation des structures profondes du cerveau situées dans le tronc cérébral, traduisant l’aptitude à répondre aux stimuli extérieurs. Suit l’accès conscient, illustré par la perception de l’information. Lorsqu’une situation ou un événement est perçu, il devient un « contenu de conscience », encodé par des groupes de neurones situés dans différentes aires corticales, qui s’activent en synchronisation.
À l’opposé de l’éveil, l’inconscience se manifeste par l’incapacité à répondre aux stimuli extérieurs lorsque le corps est en état de repos, tel que durant le sommeil ou sous anesthésie générale. Cependant, une perte de conscience permanente, causée par un traumatisme cérébral par exemple, peut conduire à un état végétatif.
En 2019, une étude dirigée par le professeur Jacobo Sitt et ses collaborateurs a établi un lien entre la dynamique de la communication inter-régions cérébrales et le niveau de conscience. Les chercheurs avaient analysé par IRM l’activité cérébrale de 159 sujets, incluant des patients souffrant de lésions cérébrales sévères et des témoins sains. En comparant les variations des signaux dans des régions cérébrales spécifiques, ils ont identifié des marqueurs robustes et généralisables des états transitoires d’éveil et d’inconscience.
Dans une nouvelle étude menée par Pablo Castro, doctorant à l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay, son équipe et lui ont cherché à déterminer si les variations des schémas de connectivité fonctionnelle cérébrale pouvaient distinguer ces deux états. La connectivité cérébrale se divise en trois types : structurelle, fonctionnelle et effective. La connectivité structurelle se rapporte aux interconnexions cérébrales, la connectivité fonctionnelle à leur fonctionnement dynamique, et la connectivité effective aux interactions spécifiques à une tâche donnée.
Dans le cadre des travaux, les neuroscientifiques ont exploré la dynamique de la connectivité fonctionnelle pour identifier des signatures de la conscience. « Nous nous intéressons à l’ensemble des états de conscience, des états inconscients à ceux induits par les psychédéliques. Notre objectif est de comprendre les mécanismes fonctionnels dynamiques sous-jacents de la conscience et leur altération en cas de perturbation », ont déclaré à PsyPost les co-auteurs Alain Destexhe et Rodrigo Cofré, affiliés à l’Institut de neurosciences Paris-Saclay.
Vers une meilleure compréhension des états transitoires du cerveau
Castro et ses collègues ont ainsi analysé les données IRMf d’une cohorte de 34 participants sains, répartis en deux groupes. Le premier groupe, composé de 16 individus, a subi trois IRMf : une en éveil, une sous anesthésie générale et une après réveil. Le second groupe, composé de 18 participants, a effectué deux IRMf : une fois au réveil et une pendant un stade de sommeil profond. Afin d’identifier les schémas d’activité cérébrale et suivre leur transition, les chercheurs ont mis l’accent sur l’analyse de la cohérence de phase, permettant de mesurer la synchronisation des différentes régions cérébrales.
L’équipe a également utilisé l’entropie de Shannon (une mesure clé pour quantifier la diversité des schémas d’activité cérébrale) et un modèle dit « de chaîne de Markov » pour analyser la flexibilité et la stabilité de la dynamique cérébrale sous diverses circonstances. Les résultats, publiés dans la revue Nature, ont montré que durant l’éveil, l’entropie de Shannon était relativement élevée, caractérisée par des schémas d’activité flexibles et diversifiés, peu dépendants de la connectivité structurelle. Cela révèle la capacité du cerveau éveillé à passer entre différents états. En revanche, durant le repos, que ce soit en sommeil profond ou sous anesthésie, les schémas d’activité semblent moins diversifiés, mettant en évidence un mécanisme corrélé à la connectivité structurelle et suggérant que le cerveau inconscient s’appuie davantage sur son câblage anatomique. Les états transitoires du cerveau inconscient semblent également peu fréquents.
« Ces schémas dynamiques de connectivité cérébrale semblent jouer un rôle important dans la conscience. Sous anesthésie ou sommeil profond, cependant, le cerveau reste actif, mais repose sur des schémas moins dynamiques, plus proches de la connectivité anatomique, et présente moins de transitions », ont écrit les auteurs de l’étude. Les chercheurs ont également observé dans les résultats que certains mécanismes d’activité cérébrale liés à l’inconscience apparaissaient occasionnellement en état de veille, et inversement.
Ils ont en définitive souligné qu’une activité cérébrale dynamique reflète en quelque sorte la conscience. En somme, cette étude a permis de découvrir des signatures neuronales généralisables de la conscience. « Ces résultats nous rapprochent de l’identification d’indicateurs objectifs et fiables de la conscience, qui pourraient un jour aider à mieux comprendre et même à suivre la conscience dans les contextes cliniques », ont-ils déclaré. « Bien que notre méthode soit robuste et semble applicable à divers états tels que l’anesthésie générale et le sommeil profond, il existe encore des limites dans la collecte et le prétraitement des données dans différentes études ».