Controverse des premiers bébés humains génétiquement modifiés : le créateur enfin sorti de prison

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He Jiankui, le (tristement célèbre) biophysicien chinois qui a génétiquement modifié des embryons humains viables pour la première fois au monde, a été libéré après trois ans d’incarcération. Le scientifique avait notamment été emprisonné en Chine, en 2019, après avoir choqué le monde en annonçant avoir édité les génomes d’embryons humains, fécondés in vitro (FIV). Son objectif principal était de permettre aux bébés de résister au VIH, mais ses travaux ont tellement suscité la controverse que cela lui a coûté sa carrière. Aujourd’hui en liberté et en contact avec son réseau scientifique (dont certains qui comptaient commercialiser le projet), l’on ne sait pas encore s’il souhaite poursuivre ses recherches en Chine ou dans un autre pays.

Sa sortie de prison a été confirmée par ses proches et Jiankui a même pu répondre au téléphone hier dans la journée en déclarant : « Ce n’est pas pratique de parler en ce moment », d’après un rapport du MIT Technolgy review.

Le chercheur, travaillant à l’époque au Southern University of Science and Technology de Shenzhen, avait utilisé la technique CRISPR-Cas9. Il s’agit d’une technique polyvalente et révolutionnaire d’édition génomique, utilisée pour la conception de modèles cellulaires ou animaux sur mesure. Assez simple à appliquer autant au niveau technique que du coût, cette manipulation génétique est couramment utilisée en laboratoire pour modifier des virus, des cellules isolées, des animaux de laboratoire, etc.

Mais quand il s’agit de gènes humains germinaux, la question est plus sensible et de très strictes réglementations la régissent. Le génome humain est en effet si complexe qu’il recèle encore de nombreux mystères pour les scientifiques. Le manipuler s’avère alors dangereux pour le sujet impliqué, ainsi que pour ses descendants. Peu de chercheurs osent alors s’aventurer à utiliser CRISPR-Cas9 sur l’homme.

Il y a quatre ans, He Jiankui et son équipe avaient expérimenté la technique CRISPR-Cas9 chez des embryons FIV, implantés ensuite dans l’utérus d’une mère porteuse. Des jumelles surnommées Lulu et Nana sont nées de l’expérience, ainsi qu’un autre bébé l’année suivante. L’existence du projet a été mise au grand jour la veille d’un sommet international sur l’édition du génome à Hong Kong, en novembre 2018. Suite à un ancien rapport du MIT Technology Review, le chercheur avait publié plusieurs vidéos sur YouTube annonçant la naissance des jumeaux.

Le scientifique chinois, ancien étudiant de l’Université Rice et de Stanford, ne se rendait apparemment pas compte des dangers et de la sensibilité de son projet, car il espérait un prix Nobel en trouvant la « solution miracle » pour éradiquer le SIDA. Pourtant, des réglementations médicales d’éthique et de sécurité auraient été délibérément violées dans son application imprudente de la technologie d’édition génomique à la médecine reproductive humaine assistée. Ses connaissances le qualifiaient même d’idéaliste et de naïf.

Des fautes scientifiques graves

Le papier détaillant les recherches He Jiankui n’a jamais été publié dans une revue scientifique. Selon certains experts, il s’agirait déjà là d’une preuve d’une expérience qui aurait mal tourné. Mais pour ceux qui ont pu lire l’ébauche, l’article serait criblé de fautes scientifiques graves et flagrantes. « Lorsque j’ai eu pour la première fois l’occasion de parcourir un manuscrit complet de He en novembre dernier, j’ai immédiatement réalisé qu’il y avait des problèmes », expliquait en 2019 Kiran Musunuru, professeur de médecine cardiovasculaire et de génétique à la Perelman School of Medicine de l’Université de Pennsylvanie et auteur de The CRISPR Generation, un livre sur l’histoire de l’édition de gènes et des soeurs jumelles génétiquement modifiées.

Parmi les fautes commises, le « mosaïcisme » endémique était l’une des plus graves. Ce phénomène se produit notamment lorsque les modifications effectuées dans les gènes des embryons ne produisent pas des effets homogènes. Des preuves de ce mosaïcisme ont été détectées aux stades embryonnaires de Lulu et de Nana, ainsi que dans le placenta qui nourrissait Lulu. En naissant donc, certaines parties du génome des enfants pouvaient contenir les modifications voulues, tandis que d’autres en seront peut-être dépourvues et donc vulnérables.

Il est également possible que certaines zones aient subi des modifications involontaires, car He Jiankui n’aurait vérifié que le matériel génétique de quelques cellules embryonnaires sur les 200 à 300 présentes. Des experts ont même déclaré que les supposées modifications n’avaient aucune utilité médicale et qu’au contraire, cela pouvait induire des erreurs dans le génome des bébés. En grandissant, ils risqueraient de développer de graves maladies, qui se transmettraient de génération en génération.

De plus, le chercheur de Shenzhen n’aurait pas été totalement transparent, car il avait (vaguement) exposé 60 diapositives en seulement 20 minutes lors du sommet à Hong Kong. Les conditions de ses expérimentations restent d’ailleurs en grande partie mystérieuses.

Que sont devenus les bébés ?

L’avenir des trois enfants, dont les identités sont confidentielles, est très incertain. Les parents avaient notamment accepté l’expérimentation, car les pères étaient tous séropositifs, et n’auraient autrement pas accès à la FIV en Chine. Après l’arrestation de He Jiankui, des bioéthiciens ont sollicité le gouvernement chinois à créer un programme de recherche pour superviser la santé des enfants.

Mais d’après Eben Kirksey, professeur agrégé à l’Institut Alfred Deakin (et auteur de The Mutant Project, un livre consacré aux soeurs jumelles chinoises), les participants à l’étude n’avaient pas été traités avec équité. Bien que des assurances maladie pour leurs enfants aient été promises, les demandes n’ont jamais été émises et des factures médicales restent impayées.

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