Plus de 12 millions de personnes souffrent de cécité cornéenne, ce qui en fait l’une des principales causes de cécité dans le monde. Bien que cette pathologie puisse être traitée par greffe, la grave pénurie de cornées de donneurs en fait un fardeau, surtout dans les pays à revenu faible et intermédiaire d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Récemment, des chercheurs suédois ont mis au point une cornée artificielle à partir de collagène issu de la peau de porcs. L’implant présente une méthode plus simple et plus sûre que la greffe de cornée humaine tout en offrant des résultats équivalents. Il a permis de restaurer la vision de plusieurs personnes, dont trois qui ont maintenant une acuité visuelle de 20/20 après avoir été pratiquement aveugles.
Le kératocône correspond à une déformation de la cornée — le revêtement transparent de l’iris et de la pupille de l’œil — qui s’amincit progressivement, perd sa forme sphérique normale et prend une forme de cône irrégulier. Cette déformation, survenant souvent vers la fin de l’adolescence, engendre des troubles de la vision — vue brouillée et déformée et mauvaise vision de loin — qui nécessitent le port de lentilles spécialisées. Le kératocône atteint généralement les deux yeux, mais pas avec la même sévérité.
C’est une maladie idiopathique, c’est-à-dire sans cause connue actuellement. L’hypothèse principale repose sur la possibilité d’une dégradation excessive et anormale du collagène. Le nombre de nouveaux cas diagnostiqués par an est équivalent à environ 1/2000 habitants, ce qui fait de la perte de transparence cornéenne l’une des principales causes de cécité dans le monde.
De plus, bien que la cécité cornéenne puisse être traitée par greffe, on estime que 12,7 millions de personnes dans le monde attendent une greffe de cornée, alors qu’une cornée seulement est disponible pour 70 nécessaires. En France, en 2019, d’après l’agence de la biomédecine, 5436 actes de greffe de cornée ont été réalisés. Néanmoins, la plupart de ceux qui ont besoin d’une greffe de cornée vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire dans lesquels l’accès aux traitements est très limité. Le kératocône est un véritable fardeau mondial.
Récemment, Mehrdad Rafat de l’Université de Linköping en Suède et ses collègues, ont mis au point un implant à base de protéines de collagène issues de peau de porcs. Dans une étude pilote, l’implant a restauré la vision de 20 personnes dont la cornée est endommagée, la plupart étant considérées comme aveugles avant de recevoir l’implant. Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans la revue Nature Biotechnology.
Un bio-implant rentable et recyclé
Il faut savoir que la cornée se compose principalement de collagène, un type de protéine. De manière concrète, pour créer une alternative à la cornée humaine, les chercheurs ont utilisé des molécules de collagène dérivées de peau de porc hautement purifiées et produites dans des conditions strictes pour un usage humain.
Pour un approvisionnement abondant mais durable et rentable en collagène, la peau de porc utilisée est un sous-produit de l’industrie agroalimentaire. Au cours du processus de fabrication de l’implant, les chercheurs ont stabilisé les molécules de collagène pour former un hydrogel implantable transparent et robuste, pouvant résister à la manipulation et à l’implantation dans l’œil. Alors que les cornées issues de donneurs doivent être utilisées dans les deux semaines, les cornées issues de la bio-ingénierie peuvent être conservées jusqu’à deux ans avant utilisation.
Mehrdad Rafat, maître de conférences au département de génie biomédical de LiU et fondateur de la société LinkoCare Life Sciences AB, qui fabrique les cornées utilisées dans l’étude, explique dans un communiqué : « Nous avons déployé des efforts considérables pour nous assurer que notre invention sera largement disponible et abordable pour tous et pas seulement pour les riches. C’est pourquoi cette technologie peut être utilisée dans toutes les régions du monde ».
Une nouvelle méthode chirurgicale abordable
Le second obstacle au traitement du kératocône dans les pays à faible revenu est la possibilité d’accéder aux soins et matériels nécessaires à la greffe. En effet, la cornée d’un patient atteint de kératocône à un stade avancé est enlevée chirurgicalement et remplacée par une cornée donnée, qui est fixée à l’aide de sutures chirurgicales. Ce type de chirurgie est invasif et n’est pratiqué que dans les grands hôpitaux universitaires. Une cornée artificielle a déjà été mise au point en 2021, mais elle nécessite encore coupure et suture.
C’est pourquoi les chercheurs ont également mis au point une nouvelle technique de chirurgie peu invasive. Une petite incision est faite, à travers laquelle l’implant est inséré dans la cornée existante. L’incision peut être faite avec un laser de grande précision, mais aussi, si nécessaire, manuellement avec des instruments chirurgicaux simples. Aucun point de suture n’est nécessaire avec cette nouvelle méthode chirurgicale.
La méthode a d’abord été testée sur des porcs et s’est avérée plus simple et potentiellement plus sûre qu’une greffe de cornée conventionnelle. Puis les chercheurs l’ont testée en Iran et en Inde sur 20 personnes aveugles ou sur le point de perdre la vue en raison d’un kératocône avancé. Les opérations étaient exemptes de complications et le tissu a guéri rapidement. Un traitement de huit semaines avec des collyres immunosuppresseurs a suffi à prévenir le rejet de l’implant, alors qu’avec les greffes de cornée conventionnelles, les médicaments doivent être pris pendant plusieurs années. Les patients ont été suivis pendant deux ans et aucune complication n’a été notée pendant cette période.
L’espoir d’une vision parfaite, accessible à tous
Finalement, les chercheurs ont été surpris par leur implant et son évolution. Étonnamment, l’épaisseur et la courbure de la cornée ont été restaurées à la normale. Avant l’opération, 14 des 20 participants étaient aveugles, l’implant a amélioré leur vue autant qu’elle l’aurait été après une greffe de cornée humaine, et a restauré leur tolérance au port de lentilles de contact. De plus, trois des participants aveugles avant l’étude ont retrouvé une vision parfaite (20/20) après l’opération.
Une étude clinique plus large suivie d’une approbation du marché par les autorités réglementaires est nécessaire avant que l’implant puisse être utilisé dans les soins de santé. Les chercheurs souhaitent également étudier si la technologie peut être utilisée pour traiter davantage de maladies oculaires. Effectivement, bien qu’il ne soit fabriqué qu’en deux épaisseurs pour les études pilotes, le bio-implant peut être adapté à un traitement personnalisé, y compris avec une épaisseur non uniforme ou conique.
Neil Lagali, professeur au Département des sciences biomédicales et cliniques de l’Université de Linköping, l’un des chercheurs à l’origine de l’étude, conclut : « Les résultats montrent qu’il est possible de développer un biomatériau répondant à tous les critères pour être utilisé comme implant humain, qui peut être produit en masse et stocké jusqu’à deux ans et ainsi toucher encore plus de personnes ayant des problèmes de vision. Cela nous permet de contourner le problème de la pénurie de tissus cornéens à greffer et de l’accès à d’autres traitements pour les maladies oculaires ».