Des chercheurs de plusieurs grandes universités se sont associés avec des scientifiques de Google pour mener des recherches sur les potentialités des ordinateurs quantiques. Ils sont parvenus à créer et observer une nouvelle phase de la matière, appelée familièrement « cristal temporel ».
Pourquoi un « cristal » ? Parce que la structure d’un cristal est constituée d’atomes qui se répètent périodiquement dans l’espace, pour former une sorte de « motif ». Dans cette phase de matière, c’est dans le temps que la structure des atomes se répète. Et surtout, ce qui est notable, c’est qu’elle se répète de façon infinie, sans qu’aucun apport d’énergie ne soit nécessaire : un peu comme une horloge qui continuerait de tourner sans être alimentée. Le concept de cristal temporel avait été théorisé en 2012 par le prix Nobel Franck Wilczek. Ces nouvelles recherches semblent donc le confirmer.
Les recherches sur le potentiel des ordinateurs quantiques vont bon train actuellement. On parle même de « course au quantique », tant le futur de ces supercalculateurs fait l’objet de convoitises. En France, Emmanuel Macron a même présenté en janvier dernier un « plan quantique » à 1,8 milliard d’euros pour faire progresser les recherches dans ce domaine. Si ces machines suscitent tant d’intérêt, c’est parce que leur principe est d’utiliser des propriétés de la physique quantique pour exécuter des calculs bien plus rapidement que les ordinateurs actuels.
Pour rappel, la physique quantique s’intéresse au comportement de la matière et de la lumière à un niveau microscopique, ou atomique. En effet, en s’intéressant à la matière à cette échelle, les scientifiques se sont aperçus qu’elle présentait des comportements assez contre-intuitifs par rapport à la physique connue jusqu’alors. Leur étude a permis de faire émerger de nouveaux principes physiques, qui sont toujours en exploration aujourd’hui.
Une nouvelle phase « infinie » de la matière
Une équipe de scientifiques menée par le chercheur Xiao Mi exploite les capacités en devenir des ordinateurs quantiques. Même s’ils ne sont pas achevés, des prototypes existent en effet déjà. Les chercheurs se sont donc intéressés non pas au résultat final, le futur grand calculateur quantique, mais à ce que son utilisation actuelle peut déjà révéler. Ils ont pour cela utilisé l’ordinateur quantique Sycamore de Google.
« Pour résumer, nous prenons les appareils qui sont censés être les ordinateurs quantiques du futur et les considérons comme des systèmes quantiques complexes à part entière », a déclaré Matteo Ippoliti, chercheur postdoctoral à Stanford et co-auteur de ce travail. « Au lieu du calcul, nous utilisons l’ordinateur comme une nouvelle plate-forme expérimentale pour réaliser et détecter de nouvelles phases de la matière ». C’est ainsi qu’ils ont réussi à créer cette nouvelle phase de la matière connue sous le nom de « cristal temporel » et qui se situe à un état de « non équilibre ».
« Les cristaux temporels sont un exemple frappant d’un nouveau type de phase quantique de la matière hors d’équilibre », a déclaré Vedika Khemani, professeur adjoint de physique à Stanford. « Alors qu’une grande partie de notre compréhension de la physique de la matière condensée est basée sur des systèmes d’équilibre, ces nouveaux dispositifs quantiques nous offrent une fenêtre fascinante sur de nouveaux régimes de non-équilibre dans la physique à N corps ».
À l’origine, ce qu’on appelle un « problème à N corps », c’est une partie de la physique qui consiste à résoudre les équations du mouvement de Newton d’un certain nombre (N) de corps qui interagissent gravitationnellement, en prenant en compte leurs masses, leurs positions, leurs vitesses… L’appellation a été gardée dans un contexte où les scientifiques s’intéressent à un ensemble de particules liées par un quelconque potentiel. Ce qu’ils ont créé est lié à ce domaine.
Les scientifiques étudient en effet des « systèmes localisés à N corps hors d’équilibre ». Il s’agit de systèmes dans lesquels les particules sont « coincées » dans leur état de départ. Elles ne peuvent donc jamais se détendre pour arriver à un état d’équilibre. Ils se sont intéressés à ce qui pouvait arriver si l’on stimulait périodiquement ces systèmes via des lasers. En faisant cela, ils ont observé des phases stables de non-équilibre, mais surtout, ils en ont trouvé une ou les particules oscillaient entre différents motifs, répétés indéfiniment dans le temps.
Entre autres caractéristiques, c’est surtout le fait qu’il n’y ait dans ce processus aucune perte d’énergie qui a retenu leur attention. « Il n’y a pas d’alimentation en énergie, il n’y a pas de fuite d’énergie, cela continue indéfiniment et cela implique de nombreuses particules en interaction forte », résument les chercheurs. Le cristal ainsi créé était pour le moment imparfait, et les oscillations ne se répétaient donc pas vraiment indéfiniment. Les chercheurs ont cependant été capables d’utiliser l’ordinateur quantique pour cerner leurs propres limites et prouver la validité de la théorie du cristal temporel en tant que nouvelle phase de la matière à travers différents protocoles.