Du carbone radioactif issu d’essais de bombes nucléaires a été retrouvé dans des tranchées océaniques profondes

essai nucleaire
Le champignon de Baker : 2è essai nucléaire sur l'atoll Bikini aux Îles Marshall, par les États-Unis le 25 juillet 1946 (opération Crossroads).
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De nouvelles recherches ont révélé que le carbone radioactif rejeté dans l’atmosphère lors des essais de bombes nucléaires effectués au XXe siècle a maintenant atteint les parties les plus profondes des océans de la planète.

Une nouvelle étude révèle les toutes premières traces de carbone radioactif provenant d’essais de bombes nucléaires dans les tissus musculaires de crustacés vivant dans les tranchées océaniques profondes de la Terre, y compris au cœur de la fosse des Mariannes, où se trouve le point océanique le plus profond au monde.

Dans un premier temps, ce sont les organismes présents à la surface des océans qui ont incorporé ce « gaz carbonique » dans les molécules qui composent leur corps, et ce, depuis la fin des années 1950. Mais à présent, une nouvelle étude a permis de mettre en lumière le fait que les crustacés des profondeurs des tranchées océaniques se nourrissent de la matière organique de ces organismes de surface, lorsqu’ils tombent littéralement au fond des océans.

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De ce fait, les résultats de l’étude démontrent encore une fois clairement que la pollution humaine peut rapidement pénétrer dans le réseau alimentaire et se répandre dans les profondeurs de l’océan. « Bien que la circulation océanique prenne des centaines d’années pour amener de l’eau contenant une bombe [carbone] dans la tranchée la plus profonde, la chaîne alimentaire y parvient beaucoup plus rapidement », a déclaré Ning Wang, géochimiste à l’Académie chinoise des sciences de Guangzhou, en Chine, et auteur de la nouvelle étude.

organisme carbone
Hirondellea gigas : un type d’amphipode vivant dans les profondeurs. Celui-ci a été photographié dans la fosse des Mariannes. Crédits : Daiju Azuma/CC BY 2.5

« Il existe une très forte interaction entre la surface et le fond en matière de systèmes biologiques, et les activités humaines peuvent affecter les biosystèmes jusqu’à 11’000 mètres de profondeur. Nous devons donc faire attention à nos comportements futurs », a déclaré Weidong Sun, géochimiste à l’Académie chinoise des sciences de Qingdao, en Chine, et co-auteur de la nouvelle étude.

Selon les auteurs du papier, ces résultats permettent également de mieux comprendre comment les créatures se sont adaptées à la vie dans l’environnement pauvre en nutriments de l’océan profond. Par exemple, les crustacés qu’ils ont étudiés vivent très longtemps, avec un métabolisme extrêmement lent.

Il faut savoir que le carbone 14 est un carbone radioactif qui est créé naturellement lorsque les rayons cosmiques interagissent avec l’azote dans l’atmosphère. De ce fait, le carbone 14 est beaucoup moins abondant que le carbone non radioactif, mais les scientifiques peuvent le détecter chez presque tous les organismes vivants et l’utiliser pour déterminer l’âge des échantillons archéologiques et géologiques.

À noter également que les essais d’armes thermonucléaires effectués dans les années 1950 et 1960 ont doublé la quantité de carbone 14 dans l’atmosphère lorsque les neutrons libérés par les bombes ont réagi avec de l’azote dans l’air : les niveaux de ce « carbone de bombe » ont atteint leur maximum au milieu des années 1960, puis ont chuté à la fin des essais nucléaires atmosphériques. C’est ensuite dans les années 1990, que les niveaux de carbone 14 dans l’atmosphère ont chuté d’environ 20% au-dessus de leurs niveaux antérieurs au test. Ce carbone de bombe est donc rapidement tombé de l’atmosphère et s’est mélangé à la surface de l’océan.

explosion nucleaire
L’opération Plumbbob est le nom donné à une série d’essais nucléaires américains qui s’est déroulée du 28 mai au 7 octobre 1957 sur le site d’essais du Nevada. Il s’agit de la plus importante, de la plus longue et de la plus controversée des séries de tests nucléaires menées sur le territoire continental des États-Unis. Sur cette image, nous voyons le champignon de l’essai Priscilla, datant du 24 juin 1957. Crédits : U.S. Department of Energy

Les parties les plus profondes de l’océan sont connues sous le nom de zones hadales (ou zones hadopélagiques), qui correspondent aux fosses océaniques de subduction, où le fond de l’océan se trouve à plus de 6 kilomètres sous la surface. Ces zones se forment lorsqu’une plaque tectonique se sous-condense sous une autre. Les créatures qui habitent ces tranchées ont dû s’adapter aux pressions intenses, au froid extrême ainsi qu’au manque de lumière et de nutriments.

Dans le cadre de cette nouvelle étude, les chercheurs out souhaité utiliser le carbone de bombe comme traceur de matières organiques dans les zones hadales afin de mieux comprendre les organismes qui y vivent.

De ce fait, Wang et ses collègues ont analysé les amphipodes recueillis en 2017 dans différentes fosses, notamment la fosse des Mariannes (qui est, nous le rappelons, la fosse océanique la plus profonde actuellement connue et l’endroit le plus profond de la croûte terrestre). À savoir que les amphipodes sont un type de petits crustacés (avec une taille de l’ordre du centimètre, bien que certaines espèces abyssales puissent atteindre plus de 80 centimètres en raison du gigantisme abyssal) se nourrissant d’organismes morts ou de détritus marins.

Étonnamment, les chercheurs ont découvert que les concentrations de carbone 14 dans les tissus musculaires des amphipodes étaient bien supérieures à celles de la matière organique dans les eaux profondes des océans. Ils ont ensuite analysé le contenu intestinal des amphipodes et ont découvert que ces niveaux correspondaient aux niveaux estimés de carbone 14 prélevés sur des échantillons de matière organique récupérés à la surface de l’océan Pacifique. Cela suggère donc que les amphipodes se nourrissent de manière sélective des détritus de la surface de l’océan qui tombe au fond de l’océan.

Ces nouvelles découvertes ont permis aux chercheurs de mieux comprendre la longévité des organismes qui habitent dans ces zones profondes et comment ils se sont adaptés à cet environnement unique.

Autre fait intéressant à retenir : les chercheurs ont découvert que les amphipodes vivant dans ces zones grossissaient et vivaient plus longtemps que leurs homologues dans des eaux moins profondes. En effet, les amphipodes qui évoluent dans des eaux peu profondes vivent généralement moins de deux ans et atteignent une longueur moyenne de 20 millimètres. Cependant, les chercheurs ont découvert des amphipodes dans les zones plus profondes, âgés de plus de 10 ans et atteignant 91 millimètres de long.

Les auteurs de l’étude pensent que cette grande taille ainsi que cette longévité augmentée est probablement une conséquence de leur évolution quant à leur environnement caractérisé par des températures basses, des pressions élevées et une réserve alimentaire limitée. Ils suggèrent également que ces animaux possèdent un métabolisme très lent ainsi qu’un faible taux de renouvellement cellulaire, ce qui leur permet de stocker de l’énergie pendant de longues périodes.

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Cette nouvelle étude met également en lumière le fait que même les zones les plus profondes des océans de la Terre ne sont pas à l’abri des effets de l’activité humaine. En effet, « la recherche montre qu’en utilisant le carbone ‘de bombe’, les scientifiques ont pu détecter l’empreinte digitale de l’activité humaine dans les profondeurs les plus lointaines et les plus profondes de l’océan », a déclaré Rose Cory, professeur agrégé de sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université du Michigan (USA), qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude.

Les chercheurs ont également pu démontrer que la principale source de nourriture pour ces organismes était le carbone produit dans les océans de surface, plutôt que des sources plus locales de carbone déposé par les sédiments voisins. « Ce qui est vraiment novateur ici, ce n’est pas seulement que le carbone de la surface des océans puisse atteindre l’océan profond sur des échelles de temps relativement courtes, mais aussi que le ‘jeune’ carbone produit dans les océans de surface alimente ou maintienne la vie dans les tranchées les plus profondes », a ajouté Cory.

Source : Geophysical Research Letters

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