La célèbre technique d’édition de gènes CRISPR a permis de créer des organismes modèles exotiques. Cependant, il reste de nombreux défis à relever, comme par exemple des problèmes pratiques liés à la reproduction et au maintien de ces animaux de laboratoire dits non conventionnels.
Cela fait de nombreuses années que les scientifiques du monde entier étudient les animaux, les insectes et les plantes dans le but de comprendre avec précision comment ils vivent, se reproduisent et comment fonctionne leur cycle de vie.
C’est notamment le cas de Joseph Parker, entomologiste, qui étudie les insectes et qui s’est spécialisé sur les drosophiles (mouches du vinaigre), un organisme modèle dit établi. Et aujourd’hui, grâce à l’avènement de la technologie d’édition de gène CRISPR, Parker a pu étudier la symbiose chez les coléoptères (Staphylinidae), de manière absolument inédite, dans son laboratoire à l’Institut de technologie de Californie à Pasadena.
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C’est en éliminant certains gènes de coléoptères qui vivent avec des fourmis et de ceux qui ne vivent pas avec des fourmis, que Parker a pu analyser l’ADN des insectes modifiés à mesure que leurs modes de vie divergeaient : « Nous concevons un système modèle à partir de rien », a-t-il déclaré.
En effet, la technologie CRISPR permet aujourd’hui aux biologistes et aux scientifiques du monde entier de modifier rapidement les génomes d’organismes modèles populaires, tels que les souris, les mouches et les singes.
Sauf qu’aujourd’hui, les chercheurs souhaitent également utiliser cet outil puissant sur des espèces plus exotiques, dont beaucoup n’ont encore jamais été élevées dans un laboratoire ou dont on n’a encore jamais analysé l’ADN. « Nous sommes prêts à commencer à développer ce que nous appelons « organismes modèles » », a déclaré Tessa Montague, biologiste moléculaire à l’Université Columbia de New York.
À savoir que Montague et son équipe de recherche travaillent sur le calmar hawaïen (Euprymna scolopes) et la seiche naine (Sepia bandensis) : deux espèces de céphalopodes qui possèdent une technique de camouflage pour le moins inhabituelle, qui permet une sorte d’affichage extérieur de leur activité cérébrale. En effet, ces céphalopodes projettent littéralement des motifs sur leur peau pour que cela corresponde avec ce qu’ils voient autour d’eux.
Comme vous pouvez vous en douter, comprendre comment leurs cerveaux gèrent ce processus de stimuli a été bien compliqué pour les scientifiques chargés de le découvrir. En effet, de manière générale, les chercheurs auraient pu intégrer des électrodes ou d’autres capteurs sur le crâne des animaux, mais dans ce cas c’était techniquement impossible, vu que les calmars et les seiches ne possèdent pas d’os.
Cependant, en 2018, Montague et son équipe de recherche ont pu injecter des composants CRISPR dans des embryons de seiches et de calmars pour la toute première fois. À présent, l’équipe tente de modifier génétiquement les neurones des céphalopodes afin de mieux comprendre leur fonctionnement.
CRISPR : Une technique permettant de modifier le comportement
À travers le monde, d’autres chercheurs utilisent l’outil CRISPR pour étudier le comportement social distinctif d’une espèce donnée. C’est notamment le cas de Daniel Kronauer, un biologiste de la Rockefeller University de New York, qui a créé une fourmis raider (Ooceraea biroi) incapable de sentir les phéromones. Lors de ses expériences, il a constaté que les fourmis génétiquement modifiées n’étaient pas capables de maintenir la hiérarchie complexe que l’on observe généralement dans une colonie d’Ooceraea biroi.
D’autres chercheurs ont souhaité se pencher sur le cas d’espèces menaçant la santé humaine ou l’environnement, comme par exemple les pucerons verts du pois (Acyrthosphion pisum), qui attaquent les cultures dans le monde entier.
C’est plus précisément une équipe menée par Shuji Shigenobu, généticien en évolution de l’Institut national de biologie fondamentale à Okazaki au Japon, qui a utilisé l’outil d’édition CRISPR pour manipuler le cycle de vie complexe de cet insecte. À savoir que les pucerons femelles nées en été se reproduisent de manière asexuée en se clonant, tandis que celles qui sont nées en automne pondent des œufs.
Afin de pouvoir mener à bien leur expérience, les chercheurs de l’équipe de Shigenobu ont mis en place un incubateur simulant les températures plus fraîches d’automne, dans le but de mettre au monde des pucerons qui peuvent à leur tour pondre des œufs. Puis, les chercheurs ont injecté des composants CRISPR dans ces œufs, dans le but de les modifier génétiquement.
C’est après quatre ans d’expériences que l’équipe a réussi à éditer et à pigmenter un gène, « dans le but de valider la performance d’édition », a expliqué Shigenobu le mois dernier, au cours d’une conférence au Howard Hughes Medical Institute’s Janelia Research Campus à Ashburn, en Virginie (USA). L’équipe de recherche souhaite à présent modifier d’autres parties du puceron afin de pouvoir mieux comprendre la manière dont ces insectes interagissent avec les plantes.
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Bien entendu, de très importantes quantités d’argent et beaucoup de temps sont nécessaires pour développer de nouveaux modèles animaux. En 2016, la National Science Foundation des États-Unis a lancé un programme de 24 millions de dollars visant à créer des modèles d’organismes et, ce faisant, à définir les mécanismes génétiques et moléculaires à l’origine des caractéristiques et des comportements complexes. Ce programme encourage les chercheurs à créer des outils permettant de sonder les génomes, les organismes d’étude et les cycles de vie des espèces, ainsi que d’élaborer des protocoles pour les élever en laboratoire.
Cependant, malgré des résultats préliminaires qui sont très prometteurs à l’heure actuelle, cette volonté de créer des organismes modèles par le biais de l’utilisation de la technique CRISPR, a permis de mettre en lumière à quel point nous ne connaissons pas encore bien de très nombreux génomes, des cycles de vies et des habitudes de très nombreuses espèces.
De plus, les chercheurs se sont confrontés à des défis pratiques très importants, tels que la manière d’injecter les composants CRISPR dans des embryons, ou encore de réussir à faire en sorte qu’une espèce arrive à se reproduire en laboratoire. « La raison pour laquelle les systèmes modèles classiques ont été choisis est essentiellement car il s’agit de parasites : rien ne peut les empêcher de proliférer », a expliqué Montague.
Cela a donc forcé les scientifiques à se remettre en question et a se demander si l’effort nécessaire pour étudier un seul et unique trait chez un animal donné en valait la peine, par rapport aux avantages potentiels. D’autant plus que modifier un génome requiert une compréhension profonde du comportement et du cycle de vie de l’espèce avant modification, ce qui est un défi non négligeable lorsque cet organisme n’est étudié que par une poignée de personnes à travers le monde…
Néanmoins, malgré toutes les contraintes existantes connues, l’intérêt des chercheurs pour le développement de modèles animaux atypiques continue tout de même de croître. D’autant plus que Montague et ses collègues ont créé un outil appelé CHOPCHOP, qui leur permet de concevoir un système CRISPR pour éditer des gènes spécifiques dans tout extrait d’ADN donné.
Jusqu’à présent, des scientifiques du monde entier ont envoyé des séquences génétiques de plus de 200 espèces différentes à Montague et son équipe (y compris des extraits de plantes, de champignons, de virus et d’animaux d’élevage).
En effet, il ne faut pas oublier que l’outil moléculaire CRISPR est très puissant et qu’il est fonctionnel dans presque tous les organismes de la planète.