Il y a 1,5 million d’années, un ancêtre de l’espèce Homo a laissé ses empreintes sur les rivages boueux d’un lac, désormais connu sous le nom de site de Koobi Fora, situé dans le nord du Kenya. En 2021, ces traces fossilisées ont été mises au jour par une équipe de paléoanthropologues. Toutefois, ces empreintes ne constituaient qu’une partie des vestiges préhistoriques dissimulés en ces lieux. En poursuivant leurs investigations, les chercheurs ont découvert que cet individu n’était pas seul. Deux autres séries d’empreintes parallèles, espacées d’environ un mètre, ont été découvertes. Selon l’équipe, ces traces constituent une preuve directe de la coexistence de plusieurs espèces d’hominines bipèdes.
En 2021, Kevin Hatala, paléoanthropologue à l’Université de Chatham à Pittsburgh, et son équipe, ont mis au jour l’empreinte d’une cigogne géante dans les gisements du lac Turkana. À proximité, ils ont découvert les traces d’un hominine, spécifiquement d’Homo erectus, proche cousin de l’Homo sapiens depuis sa divergence avec le chimpanzé. En 2022, l’équipe a poursuivi ses fouilles, s’appuyant sur l’expertise d’autres spécialistes, et a révélé deux nouvelles empreintes.
Récemment, l’équipe a confirmé dans une étude publiée dans Science que ces empreintes avaient été laissées par deux espèces distinctes, Homo erectus et Paranthropus boisei, qui se seraient trouvées en ces lieux à quelques heures ou quelques jours d’intervalle. Cette découverte apporte de nouvelles preuves contredisant l’hypothèse avancée par Ernst Mayr dans les années 1950, selon laquelle deux espèces d’hominidés ne pouvaient coexister.
Louise Leakey, paléoanthropologue à l’Université de Stony Brook et co-auteur de la nouvelle étude, a dirigé les recherches. Elle explique qu’il y a 1,5 million d’années, six espèces d’hominines peuplaient l’Afrique. « Nous avons découvert des fossiles d’Homo erectus, d’Homo habilis, de Paranthropus boisei, entre autres », a-t-elle déclaré au journal EL PAIS. En effet, des fossiles d’Homo et de Paranthropus boisei ont été trouvés sur plusieurs sites africains, dans des couches sédimentaires similaires.
Cependant, la possibilité que ces fossiles se soient accumulés sur des milliers d’années dans une même couche sédimentaire n’est pas à écarter. Étant donné l’étendue des gisements, les paléoanthropologues n’ont pu déterminer la nature des interactions éventuelles entre les deux espèces. Selon Leakey, c’est la première preuve directe de la présence simultanée de deux espèces au même endroit et au même moment. « Il est possible qu’ils aient observé la grande cigogne, les chevaux et d’autres animaux présents sur le littoral », ajoute-t-elle.
Lors des premières analyses, les chercheurs ont noté des différences notables entre ces empreintes et celles des humains modernes, tant au niveau de l’anatomie du pied qu’au niveau du modèle de contact généré par la marche. Pour déterminer précisément à quelle espèce appartenaient ces traces, l’équipe a eu recours à une technologie avancée de numérisation 3D. En comparant ces empreintes à celles d’humains modernes, les chercheurs ont pu identifier Homo erectus et Paranthropus boisei.
La divergence alimentaire, clé de la coexistence
Paranthropus boisei, doté d’un crâne avec une mâchoire massive et des molaires imposantes, se nourrissait principalement de plantes fibreuses. Cependant, avec les changements climatiques et sa stricte dépendance alimentaire végétale, il s’est éteint il y a environ 1,2 million d’années. Homo erectus, en revanche, plus élancé et omnivore, parcourait de longues distances pour chasser et cueillir, ce qui expliquerait sa prospérité durant près de 1,5 million d’années. Homo erectus consommait une variété d’aliments, incluant viandes et végétaux divers, ce qui lui permettait de s’adapter à différents environnements.
« En raison de leurs adaptations alimentaires distinctes, il est possible que les deux espèces n’aient pas été en concurrence directe pour les ressources », avance Hatala. L’équipe souligne que cette découverte soulève d’autres questions sur la manière dont ces deux espèces auraient pu interagir.