Des biologistes ont découvert au Kenya une nouvelle espèce de ver de farine pouvant se nourrir de polystyrène, rejoignant le petit groupe d’insectes capables de décomposer le plastique. Ses intestins abritent des populations bactériennes spécifiques produisant des enzymes dégradant efficacement le polystyrène. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à une nouvelle stratégie durable de recyclage des déchets, respectueuse de l’environnement et plus accessible.
La gestion des déchets plastiques est devenue une préoccupation environnementale mondiale majeure. Plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde et cette production devrait tripler d’ici 2060. La pollution plastique atteint des seuils critiques dans les pays en voie de développement en raison de la dépendance accrue aux importations, du faible taux de réutilisation et du manque d’alternatives de recyclage. L’Afrique est par exemple le deuxième continent le plus pollué, avec plus de 500 conteneurs de matériaux en plastique importés chaque mois. Or, le taux de recyclage de déchets plastiques n’est que de 14 à 18 %.
Le polystyrène, avec une production annuelle mondiale estimée à 20 millions de tonnes métriques, est parmi les plastiques les plus utilisés. Il est notamment employé pour le stockage alimentaire, l’emballage d’équipements, les matériaux d’isolation, etc. Cependant, il est particulièrement difficile à décomposer et les techniques actuelles pour le recycler (traitements chimique et thermique) sont à la fois coûteuses et peu respectueuses de l’environnement.
Les techniques de recyclage biologiques sont depuis peu proposées afin de surmonter ces problèmes. La capacité de certains insectes, tels que le ténébrion meunier (Tenebrio molitor), la fausse teigne de la cire (Galleria mellonella) et le Zophoba atratus (une espèce de ver de farine), à dégrader le polystyrène est explorée à cet effet. Ces espèces possèdent un microbiote intestinal spécifique leur permettant de décomposer ce plastique.
Cependant, la caractérisation et l’identification des bactéries et des champignons intestinaux des vers de farine pouvant dégrader le polystyrène faisaient jusqu’à présent défaut, en particulier en Afrique. La nouvelle étude du Centre international de physiologie et d’écologie des insectes (ICIPE), au Kenya, décrit une nouvelle espèce de ver de farine dont le microbiote intestinal dégrade efficacement le polystyrène. La recherche offre un nouvel aperçu des souches spécifiques impliquées dans le processus.
« En étudiant ces ‘mangeurs de plastique’ naturels, nous espérons créer de nouveaux outils qui permettront de se débarrasser des déchets plastiques plus rapidement et plus efficacement », explique dans un article publié dans The Conversation, Fathiya Khamis, le coauteur principal de la nouvelle étude. « Au lieu de relâcher un grand nombre de ces insectes dans les décharges (ce qui n’est pas pratique), nous pouvons utiliser les microbes et les enzymes qu’ils produisent dans les usines, les décharges et les sites de nettoyage. Cela signifie que les déchets plastiques peuvent être traités d’une manière plus facile à gérer à grande échelle », suggère-t-elle.
Une dégradation améliorée avec un régime mixte
Le ver de farine — décrit dans la nouvelle étude publiée dans la revue Scientific Reports — est une sous-espèce du genre Alphitobius, dont la période larvaire dure entre 8 et 10 semaines. On le trouve principalement dans les poulaillers où il est généralement considéré comme un nuisible et un réservoir potentiel d’agents pathogènes pour les volailles. Les chercheurs ont effectué un essai de plus d’un mois afin d’évaluer le potentiel de dégradation du polystyrène des larves. Pour ce faire, elles ont été nourries soit avec le plastique seul, soit avec du son (un aliment riche en nutriments couramment utilisé pour nourrir la volaille), soit avec une combinaison des deux.
Les vers nourris avec un mélange de son et de polystyrène montraient un meilleur taux de survie que ceux nourris uniquement avec du polystyrène. Ils ont également dégradé plus efficacement le plastique. Les vers soumis au régime mixte ont pu décomposer environ 11,7 % du polystyrène total au cours de la période d’essai.
Bien que les insectes puissent survivre uniquement avec du polystyrène en tant que source d’énergie, ces résultats suggèrent qu’ils ont tout de même besoin d’une alimentation riche en nutriments pour un potentiel de dégradation optimal. « Bien que le régime alimentaire à base de polystyrène ait permis la survie des vers de farine, ils n’avaient pas suffisamment de nutriments pour pouvoir décomposer efficacement le polystyrène », explique Khamis.
Des bactéries intestinales dégradant une large gamme de substances complexes
Le séquençage du microbiome intestinal des vers a montré des changements significatifs en fonction du régime alimentaire. Ceux nourris avec un régime avec du polystyrène présentaient des niveaux plus élevés de Proteobacteria et de Firmicutes, des bactéries connues pour s’adapter à diverses conditions environnementales et décomposer une large gamme de substances complexes. Le microbiote intestinal des larves présentait également une plus grande quantité de bactéries produisant des complexes enzymatiques pouvant dégrader les plastiques synthétiques, telles que Kluyvera, Lactococcus, Citrobacter et Klebsiella.
L’abondance de ces bactéries suggère qu’elles jouent un rôle essentiel dans la capacité des vers à décomposer le plastique. Cela indique une capacité d’adaptation environnementale : ces insectes n’étaient probablement pas initialement capables de dégrader le polystyrène. Ils adapteraient donc leurs microbiotes en fonction des nutriments disponibles dans leur environnement.
Par ailleurs, bien que d’autres insectes mangeurs de plastique aient précédemment été identifiés, la découverte de la nouvelle espèce est intéressante dans la mesure où les conditions environnementales en Afrique peuvent différer de celles d’autres régions du monde – sans compter le contexte socioéconomique nécessitant le besoin d’alternatives locales et accessibles. L’équipe suggère d’orienter les futures recherches sur l’identification des souches et des enzymes spécifiques impliquées dans la dégradation du polystyrène et d’autres types de plastiques. Il sera également essentiel d’évaluer la sécurité de la technique pour les cas d’utilisation à grande échelle.