Tandis que nous sortons doucement de deux mois de confinement à domicile, certains pays ont opté pour d’autres mesures pour limiter la propagation du virus. La Corée du Sud a par exemple choisi de divulguer des informations détaillées sur les personnes testées positives au COVID-19. La méthode peut paraître consternante, mais elle s’avère plus efficace que le confinement pour réduire le nombre de décès !
Des chercheurs américains ont en effet étudié les effets de cette mesure exceptionnelle et leurs résultats montrent qu’elle a réellement permis de changer le comportement des Coréens. À savoir que le virus a été identifié sur le territoire le 13 janvier. Au 26 mai, le pays comptait 11’225 cas et 269 décès (pour près de 52 millions d’habitants) ; à titre de comparaison, les États-Unis – où le virus est apparu à la même période – enregistraient 1’618’757 cas et 96’909 décès pour un peu plus de 328 millions d’habitants (source : OMS). La différence ? Dès l’apparition du virus, les Sud-Coréens recevaient des SMS en temps réel à chaque nouveau cas recensé dans leur quartier !
Des habitants suivis à la trace
Pour étudier de près le phénomène, les chercheurs ont croisé les données détaillées du trafic piétonnier à Séoul – fournies par le plus grand opérateur de téléphonie mobile du pays – avec les informations rendues publiques concernant la localisation des personnes infectées. Il se trouve que cette stratégie nationale a permis aux habitants de mieux appliquer la distanciation sociale ; les personnes les plus fragiles ont ainsi pu facilement éviter les zones à risque.
Avec près de 10 millions d’habitants, Séoul est l’une des villes les plus densément peuplées du monde. Pourtant, au 22 mai, la ville ne comptait que 758 cas confirmés et trois décès ! « Ces chiffres sont remarquablement bas par rapport aux villes de taille similaire », soulignent les auteurs de l’étude. Pas de confinement généralisé ici, mais un système d’information particulièrement efficace : le gouvernement métropolitain de Séoul a développé un site web et une application mobile pour permettre aux résidents d’accéder à des informations en temps réel.
Mais le message « d’alerte » envoyé à la population ne contient pas que la localisation de l’individu testé positif. Il mentionne également des informations plus personnelles comme l’âge, le sexe, ainsi qu’un journal détaillé de ses déplacements (dates et lieux), basé sur les données de téléphonie mobile et de carte bancaire. À savoir que ceci est totalement légal en République de Corée : en cas d’urgence sanitaire nationale, les centres de prévention des maladies sont habilités à utiliser les données GPS, les images des caméras de surveillance et les transactions par carte de crédit pour recréer l’itinéraire des personnes infectées un jour avant que leurs symptômes ne se manifestent. Une loi instaurée à la suite de l’épidémie du MERS en 2015, qui avait causé la mort de 36 personnes et contaminé 186 autres dans le pays.
Quand on pense à la polémique suscitée par le lancement de l’application de traçage StopCovid développée par le gouvernement français, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le rapport bénéfice/risque d’un tel dispositif. Mais les chercheurs ont pu constater que ces données rendues publiques ont entraîné des changements notables dans les comportements et les habitudes de déplacement : les individus évitaient clairement de se rendre dans les quartiers considérés comme des foyers potentiels d’infection.
Pour eux, le bénéfice est donc indéniable : « Pour être clair, la divulgation d’informations publiques porte atteinte à la vie privée des personnes concernées », admet Chang-Tai Hsieh de l’Université de Chicago, l’un des trois chercheurs à l’origine de l’étude. « Nous n’essayons pas de mesurer le coût de la perte de vie privée, mais chaque fois que de telles mesures sont disponibles, elles peuvent être comparées aux avantages de la divulgation publique que nous proposons ici ».
Une stratégie qui profite surtout aux personnes âgées
Pour mieux mesurer l’impact de cette stratégie sud-coréenne, les chercheurs ont estimé les cas d’infection des deux prochaines années à partir des données qu’ils ont pu collecter ces derniers mois. Si Séoul continue d’employer ce principe de divulgation publique, la ville devrait afficher un cumul de 925’000 cas d’infection et 17’000 décès dus au COVID-19 (dont 10’000 personnes âgées de 60 ans et plus, 7000 dans la tranche 20-59 ans). Les pertes économiques représenteraient en moyenne 1,2% du PIB.
Ils ont ensuite comparé ces prévisions aux chiffres estimés dans le cas d’un scénario de confinement partiel, sans aucune divulgation publique. Leur modèle prévoit qu’au moins 40% de la population reste à domicile pendant une centaine de jours (de façon à obtenir le même nombre de cas confirmés qu’avec la stratégie de divulgation). Résultat : le nombre de cas reste le même, comme prévu, mais les décès augmentent de 17’000 à 21’000 (14’000 parmi les 60 ans et plus et 7000 chez les 20-59 ans) et les pertes économiques s’élèvent à 1,6% du PIB !
Par conséquent, la stratégie de divulgation publique profite surtout aux personnes âgées, comme le confirment les chercheurs : « Nos recherches montrent que la divulgation publique aide principalement les personnes âgées à cibler plus efficacement la distanciation sociale qui, à son tour, sauve plus de vies, au moins 4000 selon nos projections ». Les moins de 60 ans, quant à eux, subiront les conséquences de pertes économiques plus importantes…
L’un des auteurs de l’étude, David Argente de l’Université d’État de Pennsylvanie, rappelle que le déplacement des résidents est essentiel à la santé économique du pays : « Le flux de personnes à travers les quartiers génère des gains économiques grâce à l’adéquation optimale des personnes avec les lieux de travail et de loisirs ». Or, avec la stratégie actuelle, les Coréens moins « à risque » peuvent continuer de se rendre où ils le souhaitent, tandis que les plus vulnérables peuvent choisir de consommer dans un quartier qui recense peu de cas. En outre, cette mesure permet aux employés de pratiquer le télétravail s’ils le peuvent/souhaitent, tandis que ceux qui n’en ont pas la possibilité peuvent continuer à se rendre sur leur lieu de travail. Les mesures de confinement, quant à elles, ne font pas de distinction entre les individus ayant des ratios coûts/avantages différents…
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En réalité, au premier trimestre 2020, la pandémie a entraîné une baisse de 1,4% du PIB en République de Corée. Un chiffre très inférieur à la chute de 9,8% du PIB observée en Chine, qui a imposé le confinement strict dans la plupart des grandes villes. En conclusion, en l’absence d’un vaccin, une distanciation sociale ciblée peut être un moyen beaucoup plus efficace de réduire la transmission de la maladie, tout en minimisant le coût économique de l’isolement social.
La diffusion publique d’informations est un moyen d’obtenir une distanciation sociale ciblée, mais les auteurs de l’étude estiment toutefois qu’il pourrait y avoir d’autres façons de faire pour obtenir le maximum d’avantages au moindre coût, autrement dit, d’obtenir les mêmes bénéfices sans pour autant porter atteinte à la protection des données privées.