Le 6 août 1945, la ville japonaise d’Hiroshima est soufflée dans l’explosion de la première bombe atomique larguée par l’armée américaine. Dans le déluge de flammes cauchemardesque qui s’abat sur la ville, une grande majorité des bâtiments et de l’infrastructure disparaît. Jusqu’à maintenant, les scientifiques ne savaient pas où avait bien pu passer la matière première qui constituait ces bâtiments. Mais une étude récente a montré que celle-ci se trouve en réalité sous la forme de sphérules vitrifiées microscopiques, réparties partout autour du point zéro.
En 2015, Mario Wannier, géologue et écologiste marin à la retraite, examinait des échantillons de sable de plage prélevés dans la péninsule de Motoujina au Japon, à seulement 6 kilomètres au sud de l’hypocentre d’Hiroshima. Wannier et son collègue de recherche, Marc de Urreiztieta, cherchaient principalement des traces d’organismes microscopiques appelés foraminifères dans les sédiments, mais ce n’est pas tout ce qu’ils ont trouvé.
« Il y avait autre chose » déclare Wannier. « C’est tellement évident quand vous regardez l’échantillon. Vous ne pouvez pas rater ces particules étrangères. Elles sont aérodynamiques, vitreuses, arrondies ».
Ils pensent que ces étranges particules de sphérules de verre — dont certaines ressemblent au genre de débris vitreux éjectés dans l’atmosphère lors des impacts de météorites — constituent jusqu’à 2.5% de tout le sable des plages autour d’Hiroshima. Wannier a fini par collecter environ 10’000 échantillons de ce grain inhabituel, qui ont été examinés par des chercheurs du Berkeley Lab et de l’UC Berkeley, par microscopie électronique et analyse aux rayons X.
Les restes vitrifiés de la ville d’Hiroshima
Les résultats, publiés dans la revue Anthropocene, suggèrent que la seule « explication cohérente » des particules de verre est qu’il s’agit de la première preuve rapportée de débris de retombées d’une explosion nucléaire en milieu urbain. Selon l’analyse de l’équipe, la matière première qui constituait jadis la ville d’Hiroshima — ses bâtiments, son acier et son béton — a été balayée par l’explosion nucléaire et a fondu dans une chaleur incroyable, avant de se refroidir et de retomber sur Terre en une pluie de fragments vitrifiés.
Ces éléments — appelés débris de chute de Motoujina (MFD) — ont été surnommés « Hiroshimaites », en référence à des analogues vitreux appelés trinitites, découverts auparavant sur le site d’essais nucléaires de Trinity au Nouveau-Mexique.
« Le matériau broyé est volatilisé et transféré dans le nuage, où la température élevée modifie les conditions physiques » explique Wannier. « Il y a beaucoup d’interactions entre les particules. Beaucoup de petites sphères entrent en collision, et vous obtenez cette agglomération ».
Sur le même sujet : Du carbone radioactif issu d’essais de bombes nucléaires a été retrouvé dans des tranchées océaniques profondes
L’hypothèse de retombée des chercheurs est difficile à prouver, mais l’équipe affirme que c’est la seule explication logique à la gamme de preuves détectées. Ces preuves incluent la microstructure unique des particules, la chaleur extrême qui aurait été nécessaire pour les former, et le volume impressionnant de sédiments sphériques (pesant des milliers de tonnes) mélangés au sable régulier des plages de la baie d’Hiroshima.
Une découverte tardive
Personne n’avait jamais découvert cela au cours des décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, surtout depuis que des scientifiques japonais analysaient la radioactivité du sol et du sable quelques jours après l’explosion de 1945. Suite à ces événements chaotiques, il n’est pas surprenant que les scientifiques n’aient pas accordé d’attention particulière à la forme des débris.
« Après les explosions nucléaires à Hiroshima et peu de temps après à Nagasaki, les sauveteurs, les médecins et les scientifiques ont concentré leurs efforts sur le traitement des souffrances humaines et la mesure des effets des radiations atomiques. D’une manière ou d’une autre, dans cette situation d’extrême urgence, la question de la localisation des structures urbaines construites disparues n’a pas été abordée » écrivent les auteurs.
Il reste de nombreuses questions en suspens, notamment la question de savoir si ces particules étranges présentent encore des traces de radioactivité à l’échelle submicroscopique. « C’est un trésor d’avoir découvert ces particules. C’est une histoire incroyable » conclut-il.