Depuis lundi 14 mars, la Terre est frappée par une série de tempêtes solaires légères, faisant suite à une éruption solaire modérée quelques jours auparavant, en direction de la Terre. Le Space Weather Prediction Center de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis et le Met Office britannique ont tous deux émis des avis pour les tempêtes géomagnétiques légères et modérées. La NOAA prédit que, sur une période de deux semaines, il y a 80% de chances que la Terre subisse les effets d’un « coup direct » de l’une de ces tempêtes. Cependant, elles ne sont pas susceptibles de causer des dommages, à l’exception de certaines transmissions radio éventuellement brouillées. Cependant, au niveau des circuits informatiques des satellites, les conséquences peuvent être plus dramatiques.
La couronne du Soleil — la région la plus externe de son atmosphère — entre en éruption, éjectant du plasma et des champs magnétiques dans l’espace. En une dizaine de minutes, ce n’est pas moins d’un milliard de tonnes de matière solaire qui est expulsée. Si l’éjecta est dirigé vers la Terre, sa collision avec le champ magnétique terrestre peut provoquer des tempêtes géomagnétiques, également appelées tempêtes solaires.
Dans un premier temps, les explosions solaires, connues sous le nom d’éjections de masse coronale (EMC), se produisent lorsque les lignes de champ magnétique dans l’atmosphère du Soleil s’emmêlent et se brisent. Ensuite, ces éjectas naviguent à travers le système solaire grâce au vent solaire. Ces derniers émergent des régions de plasma plus froides et moins denses dans l’atmosphère du Soleil, avec des champs magnétiques plus ouverts. Ces régions permettent au vent solaire de s’échapper plus facilement, soufflant un rayonnement électromagnétique dans l’espace à très grande vitesse. Si la zone fait face à la Terre, ces vents peuvent souffler droit sur nous. En passant juste au-dessus de la Terre, ils compriment le bouclier magnétique de notre planète et déclenchent une tempête géomagnétique.
Effectivement, la première chose que le vent solaire frappe en s’approchant de la Terre est la magnétosphère. Cette région entourant l’atmosphère terrestre est remplie de plasma composé d’électrons et d’ions. Il est dominé par le puissant champ magnétique de la planète. Lorsque le vent solaire frappe la magnétosphère, il transfère masse, énergie et quantité de mouvement (ou momentum, correspondant au produit de la masse et de la vitesse en physique mécanique) dans cette couche. La magnétosphère peut absorber la majeure partie de l’énergie portée par des vents solaires quotidiens. Néanmoins, lors de fortes tempêtes, elle peut être surchargée et transférer l’énergie excédentaire vers les couches supérieures de l’atmosphère terrestre près des pôles, à l’origine des aurores boréales. Ces transferts d’énergie sont également source de changements dans la haute atmosphère, pouvant nuire aux actifs spatiaux. Selon les prévisions de Space Weather, les 14 et 15 mars atteignent des niveaux maximaux de 6 et 5, respectivement, sur l’indice Kp de l’activité géomagnétique, comportant dix niveaux.
Le soleil arrive dans son maximum solaire
Depuis la mi-janvier, le Soleil subit des éjections de masse coronale presque tous les jours, selon la NOAA. Actuellement, nous nous dirigeons vers la partie la plus intense du cycle d’activité de 11 ans du Soleil, le maximum solaire. C’est la période où les tempêtes solaires et les éjections sont les plus actives. Le prochain maximum solaire sera atteint vers juillet 2025, avec une activité solaire susceptible d’augmenter constamment.
Il est alors difficile de prédire le degré d’activité d’un cycle donné, mais il existe des preuves suggérant que nous pourrions entrer dans le cycle le plus puissant enregistré à ce jour. À l’inverse, le minimum solaire, lorsque le champ magnétique du Soleil est le plus faible, se produit lorsque les pôles magnétiques du Soleil changent de place. Le minimum solaire le plus récent a eu lieu en décembre 2019.
C’est ainsi que les éruptions solaires se produisent à une fréquence variable, selon où se trouve le Soleil dans son cycle solaire de 11 ans, moins d’une se produisant chaque semaine pendant les minimums solaires, à plusieurs éruptions quotidiennes pendant la période maximale.
Leurs intensités oscillent de la même manière. Par exemple, la tempête électromagnétique de 1859 est le plus grand événement de ce type jamais enregistré, surnommé l’événement Carrington. Il a poussé les aurores boréales du nord jusqu’aux Caraïbes et a suralimenté les lignes télégraphiques au point de combustion. Si une telle tempête devait se produire aujourd’hui, les dommages aux systèmes de satellites et de télécommunications de la Terre seraient estimés à des milliers de milliards de dollars américains, nécessitant des mois voire des années de réparations. Une tempête moins puissante en mars 1989 a tout de même provoqué la fonte d’un transformateur électrique dans le New Jersey. Elle a également mis hors service le réseau électrique du Québec en quelques secondes, bloquant 6 millions de personnes dans le noir, pendant neuf heures, jusqu’à ce que l’équipement du système puisse être vérifié et réinitialisé séquentiellement.
Des conséquences pour les satellites et les infrastructures terrestres
Les courants induits par les tempêtes géomagnétiques peuvent saturer les noyaux magnétiques des transformateurs de puissance, provoquant une augmentation de la tension et des courants circulant dans leurs bobines, entraînant des surcharges.
La structure et la densité de l’ionosphère terrestre changent avec les tempêtes solaires. Il faut savoir que l’ionosphère est la couche supérieure de l’atmosphère terrestre ionisée par les rayons UV solaires, s’étendant depuis environ 80 kilomètres d’altitude jusqu’au-delà de 1000 kilomètres. L’ionosphère et la magnétosphère sont connectées par le biais des lignes de force magnétiques. Celles-ci sont des conducteurs d’électricité presque parfaits. Les changements dans l’ionosphère peuvent donc perturber et tout simplement bloquer les transmissions radio haute fréquence et ultra haute fréquence par satellite. Les systèmes de navigation GPS sont également susceptibles d’être perturbés lors de ces événements.
Le Dr Sten Odenwald du Goddard Space Flight Center de la NASA, déclare : « Une tempête solaire dans le pire des cas pourrait avoir un impact économique similaire à un ouragan de catégorie 5 ou à un tsunami. Il y a plus de 900 satellites fonctionnels avec une valeur de remplacement estimée de 170 à 230 milliards de dollars, soutenant une industrie de 90 milliards de dollars par an, perte de service et perte de profit ».
Space X en a fait l’amère expérience le 4 février 2022, avec le lancement de 49 satellites dans le cadre du projet Internet Starlink. La plupart ont brûlé dans l’atmosphère quelques jours plus tard pour une perte de plus de 50 millions de dollars américains. Les satellites Starlink sont largués par des fusées Falcon 9 sur une orbite à basse altitude, généralement entre 100 et 200 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre. Les satellites utilisent ensuite des moteurs embarqués pour surmonter lentement la force de traînée et s’élever jusqu’à leur altitude finale d’environ 550 kilomètres. Mais les derniers satellites ont rencontré une tempête géomagnétique alors qu’ils étaient encore en orbite terrestre très basse. Leurs moteurs n’ont pas pu surmonter la traînée considérablement accrue. Ils ont alors amorcé une chute lente vers la Terre pour finalement brûler dans l’atmosphère.
Mais peut-on éviter ces conséquences ?
Afin de prédire l’arrivée des vents solaires frappant la Terre, des chercheurs de l’Université du Michigan ont développé la version améliorée du modèle géospatial (ce que la NOAA utilise actuellement) à l’aide d’un ordinateur de pointe, des systèmes d’apprentissage et schémas d’analyses statistiques. Avec ce dernier, les astronomes et les opérateurs de réseaux électriques disposent d’à peine 30 minutes d’avertissement préalable, avant que les vents solaires n’atteignent la planète, juste assez de temps pour mettre les systèmes électriques vitaux en mode veille ou atténuer l’impact de la tempête.
Actuellement, la NASA travaille sur deux missions – Multi-slit Solar Explorer (MUSE) et HelioSwarm – pour mieux comprendre la connexion Soleil-Terre. Thomas Zurbuchen, administrateur associé pour la science à la NASA, déclare dans un communiqué : « MUSE et HelioSwarm fourniront un aperçu nouveau et plus approfondi de l’atmosphère solaire et de la météo spatiale. Ces missions non seulement étendent la science de nos autres missions d’héliophysique, mais elles offrent également une perspective unique et une nouvelle approche pour comprendre les mystères de notre étoile ».
Le temps des aurores boréales
Les tempêtes solaires sont également responsables des aurores boréales. Comme expliqué précédemment, l’ionosphère et la magnétosphère sont reliées. Par conséquent, l’énergie électromagnétique disponible dans la magnétosphère (en surplus en raison des vents solaires, notamment) est transportée dans l’ionosphère via des courants électriques qui suivent les lignes de champ géomagnétique, appelés courants de Birkeland. Les aurores boréales sont la manifestation la plus spectaculaire de ce transfert d’énergie.
En d’autres termes, lorsque des particules chargées du Soleil frappent l’atmosphère terrestre, elles sont canalisées le long des lignes de champ magnétique terrestre vers les pôles, où elles « pleuvent » dans la haute atmosphère et interagissent avec les molécules qu’elle contient. Ainsi, le plasma solaire ionise les molécules d’oxygène et d’azote ambiantes, les faisant briller : c’est l’aurore. D’ailleurs, la tempête a rendu ces aurores boréales visibles beaucoup plus loin vers l’équateur que d’habitude, éblouissant le ciel écossais et finlandais.
Les satellites sont d’une importance cruciale pour le fonctionnement d’une grande partie du monde moderne, et la protection des actifs spatiaux et terrestres contre les tempêtes géomagnétiques constitue un secteur de recherche important. Les études en cours pour mieux comprendre notre place dans le système solaire s’avèrent donc vitales alors que les technologies de télécommunications continuent de progresser. Et quelle que soit la résistance de nos systèmes, il paraît impossible de voir se répéter l’évènement de 1859, tant le monde actuel, dans tous les domaines, est ultra connecté.