Ces dernières années, l’évolution des technologies de véhicules aériens sans pilote ou autonomes est ternie par des présentations d’utilisations militaires, voire terroristes, et c’est plus que dommage… Heureusement, d’autres acteurs envisagent d’utiliser ces technologies pour de bonnes causes. Dans une nouvelle annonce, l’Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) déclare qu’elle utilisera des drones pour identifier et directement secourir des bateaux de migrants en difficulté, en larguant des radeaux.
Le projet de surveillance par drone des eaux européennes est annoncé par la signature, le 14 octobre, d’un contrat de quatre ans avec le consortium REACT, incluant la société de technologie portugaise Tekever et l’entreprise française CLS, filiale du CNES. L’objectif est d’adapter des drones AR5 développés par Tekever, en les munissant d’un système de largage de radeaux. Le consortium disposera notamment de 30 millions d’euros sur toute la durée du contrat.
Pilotés à distance, les aéronefs déploieront une capacité jusqu’ici jamais vue pour un système sans pilote destiné au sauvetage : un grand radeau pouvant transporter jusqu’à huit personnes. Un défi technique de taille étant donné la proximité de largage avec les personnes à secourir. Il pourrait être utilisé pour venir en aide aux migrants qui tentent de traverser la mer Méditerranée. Il s’agit également de la première fois qu’un système aérien sans pilote est introduit dans des missions de surveillance maritime en Europe.
Quatre drones bimoteur pour secourir jusqu’à 32 personnes à la fois
« Nous avons testé avec succès la nouvelle capacité Lifesaver du TEKEVER AR5, en déployant des radeaux de sauvetage avec une très grande précision selon un processus entièrement automatisé. Cette nouvelle capacité, qui sera déjà disponible dans les prochains contrats, nous permet de fournir une première réponse dans les situations d’urgence. Pour la première fois, et au-delà de la détection des personnes en détresse, nous pouvons maintenant faire immédiatement quelque chose pour les aider. Cela va directement dans le sens de notre mission, qui est de rendre la mer plus sûre », déclare à CLS le PDG de Tekever.
L’AR5, un aéronef bimoteur sans pilote de grande envergure (7 mètres), est spécifiquement conçu pour des missions de patrouille maritime. Au total, le projet initial impliquera quatre drones AR5, qui en plus de leur capacité de transport idéale, développent une autonomie de vol impressionnante : 20 heures à 100 km/h.
Les drones, dont le radeau de sauvetage sera placé dans une trappe de largage, sont équipés des dernières technologies de vision et de détection : des caméras visuelles et infrarouges, un radar maritime et un détecteur permettant de capter et localiser les émissions des téléphones portables.
Certes, les avions larguent des radeaux de sauvetage depuis des décennies, mais c’est du jamais vu pour un largage par drone. Celui que transporte l’AR5, bien qu’il s’agisse d’un petit dispositif autogonflant dépourvu de moteur, fait tout de même 14 kg. Il servira à assurer la flottaison jusqu’à l’arrivée des sauveteurs. Mais ce qui rend ce système si innovant, c’est surtout sa capacité à remplir sa mission en toute sécurité.
Un défi de taille, surmonté grâce à l’IA
Si la mission constitue un tel défi technique, c’est parce que larguer un radeau suffisamment près des personnes à secourir dans l’eau pour qu’elles puissent l’atteindre facilement, mais sans risquer de les heurter, demande une grande précision de pilotage et une synchronisation parfaite entre l’envoi des commandes et l’action du drone. Pour compenser ces manques, présents dans tout système de commande à distance en raison de la latence de transmission, Tekever mise sur l’IA.
La société a développé une IA capable d’utiliser en temps réel les données des caméras visuelles et infrarouges avec des algorithmes de détection pour déterminer la position des individus dans l’eau. Elle combine ces données avec celles des instruments concernant la hauteur et la vitesse de l’avion, ainsi qu’avec les données météorologiques, pour calculer un point de chute exact.
Cela permettra de placer automatiquement le radeau là où il est nécessaire, actuellement réglé à 50 mètres des personnes en difficulté. Ce largage « tout calculé » ne nécessitera qu’un simple feu vert de l’opérateur. Le rôle de la société française CLS est de fournir les communications par satellite pour que l’AR5 puisse être contrôlé à distance.
Selon les estimations, plus de 1400 personnes se sont noyées dans la mer Méditerranée en 2020 en tentant de migrer. Bien que ce type de système puisse permettre de sauver de nombreuses vies en mer, certains experts en drones se disent sceptiques quant au fait qu’ils ne finiront pas par être utilisés par les agences des forces frontalières à un moment donné. Il est en tout cas difficile d’en tirer des conclusions à ce stade. Cependant, il faut préciser que l’AR5 a déjà été utilisé par l’EMSA pour de la surveillance maritime générale.
En effet, l’EMSA utilise des drones pour la surveillance maritime dans plusieurs mers, et collabore sur diverses questions avec Frontex, l’agence des frontières et des garde-côtes de l’Union européenne. « Le Tekever AR5 ne sera pas utilisé pour rechercher des migrants, ni pour recueillir des données sur les bateaux de migrants qui seraient transmises à Frontex », déclare un porte-parole de Tekever.
Cependant, personne ne peut garantir que ces drones ne seront pas utilisés pour dissuader les migrants à un moment donné. Des articles de presse suggèrent que les migrants tentent parfois d’échapper à la détection en traversant par temps de brouillard, mais les capteurs de l’AR5 fonctionnent dans tous types de conditions… Si la zone est entièrement patrouillée par des drones, certaines personnes pourraient choisir de ne pas entamer leur migration à travers la mer, sachant qu’elles pourraient être repérées et potentiellement arrêtées.
Des critiques insistent sur le fait que les drones ne remplacent pas un service de recherche et de sauvetage maritime efficace. Outre la surveillance du trafic d’êtres humains, le programme de l’EMSA pourrait également utiliser les drones pour aider à lutter contre la pêche illégale, la pollution et la contrebande. Mais comme le spécifie le site web de l’entreprise, le système sera également mis à l’épreuve pour la surveillance de la pollution et des marées noires dans l’océan Atlantique, la mer du Nord et la mer Méditerranée. Cela rend cette technologie trop intéressante pour s’arrêter à des contre-arguments basés sur des craintes politiques et éthiques.