La pandémie de COVID-19 faisant toujours rage dans de nombreux pays pourrait finir par également toucher les mammifères marins, selon une équipe de biologistes canadiens. En effet, les chercheurs ont montré que plusieurs relevés avaient mis en évidence la présence d’ARN viral de SARS-CoV-2 dans les eaux usées non traitées et qu’une partie non négligeable de ces eaux était rejetée dans les rivières, mers et océans, posant un sérieux risque pour les écosystèmes aquatiques et les mammifères qui y évoluent.
Certaines espèces de baleines, de phoques et d’autres mammifères marins en voie de disparition pourraient être victimes d’infections au SARS-CoV-2, transporté par les eaux usées qui s’infiltrent dans leurs habitats marins, indiquent des chercheurs de l’université de Dalhousie dans une nouvelle étude qui a révélé que certains des animaux sont très sensibles au virus.
Dans cette étude, publiée dans la revue Science of the Total Environment, l’équipe décrit comment elle a utilisé la cartographie génomique pour déterminer quels mammifères marins seraient vulnérables au SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. Ils ont examiné les acides aminés clés auxquels le virus se lie et ont constaté qu’il y avait des similitudes frappantes entre ceux des humains et ceux de plusieurs mammifères marins, y compris les dauphins, les bélugas, les phoques et les loutres de mer.
Des mammifères marins vulnérables au coronavirus SARS-CoV-2
Graham Dellaire, directeur de la recherche au Département de pathologie de Dalhousie, a dirigé l’étude utilisant une approche de modélisation pour prédire la sensibilité d’un mammifère marin au SARS-CoV-2. L’équipe a découvert qu’au moins 15 espèces de mammifères marins étaient sensibles à l’infection par le SARS-CoV-2 en raison de leurs récepteurs ACE2 — la protéine essentielle requise pour que le virus pénètre dans la cellule et l’infecte.
Surtout, plus de la moitié des espèces jugées vulnérables au SARS-CoV-2 sont déjà en danger d’extinction. « Beaucoup de ces espèces sont menacées ou en danger critique d’extinction. Dans le passé, ces animaux ont été infectés par des coronavirus apparentés qui ont causé à la fois une maladie bénigne ainsi que des lésions hépatiques et pulmonaires potentiellement mortelles », explique Dellaire.
L’équipe prédit que la majorité des espèces de baleines, de dauphins et de marsouins — 18 sur 21 — ont une sensibilité au virus égale ou supérieure à celle des humains, tandis que huit des neuf espèces de phoques sont également très sensibles au SARS-CoV 2. « Notre principale préoccupation se situe dans les pays en développement, où il existe déjà une disparité en matière de santé publique et d’infrastructure de traitement des eaux usées, nécessaire pour gérer la crise de COVID-19 », déclare Saby Mathavarajah, co-auteure.
« La surveillance des espèces sensibles dans ces zones à haut risque à travers le monde sera pertinente pour protéger la faune pendant et après la pandémie », ajoute-t-elle. Des études ont montré que le SARS-CoV-2 est excrété dans les matières fécales et peut survivre dans l’eau jusqu’à 25 jours, ce qui soulève la possibilité que les eaux usées fournissent un mode de propagation distinct pour ce coronavirus, comme cela s’est produit en Espagne, en Italie et en France, où le virus a été détecté dans les eaux usées non traitées.
Présence de SARS-CoV-2 dans les eaux usées non traitées
Par exemple, en Italie, le SARS-CoV-2 a récemment été détecté dans des eaux usées non traitées, tandis qu’à Paris, il a été montré que des concentrations élevées d’ARN viral dans les eaux usées entre mars et avril 2020 étaient corrélées à un pic de décès par dus à la COVID-19 environ sept jours plus tard. En juin, le SARS-CoV-2 a également été détecté dans l’eau d’un fleuve en Équateur, où des eaux usées sont acheminées directement dans les eaux naturelles.
De nombreuses municipalités ont au moins un traitement primaire des déchets, mais les systèmes d’égouts peuvent être défaillants dans certaines conditions, entraînant le débordement des eaux usées brutes directement dans les cours d’eau qui abritent des mammifères vulnérables. Il a été démontré que même les eaux usées traitées par des moyens primaires ont des niveaux détectables d’ARN viral.
Les eaux usées traitées primaires peuvent être rejetées par les étangs de décantation ou les lagunes, un risque que les chercheurs ont identifié comme un problème potentiel en Alaska, où les bélugas pourraient être infectés par des eaux d’égout s’écoulant dans les cours d’eau locaux à partir du système de lagunes de l’État.
« Au cours des derniers mois, notre laboratoire s’est concentré sur la détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées pour aider à comprendre les résultats de santé publique. Cependant, cette étude a permis de mettre en lumière une préoccupation environnementale potentiellement importante des eaux usées non traitées », déclare Graham Gagnon, professeur au Département de génie civil et des ressources de Dal.
Une surveillance nécessaire des mammifères marins et des systèmes de traitement
Il n’y a eu aucun cas documenté de SARS-CoV-2 chez les mammifères marins à ce jour, mais les dauphins et les bélugas ont été infectés par des coronavirus apparentés dans le passé. Et comme la plupart des mammifères marins sont sociaux, il est également possible que les coronavirus se propagent entre les animaux par contact étroit. Ainsi, un animal infecté pourrait menacer des populations entières.
Les auteurs suggèrent que les animaux sensibles pourraient être surveillés grâce à des innovations telles que l’échantillonnage par drone du mucus des trous de soufflage de baleines — appelé SnotBot — et proposent même de vacciner ces animaux. Ils recommandent également de limiter les interactions entre les personnes et les animaux dans les zoos pour les protéger d’une exposition potentielle au virus.
Enfin, ils disent que les systèmes de traitement des eaux usées devraient être évalués pour s’assurer qu’ils peuvent endiguer la transmission du virus par les eaux usées dans les systèmes d’eau naturels. « Compte tenu de la proximité des animaux marins avec des environnements à haut risque où des débordements viraux sont probables, nous devons agir avec prévoyance pour protéger les espèces de mammifères marins à risque et atténuer l’impact environnemental de la pandémie de COVID-19 », concluent les auteurs.