La recherche axée sur Encelade, l’un des satellites naturels de Saturne, l’a progressivement classée parmi les meilleures candidates pour potentiellement abriter la vie, sa surface et ses océans de glace en contenant des éléments clés. Cependant, la dernière pièce du puzzle — le phosphore — n’a pas été directement détectée dans les échantillons de poussière d’Encelade récoltés par la sonde Cassini dans le cadre d’une première analyse. Mais une étude internationale a récemment confirmé sa présence (et en grande quantité), complétant la liste des six éléments essentiels à toute forme de vie et plaçant le satellite dans les favoris en matière d’habitabilité (au sein du système solaire).
Sur notre planète, chaque forme de vie est composée de six principaux éléments : le carbone, l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, le phosphore et le soufre. Sans ces éléments clés, la vie ne serait pas apparue sur Terre. D’autres paramètres doivent également être présents, notamment l’eau liquide. Au cours des 25 dernières années, les astrophysiciens se sont alors concentrés sur les astres glacés, dont certains possèdent des couches océaniques sous leur surface. Ce paramètre serait même plutôt courant dans notre système solaire : Europe, Titan, Encelade ainsi que quelques corps planétaires situés au-delà de l’orbite de Pluton.
La Terre maintient ses océans liquides grâce à sa distance idéale du Soleil. Mais dans le cas des corps planétaires comme Encelade, le Soleil est malheureusement trop éloigné pour réchauffer la surface de sorte à préserver un océan liquide. Toutefois, sous une épaisse surface glacée, les océans d’Encelade sont maintenus liquides grâce à son noyau chaud et actif. Cette particularité, qui ne serait pas si rare dans l’espace, augmente ainsi considérablement le nombre de planètes potentiellement habitables dans notre galaxie.
Comme la présence de l’eau liquide n’est pas aussi rare qu’on le pensait, « la quête de l’habitabilité extraterrestre dans le système solaire a changé d’orientation, car nous recherchons maintenant les éléments constitutifs de la vie, y compris les molécules organiques, l’ammoniac, les composés soufrés ainsi que l’énergie chimique nécessaire pour soutenir la vie », indique dans un communiqué Christopher Glein, co-auteur de la nouvelle étude publiée dans PNAS et chercheur doctorant au Southwest Research Institute.
Le phosphore en particulier, constitue un domaine de recherche très actif, car les scientifiques pensaient auparavant qu’il serait rare dans les océans d’Encelade. Or, les molécules phosphorées sont des composants métaboliques et structurels essentiels pour toute forme de vie, étant présents dans la synthèse de l’ADN, dans la structure des membranes cellulaires et même dans le microbiome marin.
En 2015, lorsque la sonde spatiale Cassini est passée à environ 49 km de la surface d’Encelade, son spectromètre de masse a pu analyser des échantillons de poussière projetée depuis les geysers à sa surface, alimentant l’anneau E de Saturne, sa planète mère. Le spectromètre a alors détecté divers composés tels que le carbone organique et inorganique, l’hydrogène moléculaire, divers composés azotés et oxygénés et aromatiques, de l’ammoniac, etc.
Cependant, le phosphore n’avait pas encore pu être détecté, car les analyses initiales ne pouvaient être effectuées que dans les spectres moyens. La nouvelle étude a alors réanalysé les échantillons récoltés par la sonde et comparé les résultats avec ceux (à haute résolution) obtenus précédemment par d’autres chercheurs. « Alors que l’élément bioessentiel phosphore n’a pas encore été identifié directement, notre équipe a découvert des preuves de sa disponibilité dans l’océan sous la croûte glacée du satellite », explique Glein.
Une concentration de phosphore plus élevée que sur Terre
La détection indirecte du phosphore dans les échantillons de poussière d’Encelade a été réalisée par des chercheurs issus de l’Académie chinoise des sciences, de la Division des sciences et de l’ingénierie spatiales du Southwest Research Institute, du CSIRO (Australie), de l’Université de Berlin et de l’Université de Washington. L’équipe a notamment réalisé des expériences à partir de modèles thermodynamiques et cinétiques, afin de simuler la géochimie des océans du satellite. Cette simulation vise à déterminer si les conditions du satellite permettent au phosphore d’être présent, ainsi qu’à évaluer s’il peut l’être en grande quantité, sous forme d’orthophosphate.
Les chercheurs ont alors découvert que la géochimie sous-jacente d’Encelade rendait inévitable la présence du phosphore, et ce en des quantités similaires ou supérieures à celles de nos océans. De plus, sur les 1000 particules de poussière issues des échantillons de Cassini, 9 comportaient des traces de phosphore. Cela pourrait indiquer que la concentration de cet élément dans les océans d’Encelade serait 100 à 1000 fois plus élevée que celle des océans terrestres.
Toutefois, le phosphore n’a pas encore été détecté dans les molécules contenant du carbone organique. Mais les chercheurs espèrent que des recherches plus approfondies permettront d’en déceler. « Ce que cela signifie pour l’astrobiologie, c’est que nous pouvons être plus sûrs qu’auparavant que l’océan d’Encelade est habitable », conclut Glein.