Déterminer l’heure à la seconde prêt n’est pas simple. Pour ce faire, les différentes institutions qui en sont chargées utilisent des horloges atomiques dispersées à travers le monde et synchronisées entre elles par des satellites. Cependant, la nouvelle génération d’horloges, des horloges atomiques optiques, nécessite une synchronisation bien plus précise que celle offerte par les satellites. Pour remédier à ce problème, une collaboration internationale de physiciens a utilisé des signaux provenant non pas de satellites, mais de quasars distants de milliards d’années-lumière afin de synchroniser des horloges atomiques optiques situées au Japon et en Italie via un réseau de radiotélescopes. Une prouesse qui, au-delà de la métrologie, devrait offrir un nouveau moyen d’étudier d’autres domaines, comme la relativité générale.
À l’aide de radiotélescopes, les physiciens ont connecté des horloges atomiques optiques sur différents continents. Une prouesse issue d’une collaboration internationale entre 33 astronomes et experts en horloge de l’Institut national des technologies de l’information et des communications (NTIC, Japon), l’Istituto Nazionale di Ricerca Metrologica (INRIM, Italie), l’Istituto Nazionale di Astrofisica (INAF, Italie) et le Bureau international des poids et mesures (BIPM, France). Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Physics.
Le BIPM de Sèvres près de Paris calcule régulièrement l’heure internationale recommandée pour l’usage civil (UTC, Coordinated Universal Time) à partir de la comparaison d’horloges atomiques via les communications par satellite. Cependant, les connexions satellites indispensables au maintien d’un temps global synchronisé n’ont pas suivi le développement de nouvelles horloges atomiques : des horloges optiques qui utilisent des lasers interagissant avec des atomes ultra-froids pour donner un tic-tac très précis.
« Pour tirer pleinement parti des horloges optiques en UTC, il est important d’améliorer les méthodes de comparaison d’horloge dans le monde entier », explique Gérard Petit, physicien au département du temps du BIPM. Dans cette nouvelle recherche, des sources radio extragalactiques à haute énergie remplacent les satellites comme source de signaux de référence.
Deux radiotélescopes pour synchroniser les horloges
Le groupe de Mamoru Sekido du NICT a conçu deux radiotélescopes spéciaux, l’un déployé au Japon et l’autre en Italie, pour réaliser la connexion en utilisant la technique d’interférométrie à très longue base (VLBI). Ces télescopes sont capables d’observer sur une large bande passante, tandis que les paraboles d’antenne de seulement 2.4 mètres de diamètre les maintiennent transportables. « Nous voulons montrer que le VLBI à large bande a le potentiel d’être un outil puissant non seulement pour la géodésie et l’astronomie, mais aussi pour la métrologie », indique Sekido.
Pour atteindre la sensibilité requise, les petites antennes ont fonctionné en tandem avec un plus grand radiotélescope de 34 m à Kashima, au Japon, lors des mesures prises du 14 octobre 2018 au 14 février 2019. Pour le radiotélescope de Kashima, il s’agissait de l’une des dernières observations avant que le télescope soit irrémédiablement endommagé par le typhon Faxai en septembre 2019.
Le but de la collaboration était de connecter deux horloges optiques en Italie et au Japon, séparées par une distance de base de 8700 km. Ces horloges chargent des centaines d’atomes ultra-froids dans un réseau optique, un piège atomique conçu avec une lumière laser. Les horloges utilisent différentes espèces atomiques : l’ytterbium pour l’horloge de l’INRIM et le strontium pour le NTIC. Tous deux sont candidats à une future redéfinition de la seconde dans le Système international d’unités (SI).
« Aujourd’hui, la nouvelle génération d’horloges optiques pousse à revoir la définition de la seconde. La voie d’une redéfinition doit relever le défi de comparer les horloges à l’échelle mondiale, à l’échelle intercontinentale, avec de meilleures performances qu’aujourd’hui », explique Davide Calonico, responsable de la division « Métrologie Quantique et Nanotechnologie » et coordinateur de la recherche à l’INRIM.
Des quasars à la place des communications satellites
La connexion est possible en observant des quasars à des milliards d’années-lumière : des sources radio alimentées par des trous noirs faisant des millions de masses solaires, mais si éloignées qu’elles peuvent être considérées comme des points fixes dans le ciel. Les télescopes visent une étoile différente toutes les quelques minutes pour compenser les effets de l’atmosphère.
Des antennes comme celles transportables utilisées dans ces mesures peuvent être installées directement dans les laboratoires développant des horloges optiques dans le monde entier. Selon Sekido, « un réseau mondial d’horloge optique connecté par VLBI peut être réalisé grâce à une collaboration entre les communautés internationales de métrologie et de géodésie, tout comme le réseau VLBI à large bande du VLBI Global Observing System (VGOS) a déjà été établi ».