Sous-espèce du loup, le chien domestique (ou Canis lupus familiaris) a besoin d’être dressé et socialisé quand il entre dans une famille humaine. Bien souvent, on ne sait pas vraiment comment s’y prendre et on se demande si « dominer » son chien est nécessaire. Pour autant, une meute de loups est-elle identique à une meute de chiens ? Et une meute de chiens peut-elle correspondre à une « meute » humain/chien ? Les résultats des études ont bien évolué sur le sujet, si bien qu’aujourd’hui il semble désuet de calquer le comportement des chiens sur celui de leurs ancêtres les loups.
Même s’il est difficile de connaître avec précision quand a débuté la domestication du chien par l’humain, des résultats publiés en 2017 dans Nature Communications suggèrent qu’elle a eu lieu en une seule fois, il y a entre 20 000 et 40 000 ans. Une chose est sûre, le « meilleur ami de l’Homme » est la première espèce domestiquée par lui.
À l’époque du Paléolithique, l’Homme, comme le loup, vit le plus souvent en meute, car il est un être social, et chaque membre du groupe possède un rôle bien particulier en son sein. D’après certains auteurs, il en serait de même pour le chien à l’état sauvage, même si les meutes de loups et les meutes de chiens présentent quelques différences.
Une « meute de chiens » remise en cause depuis une quinzaine d’années
Composée d’une dizaine de membres, la meute de chiens est menée par un chef « alpha », mâle ou femelle ; chez le loup, il s’agit forcément d’un mâle (le seul à pouvoir se reproduire). En réalité, la meute de chiens est dirigée par un couple alpha, suivis en dessous dans la hiérarchie par un ou plusieurs chien(s) bêta qui assurent leur protection. Viennent ensuite les chiens gamma et les chiens omega au rang le plus bas, lequel est constitué de chiens âgés ou malades. Certaines meutes sont créées par l’Homme, comme celles composées de chiens domestiques de chasse et des attelages de chiens de traîneau.
Pour bien dresser et socialiser un chien, certains estiment qu’il faut se baser sur le fonctionnement de son ancêtre le loup, en considérant l’instinct de meute. Le chien aurait besoin d’une hiérarchie au sein de la famille qui l’accueille, et le maître de se comporter en « chef de meute » en insistant sur la domination de son animal. Selon ce même principe, il y aurait des chiens à caractère dominant et d’autres à caractère soumis, plus faciles à éduquer.
Toutefois, cette vision simpliste est largement remise en cause par des études depuis une quinzaine d’années. Le chien a beaucoup évolué depuis sa domestication par l’Homme et il est désormais bien plus proche de nous qu’il ne l’est de son cousin le loup : il peut même ressentir nos émotions et y réagir ! Même s’il semble agressif, le chien ne cherche pas à dominer son maître et, par ailleurs, il a même été montré qu’il peut tout à fait vivre seul à l’état sauvage.
Le concept de dominance utilisé à tort pour expliquer le comportement de certains chiens
Une étude anglaise parue dans le Journal of veterinary Behavior remet complètement en cause le concept de « dominance » chez les chiens domestiques, en particulier dans ce contexte de comportement agressif. « Bien que la dominance soit à juste titre une propriété des relations [entre deux individus par exemple], elle a été utilisée à tort pour décrire un trait supposé des chiens individuels », écrivent les chercheurs.
D’après eux, il a souvent été suggéré (à tort) que chez le chien domestique, le désir d’être dominant est à l’origine du comportement d’agressivité en particulier. Pourtant, « de nombreuses études récentes sur les meutes de loups ont remis en question l’existence d’une correspondance directe entre la dominance au sein d’une relation et le comportement agonistique, et contrairement aux loups, les structures sociales hiérarchiques ont peu de rapport avec le comportement reproductif dans les meutes de chiens sauvages », expliquent-ils.
Au sein de la relation chien/humain, la notion de dominance est également dépassée selon les auteurs. Ils expliquent par exemple qu’un chien qui a reçu une punition de la part de son maître retiendra dans quel état se trouvait ce dernier au moment de la punition, et tentera de provoquer par la suite des comportements d’apaisement. Si cela ne fonctionne pas, le chien peut morde pour se défendre et, en règle générale, l’agression s’arrête là. Dans ce cas, le chien n’est pas dominant par rapport à son maître, c’est un simple comportement de défense.
La relation de dominance interspécifique (entre des espèces différentes) n’existe donc pas, pas plus qu’au sein de l’espèce elle-même. De précédentes études ont analysé le comportement de chiens retournés à l’état sauvage et il a été constaté que les échanges de comportements agressifs et soumis ne correspondent pas non plus au modèle prédit à partir du comportement des loups. Aucune hiérarchie globale n’a pu être détectée : il n’y avait pas de coopération entre les individus, notamment dans l’élevage des jeunes ou l’obtention de nourriture.
Ces résultats sont toutefois à modérer par d’autres, un autre suivi de centaines d’individus ayant permis de détecter des groupes sociaux plutôt cohérents. Mais les comportements de dominance/subordination étaient quand même bien moins présents chez ces chiens que chez les meutes de loups. Les auteurs anglais concluent que les chiens ne forment pas de meute semblable à une meute de loups, même dans le cas où ils sont laissés libres d’interagir comme ils le souhaitent. D’autres chercheurs estiment que la capacité à former une hiérarchie dépend de la race du chien. Il n’en est rien, puisque la race d’un chien n’expliquerait que 9% des variations de comportement d’après une étude publiée cette année.
Loups et chiens : des différences d’écologie sociale
Des chercheurs autrichiens vont plus loin dans l’explication des différences de comportement entre les loups et les chiens en intégrant leur niche alimentaire et leur organisation sociale (ou écologie sociale), au lieu d’un simple résultat de la sélection de traits désirables par l’humain (par exemple la docilité, l’attention aux humains, la sociabilité). « Nous suggérons que les différences observées entre chiens et loups, notamment dans leur interaction avec l’environnement (néophobie, persistance, prise de risque) et avec leurs congénères (tolérance, coopération, communication), doivent également être prises en compte dans le cadre de leur écologie sociale », écrivent-ils dans leur étude.
« La dépendance réduite des chiens vis-à-vis des membres de la meute (pour la chasse et l’élevage des petits) et leur plus grande dépendance vis-à-vis des petites sources de nourriture dispersées qu’ils recherchent surtout de manière solitaire, peuvent avoir relâché le besoin de communication intraspécifique et de tolérance autour des sources de nourriture, ainsi que le besoin de capacités d’apprentissage social et de compétences coopératives ». De grandes différences avec les meutes de loups qui expliquent que finalement, dresser un chien n’est pas comme dresser un loup. Il s’agit peut-être simplement de le considérer comme son égal, en lui faisant comprendre raisonnablement quand il dépasse les limites fixées.