Comme chez les humains, la fonction cognitive canine décline tout au long de la vie du chien. Ils sont devenus de fait des modèles précieux pour comprendre la maladie d’Alzheimer. Mais cette démence chez les chiens est difficile à identifier. Récemment, à travers une vaste étude nationale de chiens de compagnie participant au Dog Aging Project, des chercheurs révèlent que les chiens âgés de plus de dix ans voient leur risque de développer une démence augmenter chaque année. Ils ont pu caractériser de manière plus précise ce déclin cognitif canin et les voies d’amélioration, tout en créant une base de données pour la maladie d’Alzheimer.
Les maladies neurodégénératives associées au vieillissement sont devenues de plus en plus répandues parmi la population mondiale vieillissante. Selon l’OMS, plus de 55 millions de personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée dans le monde. Mais les voies pathologiques complexes qui conduisent au développement de cette maladie ne sont pas encore entièrement comprises et peuvent être difficiles à étudier in vivo dans les premières phases de la progression de la maladie. Alors que des modèles animaux transgéniques ont été largement utilisés pour l’étudier, des limites ont été identifiées, qui ont incité à se tourner sur des modèles animaux non transgéniques, les chiens.
En effet, le dysfonctionnement cognitif canin présente de nombreuses similitudes avec la maladie d’Alzheimer, tel que le dépôt de plaques amyloïdes β. Comme chez les humains, la fonction cognitive canine décline tout au long de la vie du chien. Les signes cliniques de ce déclin semblent liés à des déficits d’apprentissage et de mémoire, à une perte de conscience spatiale, à des interactions sociales altérées et à des habitudes de sommeil perturbées.
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Mais il est difficile de l’identifier, étant donné que les nombreux changements de comportement sont considérés comme une partie normale du vieillissement par le propriétaire. Sans compter que d’autres problèmes de santé peuvent occulter le début de la démence, qui est généralement observé chez les chiens de plus de huit ans, mais peut survenir chez des chiens de six ans.
Récemment, une équipe de chercheurs américains a mené une étude de grande envergure portant sur 15 019 chiens inscrits au Dog Aging Project, une enquête en cours sur la maladie canine et le vieillissement. Ils ont identifié les principaux facteurs associés au risque qu’un chien développe le cas extrême de dysfonctionnement cognitif canin, semblable à la maladie d’Alzheimer, ainsi que le rôle clé de l’activité physique. Leurs travaux sont publiés dans la revue Scientific Reports.
Un risque accru chaque année dès 10 ans
Alors que des études antérieures ont trouvé un lien entre le vieillissement et le déclin cognitif canin, elles ont eu tendance à être beaucoup plus restreintes que cette nouvelle étude. Comme mentionnée précédemment, les chercheurs se sont basés sur les données du Dog Aging Project.
Fondé en 2014 par Kate Creevy, Daniel Promislow et Matt Kaeberlein, ce projet recueille des informations sur des dizaines de milliers de chiens à travers les États-Unis à mesure qu’ils vieillissent. D’ailleurs, en 2021, ils ont publié un article apportant quelques pistes pour que les chiens vivent plus longtemps. Ce projet d’étude, financé par le National Institute on Aging, est lancé par l’Université Cornell, l’Université de Washington et l’Université de l’Arizona, afin d’étudier les liens potentiels entre la maladie d’Alzheimer et cette démence canine, et déterminer si elle est déclenchée par les mêmes facteurs génétiques et environnementaux.
Concrètement, les auteurs ont demandé aux propriétaires de chiens de compagnie de remplir deux sondages. L’un d’eux contenait des questions sur les chiens, leur état de santé (âge, stérilisation) et leur activité physique, afin d’établir un modèle mathématique fiable. Le second servait à évaluer la fonction cognitive des chiens. En analysant plus de 15 000 chiens, les auteurs ont noté que seulement 1,4% des chiens de l’étude ont montré des signes de la maladie. Néanmoins, pour les chiens de plus de dix ans, chaque année de vie supplémentaire augmente le risque de développer une démence de 52%.
Sans compter que, parmi les chiens de même âge, état de santé, type de race et statut de stérilisation, les risques de démence étaient 6,47 fois plus élevés chez les chiens qui n’étaient pas actifs par rapport à ceux qui étaient très actifs, tout comme chez les humains. Les auteurs précisent que ces observations peuvent refléter une variété de mécanismes biologiques, y compris une réduction des cytokines pro-inflammatoires dans le cerveau, qui contribuent sinon aux dommages neuraux et à la mort, et une augmentation de la plasticité neurale.
Ils ajoutent : « Bien que cela puisse suggérer que l’exercice régulier pourrait protéger les chiens contre la démence, nous ne pouvons pas être sûrs de ce type de conclusion. Les chiens atteints de démence ou présentant des signes précoces de démence peuvent être moins susceptibles de faire de l’exercice ». En effet, les chiens atteints de démence peuvent se perdre dans des lieux familiers, se retrouver dans une impasse derrière des meubles. Leur mémoire défaillante ne leur permet pas de se rappeler qu’ils peuvent tout simplement reculer, alors qu’ils ont généralement une étonnante conscience de leur corps.
De plus, cette étude démontre que les chiens ayant des antécédents de troubles neurologiques, oculaires ou auditifs, avaient également un risque plus élevé de développer un dysfonctionnement cognitif.
Des progrès futurs pour la maladie d’Alzheimer et le bien-être canin
L’un des avantages d’utiliser des chiens pour étudier la maladie d’Alzheimer est que la progression du déclin cognitif canin se produit beaucoup plus rapidement que chez l’Homme, simplement parce que les chiens ont une durée de vie plus courte. Jan Krumsiek, professeur adjoint de physiologie et biophysique à Weill Cornell Medicine, qui étudie le métabolisme de la maladie d’Alzheimer, explique dans un communiqué présentant le programme Dog Aging Project : « Il y a certaines maladies où chez l’Homme, il faut attendre 5, 10, 20 ans pour vraiment voir quelque chose. Alors que chez le chien, cela ne prend qu’un an ou deux ».
Les chiens sont également de meilleurs modèles animaux pour étudier la maladie d’Alzheimer que les souris, qui ont traditionnellement été utilisées, mais ne développent pas naturellement un type de démence similaire, a déclaré Kaeberlein, co-auteur de l’étude. Il ajoute : « Les chiens de compagnie vivent avec leurs propriétaires dans l’environnement humain, et c’est quelque chose que nous ne pouvons vraiment pas recréer en laboratoire ».
Ces découvertes pourront dans un premier temps aider les vétérinaires à mieux diagnostiquer la démence chez les chiens et trouver des traitements permettant de réduire le risque. La prise d’anti-inflammatoires permettrait notamment de soulager les douleurs articulaires afin de maintenir en activité plus longtemps les chiens prenant de l’âge. Comme il y a un lien clair entre le niveau d’activité et le développement d’un déclin cognitif canin, ce simple geste pourrait réduire le risque.
Dans un second temps, les données collectées et analysées sur les chiens pourront servir de base pour les recherches de diagnostics précoces et de traitements chez l’Homme souffrant de la maladie d’Alzheimer.