Un débris spatial se dirige vers la Lune, sur laquelle il devrait s’écraser début mars 2022. D’abord identifié comme un propulseur de fusée Falcon 9 de SpaceX, il s’agirait en fait du reste d’une fusée chinoise. Cependant, la Chine a nié lundi la responsabilité de ce débris, malgré la confirmation d’une équipe de l’Université d’Arizona.
Le nombre de débris spatiaux, leur masse combinée, et la surface totale qu’ils occupent sont en constante augmentation depuis le début de l’ère spatiale. Le grand nombre de fragmentations en orbite de véhicules spatiaux et d’étages de lanceurs s’ajoute au problème.
Entre 1959 et 2019, des dizaines d’engins spatiaux ont touché le sol lunaire, des kilos de déchets ont été abandonnés et quelques objets insolites y ont été déposés. On estime à 189 494 kg (soit 200 voitures) la masse de tous les objets que l’être humain a laissé sur la Lune.
De l’Amérique à la Chine…
Bill Gray, un chercheur indépendant en dynamique orbitale, a partagé des conclusions fin janvier indiquant qu’un booster SpaceX Falcon 9 abandonné, lancé en 2015, s’écraserait sur la Lune début mars 2022. Il a commencé à suivre ce morceau particulier de ferraille en mars 2015, environ un mois après le lancement du Falcon 9. Ce dernier a parcouru 1 million de miles (1,6 million de kilomètres) — près de quatre fois la distance Terre-Lune — pour aider l’Observatoire du climat spatial profond (DSCOVER) de la National Oceanic and Atmospheric Administration à initier son voyage vers le point de Lagrange 2, une orbite solaire gravitationnellement stable.
À l’époque, B. Gray souligne que lui et d’autres ont identifié ce débris comme le deuxième étage de la fusée. D’ailleurs, ces découvertes ont été confirmées par plusieurs astronomes éminents. Le Washington Post faisait partie des médias qui ont rendu compte de ses découvertes. B. Gray a expliqué, dans un article de blog, que « l’objet avait à peu près la luminosité à laquelle nous nous attendions, et s’était présenté à l’heure prévue, se déplaçant sur une orbite raisonnable ».
Après qu’un utilisateur de la base de données Horizons, gérée par Giorgini, générant des emplacements et des orbites pour environ 1,2 million d’objets dans le système solaire, a demandé à l’ingénieur s’il était certain que l’objet était de SpaceX, ce dernier l’a à nouveau examiné. Il a estimé que la trajectoire post-lancement de DSCOVR ne l’a pas amené si près de la Lune.
Giorgini a fait part de ses découvertes à Gray. Presque immédiatement, ce dernier a remarqué quelques incohérences avec sa théorie initiale, en particulier la façon dont la trajectoire de la fusée et son survol lunaire étaient différents de ce que les projections originales montraient. Son attention s’est portée sur une fusée d’origine chinoise. Le 23 octobre 2014, une fusée Longue Marche 3C a lancé le vaisseau spatial chinois Chang’e-5 T1, qui a fait le tour de la Lune avant de revenir sur Terre. Ce lancement était un précurseur du succès de la mission Chang’e-5 en 2020 qui a vu l’agence spatiale ramener des roches et de la poussière lunaires à étudier sur Terre.
La confirmation est venue des étudiants de l’Université d’Arizona (UArizona). À l’aide du système RAPTORS, un télescope au sommet du bâtiment des sciences spatiales de Kuiper sur le campus, ils ont effectué des observations, les nuits du 21 janvier et du 7 février (dernière fois où le morceau de fusée était visible).
Vishnu Reddy, professeur associé à l’UArizona, qui co-dirige le domaine spatial du Laboratoire de sensibilisation, déclare dans un communiqué : « Nous avons pris un spectre (qui peut révéler la composition matérielle d’un objet) et l’avons comparé avec des fusées chinoises et SpaceX de types similaires, et cela correspond à la fusée chinoise. C’est la meilleure concordance possible à ce stade ».
De plus, Campbell, l’un des étudiants de V. Reddy, s’est concentré sur la photométrie de l’objet, ce qui signifie qu’il a déterminé à quelle vitesse il tourne. Les corps de fusée ont un motif de luminosité distinct qui les rend facilement identifiables.
B. Reddy et ses étudiants fournissent ainsi des observations au Jet Propulsion Laboratory de la NASA pour aider à déterminer l’emplacement de l’impact, qui pourrait être imagé et vérifié par le Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) de la NASA. Ils estiment que le débris arrivera dans ou près du cratère Hertzsprung de l’autre côté de la Lune, la face cachée, le 4 mars.
« Ce sera le site archéologique le plus récent de la Lune », écrit l’archéologue de l’espace Alice Gorman dans un article publié sur Space.com. « Nous apprendrons quelque chose sur la géologie de l’emplacement grâce aux différences de couleur et à la distribution des matériaux éjectés. C’est l’occasion d’en savoir plus sur la mystérieuse face cachée de la Lune ».
À noter que personne ne sait où se trouve le deuxième étage de la fusée SpaceX, sûrement dans l’espace lointain…
La Chine réfute la version de la NASA
Mais le ministère chinois des Affaires étrangères a rejeté cette affirmation lundi en conférence de presse. Le porte-parole Wang Wenbin affirme que le booster en question est « entré en toute sécurité dans l’atmosphère terrestre et avait été complètement incinéré ». Il ajoute que Pékin « soutient consciencieusement la durabilité à long terme des activités dans l’espace ».
La Chine a pour objectif de devenir une superpuissance spatiale et a franchi une étape historique l’année dernière, avec le lancement de la plus longue mission avec équipage vers sa nouvelle station spatiale. La deuxième économie mondiale a investi des milliards dans son programme spatial militaire et espère éventuellement envoyer des humains sur la Lune.
Reste que, par le passé, la Chine a perdu le contrôle d’engins spatiaux, notamment en mai 2021 lorsque « la majeure partie » du premier étage d’une fusée Longue Marche-5B (qui a lancé le module de la station spatiale chinoise Tianhe sur l’orbite terrestre) s’était désintégrée au-dessus de l’océan Indien. En 2020, des débris d’une autre Longue Marche s’étaient écrasés sur des villages en Côte d’Ivoire, provoquant des dégâts, mais sans faire de blessés.
Quel suivi pour les débris spatiaux ?
B. Gray, qui a suivi des débris spatiaux, des astéroïdes et des objets près de la Terre pendant environ 25 ans, estime que, quel que soit le nom de la fusée, la collision imminente pourrait être « le premier cas involontaire » de débris spatiaux frappant la Lune. L’impact devrait créer un nouveau cratère, mais il n’endommagera pas la Lune de manière significative.
« Nous n’avons pas souvent l’occasion de suivre à l’avance quelque chose dont nous savons qu’il va frapper la Lune », a déclaré Tanner Campbell. « Il y a un intérêt particulier à observer comment les impacts produisent des cratères. C’est également intéressant du point de vue de la prédiction orbitale, car [ce débris] voyage entre la Terre et la Lune sans être propulsé. Nous pouvons donc évaluer nos modèles et nos prédictions ».
Ce booster n’est qu’un des nombreux débris spatiaux que l’équipe d’UArizona, et d’autres dans le monde, suivent. Il y a environ 3500 satellites actifs en orbite autour de la Terre, et 20 000 autres débris ou débris spatiaux, selon Reddy. Cependant, il y a beaucoup moins de débris spatiaux autour de la Lune. Par exemple, en 2018, l’équipe d’UArizona a suivi la station spatiale chinoise Tiangong-1 avant qu’elle ne tombe à la mer le 31 mars. En 2021, l’équipe a suivi la fusée Longue Marche 5B tombée sur Terre le 8 mai.
Comme le souligne B. Gray, « nous ne pouvons pas reprocher à SpaceX ou à la Chine de faire ce que tout le monde a fait pendant des décennies en ignorant simplement le problème ». Il conclut, avec ironie « je leur dirais que s’ils voulaient bien me faire savoir où vont leurs affaires en premier lieu, nous pourrions éviter ce genre de confusion ».
Espérons que l’attention récente accordée aux débris spatiaux encouragera une plus grande prise de conscience de ce qui flotte dans l’espace lointain et de leur « devenir ».