La recherche piétine dans le monde entier. Récemment, une tribune publiée dans Libération demandait au ministre français de la Santé, François Braun, d’instaurer « une véritable politique de la contraception masculine en France ». Les options restent cependant limitées et le contrôle des naissances est donc principalement la responsabilité des femmes, même si des avancées semblent prometteuses. Quand la contraception masculine sera-t-elle réellement opérationnelle ?
La plupart des formes de contraceptifs sont destinées aux femmes, bien que leur utilisation puisse être exclue dans diverses conditions de santé. C’est pourquoi pouvoir partager cette responsabilité du contrôle des naissances apparaît comme une nécessité. D’ailleurs, mardi 23 août 2022, Libération titrait en une « Arrêtez de vous dorer la pilule ! », faisant écho à un constat indéniable en France et dans le monde : la contraception masculine ne comporte que deux options, le préservatif ou la vasectomie, et la recherche n’avance pas.
En effet, malgré les données d’enquête suggérant que les hommes et leurs partenaires sont avides d’options contraceptives masculines élargies, les efforts pour développer de tels agents ont été entravés par le manque d’investissements monétaires. Regine Sitruk-Ware, chercheuse émérite du secteur, prédisait en 2012 : « Les essais cliniques de contraception masculine ont montré des résultats prometteurs, mais l’implication limitée de l’industrie a diminué les chances d’obtenir [des résultats] dans la décennie ».
Sans compter que cela semble assez compliqué de trouver une alternative efficace pour contrôler les hormones et la production de gamètes mâles. Alors où en est réellement la recherche actuellement ? Sommes-nous proches d’une pilule contraceptive masculine ? Faisons d’abord le point sur les méthodes actuelles, fortement empreintes de préjugés sur la virilité.
Vasectomie ou préservatif ?
La contraception masculine a pour but d’empêcher la rencontre entre les spermatozoïdes et un ovule, la fécondation donc, et de facto la grossesse qui pourrait suivre. Il existe deux types de contraception masculine : la vasectomie et le préservatif masculin. Une troisième possibilité est le retrait (durant l’acte sexuel), mais le nombre d’échecs et de grossesses non désirées démontre une efficacité quasiment nulle.
Il faut savoir que la vasectomie n’est légale en France que depuis 2001. Il s’agit d’une intervention chirurgicale visant à couper ou sceller les canaux qui transportent le sperme d’un homme afin d’empêcher définitivement une grossesse. Elle présente un faible risque de complications et peut généralement être réalisée en ambulatoire sous anesthésie locale, car l’intervention ne dure que 10 à 30 min. Bien que les inversions de vasectomie soient possibles, la vasectomie doit être considérée comme une forme permanente de contraception masculine.
En vertu du caractère définitif de cette méthode de stérilisation, la loi française « impose un entretien préalable ainsi que la remise d’un dossier écrit au patient. Au terme d’un délai de réflexion de 4 mois, une seconde consultation permet au patient de donner son consentement écrit. Cette procédure vise à mesurer la détermination du patient ainsi que sa compréhension de l’intervention et de ses conséquences ».
L’opération n’entraîne, en général, aucun dommage postopératoire, les soins se résumant à la prise d’antalgiques si nécessaire. Les statistiques rapportent des douleurs testiculaires chroniques chez un faible pourcentage de patients. Contrairement aux préjugés, il n’y a aucun impact négatif sur la sexualité (érection, éjaculation…) ni sur la virilité (testostérone).
Il faut savoir que l’action contraceptive de l’opération n’est pas efficace immédiatement. Il est nécessaire alors d’utiliser un contraceptif pendant au moins 8 à 12 semaines après l’opération, car des spermatozoïdes se trouvent toujours dans les canaux menant au pénis. Jusqu’à deux tests de sperme (spermogrammes) sont effectués après l’opération pour s’assurer que tous les spermatozoïdes ont disparu.
Enfin, reperméabiliser des canaux déférents qui ont été obturés chirurgicalement est une opération possible, mais dont les résultats sont souvent décevants. Pratiquée dans les 3 années qui suivent la vasectomie, l’opération inverse offre un taux de réussite acceptable (de l’ordre de 30 à 70%).
Une « alternative » à la vasectomie, qui ne fait pas l’unanimité, est le préservatif. Mais même si la méthode est simple et réversible, son emploi n’est pas systématique et le nombre de grossesses non désirées augmente au fil des ans. Sans compter que d’après une récente étude, son usage en conditions réelles empêche une grossesse dans 87% des cas, soit un risque de 13%.
Des approches hormonales prometteuses chez les animaux
La tribune de Libération souligne : « L’arrivée d’une pilule pour homme reste une promesse non tenue depuis plus de quarante ans ». La recherche piétine, car les financements sont absents, et ce notamment parce qu’une contraception féminine existe déjà. Mais les changements de mentalité et la volonté d’égalité des sexes commencent à induire de plus en plus de recherches concernant la contraception masculine.
Les recherches sont donc en cours pour trouver de nouveaux moyens de contraception masculine. Les deux principaux axes de recherche sont la contraception hormonale, utilisant des hormones synthétiques qui peuvent arrêter efficacement et en toute sécurité la production de sperme. L’autre axe concerne la contraception masculine non hormonale, dans le but d’empêcher les spermatozoïdes sains d’atteindre le vagin de la femme.
Néanmoins, « il s’agit d’un réel défi scientifique, tout comme l’a été la mise au point de la contraception féminine, nécessitant de créer des hormones de synthèse similaires aux hormones naturelles », selon l’INSERM.
Contrairement à la femme, aucun cycle de production d’hormones sexuelles n’est présent chez l’homme. En d’autres termes, les spermatozoïdes sont produits en permanence. Comme l’explique l’INSERM : « il faut trouver un mécanisme capable de tous les neutraliser en permanence. Par ailleurs, tout comme son homologue féminine, la pilule contraceptive masculine doit être facile à prendre, son action réversible (ne pas affecter la fertilité) et ses effets secondaires doivent être raisonnables ».
C’est pourquoi la contraception hormonale masculine moderne, tout comme les méthodes hormonales féminines, repose sur des progestatifs exogènes visant à supprimer l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, supprimant à son tour la production de testostérone testiculaire et la maturation des spermatozoïdes. L’ajout d’un androgène augmente la suppression des gonadotrophines, stoppant plus efficacement la spermatogenèse chez les hommes et fournissant un soutien androgénique à la physiologie masculine. Des études antérieures sur l’efficacité contraceptive chez les couples ont montré que les méthodes hormonales masculines sont efficaces et réversibles.
De plus, il existe un gel à appliquer quotidiennement sur le dos et les épaules. Une fois absorbé, il empêche la formation de spermatozoïdes. Le gel, nommé NES/T, est une combinaison de nestorone (NES) et de testostérone (T). Le premier est une hormone semblable à la progestérone qui agit sur les testicules pour arrêter la production du sperme, le deuxième est une hormone mâle et est incluse pour maintenir la libido. La phase de tests a débuté en 2018. Les premiers retours sont globalement positifs selon le magazine américain Cosmopolitan.
Notons également les antagonistes de l’hormone de libération de la gonadotrophine (GnRH), qui suppriment les hormones hypophysaires provoquant la production de sperme par les testicules. Ils sont très efficaces pour supprimer la production du sperme, mais ils sont coûteux et nécessitent des injections fréquentes. La recherche et le développement d’une préparation à action prolongée, nommée degarelix, est en cours. En France, elle est actuellement utilisée dans le traitement du cancer de la prostate avancé, hormono-dépendant.
De surcroît, sur le principe de la vasectomie agissant sur les canaux déférents, la méthode RISUG (Reversible Inhibition of Sperm Under Guidance) est une inhibition réversible des spermatozoïdes sous guidage. Elle consiste à injecter un produit chimique dans les canaux déférents. Cela bloque les canaux et détruit tout sperme entrant en contact avec la substance. Lorsque la personne désire des enfants, le médecin « élimine » le produit chimique bloquant avec une injection de bicarbonate de soude.
Une méthode similaire est un dispositif intravasculaire de type filtrant (IVD), placé à l’intérieur du canal déférent. La méthode filtre le sperme et prévient les grossesses, mais n’est actuellement qu’au stade expérimental, avec des études en cours portant sur son efficacité et sa sécurité.
Enfin, en mars 2022, des chercheurs américains ont publié un article dans lequel ils affirment avoir développé une pilule de contraception masculine efficace à 99% chez la souris. Celle-ci pourrait être testée sur les hommes d’ici la fin de l’année.
Des approches non hormonales tout aussi efficaces ?
Face aux inconvénients d’irréversibilité et de mise au point, d’autres scientifiques cherchent à développer une approche mécanique, agissant sur la mobilité des spermatozoïdes. Toute méthode de contraception doit être fiable — avec très peu de grossesses non désirées — et réversible. Certains composés, comme le gossypol et le triptolide, sont efficaces, mais peuvent entraîner une réduction permanente des spermatozoïdes.
Selon un communiqué de l’INSERM, des travaux récents en Chine tentent d’étudier l’action contraceptive d’une molécule appelée triptonide, extraite d’une plante ou synthétisée en laboratoire. Il semblerait que la molécule puisse déformer les spermatozoïdes, les empêchant presque totalement de se mouvoir. « Si l’efficacité et la réversibilité du traitement ont été mises en évidence chez le rat et le primate, les effets contraceptifs n’ont pu être constatés qu’après plusieurs semaines de traitement. Il n’est pas non plus certain que les effets observés chez l’animal soient tous constatés chez l’homme ». En effet, les auteurs rapportent une efficacité de 90% pour prévenir les grossesses, et des effets irréversibles dans 20% des cas, ce qui a conduit à l’abandon des recherches sur le sujet.
Autre piste, celle de bloquer les cellules musculaires responsables de la contraction à l’origine de l’expulsion des spermatozoïdes. Depuis 2013, l’expérience n’a été menée que sur des rats, pour lesquels l’effet contraceptif apparaissait au bout de quelques heures. Des essais sur l’homme sont nécessaires pour confirmer ces résultats.
Des moyens de contraception exempts de toutes molécules, chimiques ou naturelles, gagnent en popularité sur Internet. Ils se basent, pour la plupart, sur une contraception dite thermique. En effet, la production des spermatozoïdes (spermatogenèse) nécessite une température optimale des testicules, plus basse que le reste du corps — entre 34 et 35 degrés Celsius. En remontant les testicules vers l’entrejambe, ils se réchauffent et la production de spermatozoïdes est stoppée.
Dans cet esprit, le slip et le boxer chauffant sont à la mode. Le premier sous-vêtement demande à être porté durant au moins 15 heures chaque jour. Un spermogramme réalisé trois mois plus tard permet de s’assurer que le nombre de spermatozoïdes est inférieur à 1 million par millilitre d’éjaculat.
Le second sous-vêtement permet de réduire ce délai, car étant plus serré, la température des testicules augmente plus rapidement. Néanmoins, il faut préciser que ce dispositif ne fait l’objet d’aucun contrôle, et aucun médecin ne le prescrit, car les données scientifiques font défaut.
Une troisième méthode, toujours basée sur la température, réduit le dispositif : il ne s’agit plus que d’un anneau (baptisé Andro-switch). Mais là aussi, aucune donnée scientifique ne valide le dispositif. D’ailleurs, l’Agence nationale de sécurité du médicament a interdit en décembre 2021 la vente et la distribution d’Andro-switch.
Malgré quelques avancées, la recherche pour une contraception masculine nécessite encore plusieurs années de recherches pour multiplier les alternatives efficaces et sûres. Sans compter que le changement de mentalités reste un obstacle majeur afin de faire accepter le partage de la responsabilité en matière de contrôle des naissances et donc de contraception.
Notons tout de même que face aux défis climatiques, énergétiques, alimentaires, économiques et sociaux auxquels sont et seront confrontées les générations à venir, nombreux sont les jeunes qui refusent d’avoir des enfants.
En conclusion, dans un paysage politique qui détruit les droits des femmes et leur liberté reproductive, et qui met en danger la vie des femmes enceintes, la nécessité que les deux sexes disposent de moyens de contraception équivalents est une priorité absolue en santé publique. En effet, en 2020, la Cour suprême a statué que les employeurs pouvaient refuser à leurs travailleurs la couverture du contrôle des naissances sur la base d’objections religieuses ou morales. Un an plus tard, l’accès au contrôle des naissances restait une faible priorité pour les législateurs : sur les 199 propositions au niveau de l’État visant à protéger ou à élargir l’accès aux services de contraception, seules 16 ont été adoptées. Pendant ce temps, 19 États ont promulgué 108 restrictions à l’avortement, faisant de 2021 l’année la plus sombre pour le droit à l’avortement en un demi-siècle.