Les prouesses du petit hélicoptère de la NASA dépassent toutes les espérances. Après avoir survécu à un voyage de sept mois vers Mars, à un atterrissage périlleux et aux conditions environnementales inhospitalières de la planète rouge, Ingenuity a accompli son 12e vol le 16 août dernier, capturant des images extrêmement utiles pour les opérateurs du rover Perseverance ; un 13e vol est imminent. En matière de démonstration technologique, le petit engin a brillamment rempli son rôle.
Le succès n’était pourtant pas garanti. Avec une gravité bien inférieure à celle de la Terre et une atmosphère très peu dense, les conditions de vol sur Mars sont bien plus difficiles. Sans compter que les températures nocturnes, qui avoisinent les -90°C, menacent les composants électroniques de l’engin. Et pourtant, Ingenuity n’a fait qu’enchaîner les réussites depuis son vol inaugural du 19 avril, qui a fait de lui le premier engin motorisé à voler sur une autre planète.
Compte tenu de ces performances inattendues, la NASA exploite tant que possible les capacités du petit engin. « Tout fonctionne si bien. Nous nous débrouillons mieux en surface que nous ne l’avions prévu », se réjouit Josh Ravich, chef de l’équipe d’ingénierie mécanique d’Ingenuity. Au cours de sa mission, le petit hélicoptère est parvenu à voler jusqu’à 12 mètres d’altitude et son dernier vol — l’un des plus compliqués que l’équipe a exécuté jusqu’à présent, selon la NASA — a duré 2 minutes et 49 secondes.
Des conditions climatiques particulièrement favorables
Déjà 2,6 kilomètres parcourus et 21 minutes et 48 secondes de temps de vol cumulé depuis le déploiement d’Ingenuity sur Mars. La phase de démonstration technologique était constituée des cinq premiers vols, qui se sont déroulés sans encombre. « Je pense qu’au troisième vol, nous avions atteint tous nos objectifs d’ingénierie et obtenu toutes les informations que nous espérions obtenir », a déclaré Ravich.
La phase opérationnelle a donc démarré à compter du sixième vol, qui a bien failli être le dernier : en raison d’une défaillance technique, Ingenuity a dû se poser en urgence avant d’atteindre le site d’atterrissage prévu. Le dysfonctionnement était lié à une erreur de transmission d’images du sol, à partir desquelles l’unité de mesure à inertie de l’hélicoptère calcule les paramètres de navigation ; les erreurs de calcul générées ont fait dangereusement osciller l’engin, qui fort heureusement, est tout de même parvenu à atterrir en douceur.
Malgré ces péripéties, l’engin est toujours fonctionnel, et ce, après plus de six mois passés sur Mars ! Il survit pour l’instant au froid glacial des nuits martiennes grâce à la chaleur accumulée par les panneaux solaires, qui chargent ses batteries pendant le jour. Par chance, il a également bénéficié de conditions climatiques particulièrement favorables. « L’environnement a été très coopératif jusqu’à présent : les températures, le vent, le soleil, la poussière dans l’air… Il fait encore très froid, mais cela aurait pu être bien pire », souligne Ravich.
Si Ingenuity peut en théorie fonctionner encore un certain temps, l’hiver martien à venir pourrait compliquer les choses. La conjonction solaire martienne prévue pour la mi-octobre — lors de laquelle Mars passera derrière le Soleil — impliquera, quant à elle, un black out total des communications entre tous les engins présents sur Mars et la Terre pendant deux semaines environ. Si l’hélicoptère est toujours fonctionnel après cela, les vols d’exploration continueront tant que possible.
Des missions de reconnaissance pour Perseverance
L’hélicoptère est désormais utilisé pour explorer les chemins que Perseverance pourrait emprunter pour mener à bien sa mission — à savoir, effectuer des prélèvements de sol qui seront récupérés par une mission ultérieure puis analysés pour rechercher des traces de vie microbienne ancienne. Il était notamment prévu de guider le rover vers une région appelée South Seitha, mais les images en couleurs rapportées par la dernière mission d’Ingenuity pourraient remettre cette destination en question : il s’avère qu’elle semble moins intéressante que ne le pensaient les scientifiques.
Les chercheurs ne disposaient jusqu’à présent que de photos de la zone prise par l’orbiteur ; sur la base de ces données, ils pensaient que le site pourrait éventuellement être un trésor de géologie complexe, source d’informations précieuses alors que l’équipe tente de caractériser la géologie de la région et de comprendre son histoire. Le giravion a survolé la zone afin de rechercher des signes de roches sédimentaires (qui auraient pu être déposées dans l’eau), des affleurements rocheux intrigants accessibles et des itinéraires sûrs pour le rover. « Les couches sédimentaires dans les roches ne sont pas facilement apparentes sur l’image, et il peut y avoir des zones qui pourraient être difficiles à négocier avec le rover », conclut Ken Farley, responsable scientifique de Perseverance. En d’autres termes, l’hélicoptère permet aujourd’hui d’optimiser les trajets du rover et de lui éviter des déplacements inutiles.
Le 13e vol, qui était prévu pour le 4 septembre au plus tôt, devrait se dérouler prochainement. L’hélicoptère survolera à nouveau le South Seitha, à une altitude de huit mètres, pour explorer plus précisément la zone ; il se concentrera notamment sur une zone d’affleurements aperçue lors du vol précédent et prendra des photos sur un autre angle de vue pour mieux guider le rover.
En parallèle, les ingénieurs de la NASA travaillent déjà sur les successeurs d’Ingenuity, des hélicoptères nouvelle génération plus massifs. « Quelque chose dans les 20 à 30 kilogrammes peut-être, capable de transporter des charges utiles scientifiques », a précisé Ravich (pour rappel, Ingenuity ne pèse que 1,8 kg). Les charges utiles dont il est question pourraient être les échantillons de roche prélevés par Perseverance, que la NASA prévoit de récupérer lors d’une future mission dans les années 2030.