Une étude révèle que les corneilles peuvent « compter » à voix haute, en émettant un nombre des croassements spécifique en réponse à des stimuli visuels ou auditifs. Bien que leurs comptages n’aient pas toujours été exacts au cours des expériences, leurs performances seraient comparables à celles de jeunes enfants apprenant à compter. Cela démontre une étonnante capacité de planification vocale et numérique que l’on croyait jusqu’ici spécifique aux humains.
Chez les humains, le contrôle de la vocalisation (ou la production de sons par la voix) apprise est l’un des aspects essentiels de l’évolution et de l’apprentissage de la parole (ou le langage vocalisé). Ce contrôle permet entre autres de planifier et de produire des combinaisons sonores spécifiques aux contextes, tels que le comptage par exemple. Des études ont suggéré que certains animaux (non humains) ont également la capacité de compter en contrôlant le nombre de cris qu’ils produisent.
Les oiseaux chanteurs, en particulier, constituent d’excellents modèles pour l’étude des mécanismes neurocognitifs sous-tendant le contrôle de la vocalisation apprise. Bien que les oiseaux soient relativement éloignés des humains d’un point de vue évolutif, l’apprentissage des chants chez ces animaux présente de nombreux points communs avec notre apprentissage de la parole. Comme nous, les oisillons ont par exemple besoin d’écouter et d’apprendre des adultes pendant une période critique de leur développement. Ce processus est alors suivi d’un entraînement rigoureux jusqu’à parvenir à imiter parfaitement les vocalisations de l’adulte.
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Cependant, la capacité des oiseaux à contrôler numériquement leur vocalisation manquait jusqu’à présent de preuves fiables. Une étude a par exemple suggéré que chez les mésanges à tête noire (Poecile atricapillus), le nombre de notes « D » à la fin des cris d’alarme est inversement corrélé à la taille du prédateur contre lequel l’avertissement est émis. Cependant, cela ne prouve pas nécessairement qu’ils contrôlent de manière intentionnelle le nombre de cris ou de notes qu’ils émettent. Il est possible que la tonalité du chant reflète davantage un état d’excitation proportionnel à la dangerosité du prédateur.
Dans le cadre de la nouvelle étude, publiée dans la revue Science, des chercheurs de l’Université de Tübingen (en Allemagne) montrent que les corneilles sont dotées d’une capacité de comptage comparable à celle des jeunes enfants. Elles planifient et comptent en quelque sorte leurs vocalisations de manière contextuelle. « Nous pensons que c’est la première fois que cela est démontré pour une espèce animale [autre que les humains] », explique au Scientific American Diana Liao, chercheuse postdoctorale en neurobiologie à l’Université de Tübingen et coauteure principale de la recherche.
Des performances comparables à celles de jeunes enfants
Dans le cadre de leur expérience, les chercheurs allemands ont sélectionné trois corneilles noires (Corvus corone) pour effectuer différentes tâches. Appartenant au groupe des oiseaux chanteurs, elles sont connues pour leur incroyable intelligence et leur capacité à contrôler précisément leur vocalisation. Une précédente étude a par exemple révélé qu’elles comprennent ce qu’est compter et qu’elles peuvent contrôler avec précision si elles souhaitent ou non émettre un type spécifique de croassement.
Les oiseaux devaient observer une sélection de 4 chiffres colorés ou écouter 4 sons spécifiques (de courts accords de guitare et des roulements de tambour), puis croasser une à quatre fois selon le stimulus correspondant. Plus précisément, les signaux étaient présentés de manière aléatoire et les oiseaux devaient déterminer le nombre de cris à associer à chacun, par le biais d’un processus d’essais et d’erreurs. S’ils réussissaient, ils avaient droit à une récompense qu’ils picoraient sur une touche « Entrée » (pour valider la réponse).
Après 166 à 189 cycles d’essais et d’erreurs, les trois corneilles sont parvenues à produire le nombre de croassements correspondant à chaque stimulus. Les chercheurs suggèrent d’ailleurs qu’elles pourraient maîtriser des nombres supérieurs à 4 si on leur en donnait l’occasion.
D’autre part, le temps de réponse était relativement long à mesure que le nombre de croassements nécessaires devenait élevé, et ce quelle que soit la nature du stimulus. Selon Andreas Nieder, qui a dirigé l’étude, « cela indique qu’à partir des informations qui leur sont présentées, les corneilles forment un concept numérique abstrait qu’elles utilisent pour planifier leurs vocalisations avant d’émettre les cris ».
En analysant les chants des oiseaux, les chercheurs ont aussi constaté qu’il était possible de prédire le nombre de croassements à partir de la tonalité du premier. Toutefois, leurs comptages n’étaient pas entièrement exempts d’erreurs. « Les erreurs de comptage, comme un cri de trop ou de moins, se produisaient lorsque l’oiseau perdait la trace des cris déjà émis ou à produire », explique Nieder. Ces erreurs sont également traçables dans les propriétés acoustiques des croassements individuels.
À noter également que les oiseaux ne peuvent pas littéralement compter comme les humains adultes (ou en âge de maîtriser les chiffres), mais plutôt comme les jeunes enfants qui ne maîtrisent pas encore le comptage symbolique. Par exemple, pour désigner trois objets, un enfant pourrait dire « un, un, un » ou « un, deux, trois », plutôt que simplement « trois ». Le nombre de sons émis correspond ainsi au nombre d’objets.
D’un autre côté, les résultats sont relativement prévisibles en vue des capacités cognitives exceptionnelles caractérisant les corbeaux (appartenant à la même famille que les corneilles) en général. Des recherches précédentes ont par exemple montré qu’ils pouvaient maîtriser les probabilités et comprenaient le concept de récursivité (une démarche dont la description mène à la répétition d’une même règle). Néanmoins, leur trajectoire évolutive semble indiquer que ces capacités sont exclusives et pourraient ainsi constituer un cas surprenant d’évolution cérébrale convergente.