Afin de s’assurer que les personnes exposées au virus respectent bien les règles de confinement imposées, les autorités chinoises installent des caméras de surveillance directement à leur domicile. Ces caméras sont fixées au niveau de leur porte d’entrée, voire au sein même du logement selon certains témoignages. Dans ce pays où la surveillance et le contrôle des habitants est déjà largement répandu, sous des formes multiples, les citoyens sont désormais surveillés 24h/24, même dans leur vie privée.
Les solutions « numériques » permettant d’enrayer la crise sanitaire ont soulevé récemment quelques mécontentements. StopCovid, une application de traçage numérique présentée au début du mois, fait notamment l’objet d’un débat houleux. Conçue pour suivre la propagation de la maladie parmi la population française, elle doit permettre de tracer les personnes testées positives et de prévenir les personnes qu’elles ont croisées dans les 10 à 15 derniers jours.
Plusieurs pays européens ont d’ailleurs déjà développé des applications similaires. En France, il était prévu à l’origine qu’elle entre en vigueur dès le début du déconfinement progressif. Quelques questions restent toutefois à régler, concernant notamment la technologie Bluetooth à la base du fonctionnement – particulièrement gourmande en batterie, surtout si le mode est activé en permanence – et surtout, le stockage des données récoltées.
Des Chinois sous étroite surveillance
Ces deux derniers mois, plusieurs provinces chinoises ont ainsi installé des caméras pour vérifier que chacun respecte les règles inhérentes à la pandémie. Si le procédé peut nous surprendre et nous choquer, les Chinois sont, quant à eux, depuis longtemps habitués à une surveillance accrue de leurs faits et gestes.
Depuis 2 ans, le gouvernement – dans le cadre de son programme de « crédit social » – collecte de multiples informations via les réseaux sociaux et des caméras de surveillance pour évaluer les individus. Objectif : pénaliser les personnes qui ont un « mauvais comportement » en leur donnant une mauvaise note qui leur empêche d’accéder à certains services publics et privés (prendre le train ou l’avion, aller dans certains hôtels, postuler à certaines offres d’emploi, inscrire leurs enfants dans les meilleures écoles). À l’inverse, les personnes bien notées sont récompensées, par exemple en ayant accès à un meilleur rang sur les applications de rencontre ou des réductions sur des factures d’énergie.
Le South China Morning Post a rapporté par ailleurs l’utilisation d’un système de « surveillance émotionnelle » des salariés : les managers surveillent ainsi les ondes cérébrales de leurs employés afin de détecter d’éventuels signes de détresse. Des capteurs sont installés sur les casques ou autres couvre-chefs des travailleurs, puis des algorithmes d’IA se chargent d’analyser les données et signalent le moindre signe d’anxiété ou de colère. Lorsque le système émet un avertissement, l’employé est « invité » à prendre un jour de repos ou à occuper un poste moins critique.
La Chine n’a pas tardé à mettre en œuvre des solutions digitales en réponse au nouveau coronavirus. « La technologie joue désormais un rôle essentiel dans la maîtrise de la pandémie », a déclaré à CNN Xian-Sheng Hua, expert en IA de la santé. Le pays a donc pris les devants avec une application basée sur l’utilisation de QR codes. Concrètement, les citoyens doivent s’inscrire en fournissant toutes leurs informations d’identité, puis renseignent leurs antécédents de voyage et leur état de santé actuel. Un code couleur (vert, jaune ou rouge) leur est ensuite attribué, le rouge signifiant qu’ils doivent rester confinés. Ceci fait, dès lors qu’ils se rendent dans un lieu public (un restaurant ou leur lieu de travail par exemple), ils doivent scanner un QR Code, de manière à conserver un historique de tous leurs déplacements. L’application les avertit dès qu’ils ont été exposés à une personne malade.
Ces nouvelles caméras de surveillance, véritable incursion dans la vie privée, ne semblent déclencher aucune réaction visible de la part de la population, mais il est difficile d’exprimer son opinion dans un pays qui censure toutes les critiques.
Choisir entre sécurité et vie privée ?
Selon une analyse de Comparitech, dans le top 10 des villes les plus surveillées du monde se trouvent 8 agglomérations chinoises (pour comparaison, Paris se trouve à la 39e place du classement). D’ici 2022, la Chine envisage de disposer de 600 millions de caméras de surveillance dans ses espaces publics, soit l’équivalent d’une caméra pour deux personnes.
Des centaines de millions de caméras sont ainsi disséminées de par le monde pour des raisons de sécurité. Repérer les comportements suspects, détecter les émotions, ces caméras intelligentes nous scrutent pour mieux nous protéger. C’est tout du moins l’argument avancé par les concepteurs de ces solutions et les gouvernements qui les exploitent. « Qu’est-ce que vous préférez ? Être en sécurité ou éviter d’être scanné par une intelligence artificielle ? », demande Eylon Etshtein, PDG de la start-up israélienne AnyVision. « Moi, je veux être en sécurité ». Créée en 2015, son entreprise est spécialisée dans la reconnaissance faciale et vend dans 43 pays des logiciels permettant de surveiller des espaces publics.
Sur le même sujet : Une nouvelle application pourrait aider à ralentir la propagation du coronavirus
Dans un pays tel que la Chine, déjà très empreint de paranoïa sociale, la crise sanitaire n’a fait que renforcer le phénomène. Ailleurs, elle pourrait très bien servir de prétexte à une surveillance plus étendue des populations. Un système mis en œuvre à Moscou oblige désormais les habitants à télécharger un QR code pour se déplacer en ville : ils doivent s’inscrire sur un site web du gouvernement et déclarer à l’avance leur itinéraire ; le QR code leur donne alors l’autorisation de quitter leur domicile. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont eux aussi annoncé qu’ils travaillaient à leurs propres applications de suivi.
Si ces initiatives semblent être le meilleur moyen d’endiguer la propagation de la maladie et de mieux protéger les citoyens, les questions liées à la confidentialité des données de localisation et de santé divisent la communauté scientifique. La situation actuelle justifie-t-elle la mise en œuvre d’un totalitarisme numérique ?