Molécules organiques et méthane saisonnier sur Mars : les découvertes capitales de Curiosity

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| Triff/Shutterstock
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La NASA vient enfin d’annoncer les découvertes effectuées par le rover Curiosity. Après s’être posé sur le sol martien le 6 août 2012, le robot a débuté sa mission d’exploration du cratère Gale et a pu fournir d’impressionnantes images de la planète rouge. Mais ce n’est pas tout, grâce à des prélèvements effectués le mois dernier, le robot vient de nous apporter d’étonnantes découvertes, au nombre desquelles la présence de molécules organiques complexes dans le sol martien.

Le cratère Gale est un cratère d’impact de 155 km de diamètre entourant un monticule central, le mont Sharp. Depuis 2012, les relevés de Curiosity ont apporté de précieuses informations aux scientifiques, notamment des indices d’anciens écoulements d’eau liquide. Les analyses sédimentaires ont permis de montrer qu’il y a plus de 3 milliards d’années, le cratère Gale, en étant le point de passage de rivières, était une importante région lacustre, c’est-à-dire une zone réunissant des conditions favorables à l’émergence d’une chimie prébiotique, et donc au développement de la vie.

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Vue d’artiste du cratère Gale et de son lac, tel qu’il était il y a 3 milliards d’années. Le cratère Gale est un cratère d’impact martien de 155 km de diamètre situé dans le quadrangle d’Aeolis. Les relevés effectués ont montré qu’il y a environ 3 milliards d’années, c’était une zone lacustre favorable à l’existence d’une chimie prébiotique, et donc au développement de la vie. Crédits : Kevin Gill

En 2014, le rover avait de nouveau fait parler de lui en ayant détecté de faibles traces de méthane — de formule CH4 —  ponctuées de pics multipliant parfois les quantités du gaz jusqu’à dix fois. Sur Terre, 95% du méthane est d’origine biologique, c’est ce que l’on appelle un « biogaz ». Il est issu de la fermentation de matériaux organiques en l’absence d’oxygène, et est le plus souvent produit par des archées (bactéries) méthanogènes ainsi que dans le tube digestif de plusieurs herbivores. Ce gaz peut donc servir de biosignature.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Par suite, Curiosity a traversé une phase de calme, jusqu’à aujourd’hui où il est revenu sur le devant de la scène avec d’importantes découvertes : l’existence de variations saisonnières des taux de méthane martien et la présence de molécules organiques complexes. « Ces deux découvertes représentent une avancée capitale en astrobiologie. Ces résultats démontrent de manière convaincante la détection tant attendue de molécules organiques sur Mars » affirme Inge Loes ten Kate, géochimiste à l’université d’Utrecht.

La présence de molécules organiques complexes dans le sol martien

L’analyse de prélèvements effectués grâce au bras mécanique du robot dans deux strates géologiques distinctes du cratère Gale, a offert aux scientifiques un historique de la chimie organique martienne des 300 derniers millions d’années. Les échantillons ont révélé la présence de molécules organiques complexes, parmi lesquelles du thiophène (un composé hétérocyclique aromatique de la famille des métalloles), du 2- t 3- méthylthiophène, du méthanéthiol (de formule CH3SH, il est présent dans le sang, le cerveau ou encore les déjections animales) et du diméthylsulfure (de formule (CH3)2S, principalement issue, sur Terre, de l’activité bactérienne).

molecule organique
Deux des molécules organiques complexes identifiées par l’instrument SAM de Curiosity. Ces molécules organiques sont composées de deux éléments primordiaux pour la vie, telle qu’on la connaît : le carbone et le soufre. Crédits : H. Padleckas/Benjah-bmm27

Ces molécules sont d’une importance capitale car elles sont constituées de deux atomes primordiaux pour l’existence de la vie telle qu’on la connaît : le carbone et le soufre. En effet, ce n’est pas la première fois que des molécules organiques sont détectées dans le cratère Gale, mais les précédentes contenaient majoritairement du chlore. Ce dernier est un élément majeur de plusieurs acides aminés comme la cystéine ou la méthionine, et intervient également dans les ponts disulfure qui stabilisent la structure des protéines. En outre, les analyses ont montré que ces molécules semblaient être des parties de molécules organiques encore plus complexes.

Pour identifier correctement ces composés organiques, Curiosity a utilisé un ensemble d’outils embarqués spécialisés nommé SAM (Sample Analysis at Mars). Cet ensemble se compose de trois instruments distincts : un chromatographe en phase gazeuse, un spectromètre de masse à quadrupôle et un spectromètre à absorption laser. Ces trois outils permettent d’analyser en détail la composition chimique des échantillons (de sol ou d’atmosphère) prélevés.

Pour ce faire, SAM est doté d’un système de pyrolyse (dénaturation par la chaleur) qu’il a utilisé pour chauffer les échantillons au-delà 600 °C, afin de libérer les différentes molécules organiques. Le principal problème de la dénaturation thermique est que la rupture des liaisons moléculaires permet aux fragments moléculaires de se recombiner.

Il est donc complexe pour les scientifiques de savoir si les molécules organiques observées étaient initialement présentes dans l’échantillon, ou s’il s’agit d’une recombinaison moléculaire ad hoc. Toutefois, la présence de telles molécules organiques à une époque de l’histoire de Mars où celle-ci était favorable au développement de la vie, est extrêmement enthousiasmante.

Les variations saisonnières du taux de méthane martien

Depuis leur découverte en 2014, les pics de méthane observés sur la planète rouge n’ont cessé de susciter la curiosité des astrochimistes, conduisant à l’hypothèse de la présence de sources d’hydrocarbures potentielles. Les données combinées de Curiosity et de la sonde ExoMars Trace Gas Orbiter lancée par l’ESA le 14 mars 2016, ont permis de mettre en évidence l’existence de bouffées de méthane, indiquant une variation dynamique des taux de méthane martien. Ces pics semblent disparaître aussi rapidement qu’ils apparaissent, révélant la présence d’un processus dynamique encore inconnu.

Les données récemment recueillies par le rover montrent un schéma variationnel du méthane fluctuant entre 0.24 et 0.65 ppm. En outre, ces fluctuations correspondent au déroulement des saisons martiennes, le pic de méthane étant atteint à la fin de l’été dans l’hémisphère nord. « C’est la première fois que nous observons un schéma répétitif dans l’historique du méthane martien, ce qui nous offre donc un moyen de mieux le comprendre » explique Chris Webster, astrochimiste au JPL.

Bien que l’hypothèse de la présence d’une vie bactérienne expliquant ces fluctuations de méthane soit tentante, quelques autres phénomènes géologiques doivent d’abord être exclus avant de l’envisager. Ce phénomène pourrait, par exemple, provenir d’un mécanisme d’altération géologique de l’olivine, appelé « serpentinisation », dont la transformation chimique relâche du méthane. Il pourrait également s’agir d’apports météoritiques cycliques ou du relargage de méthane piégé dans le sous-sol martien en hiver, puis réchauffé en été.

Les clathrates sont des structures moléculaires pouvant piéger d’autres composés chimiques en leur sein. C’est l’une des hypothèse évoquées pour expliquer l’origine des fluctuations saisonnières du méthane martien. Crédits : Rebrn

Une autre hypothèse est celle des clathrates. Les clathrates sont des structures moléculaires emprisonnant d’autres composés chimiques en formant un type de « nano-cage ». « Ces clathrates emprisonnent le méthane dans une structure cristalline et restent extrêmement stables durant des millions d’années, jusqu’à ce que les conditions environnementales changent et libèrent soudainement le méthane » explique Alan Duffy (université de Swinburne). Les scientifiques ont calculé que la température de libération correspondait à celle régnant aux pôles en hiver, et que l’inclusion de CO2 dans les clathrates pouvait diminuer la pression requise pour leur formation. Ils auraient donc pu se former quelques mètres sous la surface martienne.

Dans tous les cas, comme le rappelle l’astrophysicien Pierre Meslin (université Paul-Sabatier), « ni la circulation atmosphérique, ni le rayonnement UV, ni le cycle de pression, ni le cycle de température ne suffisent à l’expliquer. C’est un nouveau mystère martien… ». Des processus biologiques ne sont en effet pas à exclure et pourraient tout à fait expliquer ces phénomènes. « Est-ce que ce sont des signes de la présence d’une vie martienne ? Nous ne le savons pas, mais ces résultats nous indiquent que nous sommes sur la bonne voie » conclut Michael Meyer, directeur scientifique à la NASA.

Source : Nasa

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