En tentant de comprendre pour quelles raisons un animal aussi grand — l’éléphant — développe peu de tumeurs, des scientifiques ont découvert chez eux une capacité de ressusciter des gènes morts afin que ceux-ci activent les mécanismes de suicide des cellules cancéreuses.
On pourrait supposer que les éléphants, des animaux qui ont beaucoup plus de cellules que nous, soient plus propices à développer des cancers. Mais il semblerait que ceux-ci possèdent des mécanismes plus efficaces de détection des risques de tumeur.
Cet animal est un parfait exemple de ce qui est appellé le « paradoxe de Peto » : nommé ainsi par l’épidémiologiste Richard Peto, le paradoxe met en évidence le fait qu’il n’y a aucune corrélation entre le risque de cancer et le nombre de cellules d’un organisme. Cette théorie controversée insinue que les espèces ayant évolué pour être plus grandes ont aussi développé des méthodes permettant d’éliminer plus rapidement les cellules cancéreuses.
Mais il existe certaines exceptions à ce paradoxe, comme le démontre cette étude sur les différentes races canines, où des chercheurs avaient montré une plus grande incidence de tumeurs chez les espèces de chiens de grande taille, rendant le paradoxe de Peto toujours contestable.
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Un groupe de scientifiques de l’Université de Chicago a découvert un mécanisme moléculaire expliquant le faible taux de mortalité due au cancer chez les éléphants.
Dans une étude publiée en 2015, des chercheurs avaient suggéré que TP53, un gène suppresseur de tumeurs présent chez les éléphants (l’équivalent du gène p53 chez les humains), est exprimé lors de dommages sur l’ADN pour activer sa réparation ou, si trop endommagé, sa mort cellulaire (apoptose).
Chez la plupart des mammifères, ces gènes anti-tumeurs sont dupliqués, mais chez les éléphants, plus de vingt réplications de TP53 ont été répertoriées, expliquant certainement l’impressionnante efficacité de leurs cellules à stopper à temps le développement d’une tumeur.
L’idéal pour le groupe de recherche aurait été de réaliser l’étude directement sur les éléphants, mais contrairement aux souris qui deviennent adultes et se reproduisent plus rapidement, la grossesse des éléphants dure deux ans, et ceux-ci ne sont capables de se reproduire qu’à l’âge de dix ou quinze ans (selon les espèces).
Ils ont donc effectué une approche alternative en travaillant sur des échantillons de tissus des éléphants ainsi que sur ceux d’autres espèces proches comme les lamantins et les hyracoïdes. Ils y ont ajouté des substances mutagènes afin de favoriser l’apparition de cancers.
En le comparant aux autres espèces proches, ils ont constaté que les cellules des éléphants répondaient différemment aux dommages sur l’ADN : elles se « suicidaient » directement.
« Comme les cellules des éléphants mouraient aussitôt que leur ADN était endommagé, il n’y avait pas de risques pour ces dernières de devenir cancéreuses » déclare Vincent Lynch, un généticien ayant participé à la recherche.
Cependant, le gène TP53 n’est pas le seul acteur suspecté de participer à ce mécanisme. Un autre gène présent également chez les humains, nommé « facteur inhibiteur de leucémies » (LIF), qui s’est également répliqué de nombreuses fois dans le génome de l’éléphant, montre aussi des signes d’activité lors de la suppression des tumeurs.
Lorsque les gènes possèdent plusieurs copies, il arrive souvent que certaines d’entre elles deviennent inactives, en raison des mutations les rendant impossibles à exprimer. Dès lors, ces dernières sont appelées « pseudogènes ».
Mais étrangement, un des pseudogènes de LIF nommé LIF6, « ressuscite » lorsque le génome de l’éléphant est « endommagé ». Après l’avoir étudié plus attentivement, les chercheurs pensent que LIF6 est lié à TP53, et suggèrent que TP53 s’active lorsque l’ADN est endommagé, mais que c’est LIF6 qui active les mécanismes de l’apoptose.
Lynch déclare : « L’expression de TP53 active en retour le gène LIF6, qui peut ensuite aller dans la mitochondrie, causant une fuite de son contenu et enclenchant l’apoptose ».
Cette découverte est d’autant plus étonnante que de précédentes recherches avaient montré que le gène LIF pouvait favoriser l’apparition de tumeurs chez les humains, dans certaines conditions.
Néanmoins, une compréhension totale de ce mécanisme chez l’éléphant permettrait d’envisager son application sur les humains, et ainsi de diminuer fortement notre taux de mortalité due au cancer, qui est actuellement de 11-25%, alors qu’il n’est que de 5% chez le pachyderme.