L’épaisse couche de glace qui recouvre le Groenland, de plusieurs kilomètres au point le plus haut, a connu l’an passé un important déséquilibre. Le territoire a en effet affiché une perte nette de 600 milliards de tonnes de glace, un phénomène qui a provoqué une montée des eaux de 1,5 millimètre. Le Groenland a ainsi contribué à 40% de l’élévation totale du niveau de la mer en 2019 !
Le Groenland est un territoire d’une superficie de 2,16 millions de km², situé entre l’océan arctique et l’océan atlantique. La glace le recouvre sur près de 81 % de sa surface ; au centre, son épaisseur atteint près de 3 kilomètres. Jusqu’à la fin du XXe siècle, il maintenait un certain équilibre, accumulant chaque année autant de glace qu’il n’en perdait. Mais depuis plusieurs années, la fonte des glaces du Groenland s’accélère et constitue une véritable menace pour des millions de personnes qui pourraient être exposées à d’importantes inondations annuelles. À savoir que le Groenland contient suffisamment d’eau gelée pour élever le niveau des océans de sept mètres !
La fonte s’accélère, la neige manque
D’après l’Université technique du Danemark, la vitesse de la fonte des glaciers du Groenland a été multipliée par quatre entre 2003 et 2013. L’été dernier, le Groenland a connu les taux de fonte parmi les plus élevés de tous les temps. Le 1er août, l’équivalent de 4,4 millions de piscines olympiques s’est déversé dans les océans!
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Des spécialistes rapportent aujourd’hui dans la revue The Cryosphere, publiée par l’Union européenne des géosciences, que cette perte de glace spectaculaire observée l’an dernier n’était – pour la plus grosse partie – pas due à une simple augmentation des températures, comme on pourrait l’imaginer. En réalité, cette fonte accélérée est due à des systèmes météorologiques à haute pression, inhabituels, et inhérents au réchauffement climatique. Autrement dit, il fait (trop) beau au Groenland…
Ces conditions anticycloniques exceptionnelles ont bloqué la formation de nuages au sud du territoire ; de ce fait, la lumière du soleil non filtrée a fait fondre la surface glacée plus qu’à l’habitude. Et qui dit moins de nuages, dit forcément moins de neige : 2019 a également enregistré 100 milliards de tonnes de neige en moins que la moyenne calculée sur la période 1980-1999. Ce manque de neige a malheureusement un autre impact : la glace non recouverte par cette couche immaculée absorbe davantage la chaleur, ce qui accélère d’autant plus la fonte. Les causes de cette glace devenue noire ? Des poussières minérales provenant de zones où il n’y a plus de neige, et transportées par le vent ; à cela s’ajoute la suie provenant de feux de forêt, de plus en plus fréquents au Canada en été.
Si les conditions météo favorisent largement la fonte au sud, l’étude a montré que les conditions étaient différentes, mais pas meilleures dans les parties nord et ouest du Groenland, en raison de l’air chaud et humide provenant des latitudes inférieures. Ainsi, l’ensemble de ces facteurs entraîne une fonte et un ruissellement accélérés, créant des rivières torrentielles qui se dirigent vers l’océan en traversant la glace. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter… « Ces conditions atmosphériques sont de plus en plus fréquentes au cours des dernières décennies », a déclaré l’auteur principal de l’étude, Marco Tedesco, chercheur à l’Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l’Université Columbia.
En cause : des perturbations de haute altitude
Selon Marco Tedesco, le phénomène est bel et bien dû à des perturbations dans le courant-jet (ou courant d’altitude), un courant d’air rapide de haute altitude, situé entre la troposphère et la stratosphère. Ces flux se forment au niveau des zones de conflits entre les masses d’air, qui diffèrent par leur température et leur pression. Le courant-jet impliqué ici se déplace d’ouest en est, comme la plupart de ces courants d’altitude, sur la région polaire.
L’équipe de chercheurs explique que ces perturbations au niveau du courant-jet sont liées à diverses conséquences du réchauffement climatique : la disparition de la glace océanique, un réchauffement atmosphérique plus rapide dans l’Arctique et la disparition du manteau neigeux sibérien. En effet, les températures moyennes dans la région arctique ont augmenté de 2°C depuis le milieu du XIXe siècle, soit deux fois plus que la moyenne mondiale. Le réchauffement climatique a donc des répercussions terribles, même dans les plus hautes couches de notre atmosphère.
Si 2019 a marqué les esprits de par une fonte glaciaire exceptionnelle, des anomalies similaires ont déjà été observées – à moindre échelle – depuis plusieurs années. Toutefois, Tedesco et ses collègues soulignent que les effets dévastateurs des perturbations au niveau du courant-jet ne sont pas pris en compte dans les modèles climatiques utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour prédire l’impact du réchauffement climatique sur le Groenland. En d’autres termes, la situation pourrait être bien pire que prévu. « Il est probable que nous sous-estimions la fonte future d’un facteur deux », prévient Xavier Fettweis, co-auteur de l’étude et chercheur au laboratoire de climatologie de l’Université de Liège en Belgique.
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Les conclusions de cette nouvelle étude révèlent qu’en 2019, près de 70 % des eaux de ruissellement et des rejets d’icebergs étaient dus aux systèmes météorologiques à haute pression ; seule la part restante peut être attribuée au réchauffement direct de l’atmosphère inhérent au changement climatique. Pour preuve : le débit était comparable à celui de 2012 – une autre année record, mais les températures de l’air en 2019 étaient nettement inférieures.
Au total, le Groenland a perdu environ 4’000 milliards de tonnes de glace entre 1992 et 2018, provoquant une élévation du niveau moyen de la mer de 11 millimètres, selon une étude publiée en décembre 2019 dans Nature. Le GIEC estime que l’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre un mètre d’ici 2100, principalement en raison des fontes de glace du Groenland et de l’Antarctique occidental.