On ne sait pas encore quelles sont les causes exactes qui mènent à la dépression (et au dérèglement cérébral qui la caractérise), si ce n’est que le lithium est peut-être impliqué dans le développement de la maladie. Pour en savoir plus, des chercheurs ont mis au point une nouvelle technique permettant de mesurer précisément les concentrations de lithium dans le cerveau humain : il s’avère que la distribution du lithium dans le cerveau des personnes dépressives est très différente du reste de la population.
Le trouble dépressif concerne environ 15 à 20% de la population générale, sur la vie entière. Les symptômes, plus ou moins sévères (grande tristesse, manque d’énergie, perte d’intérêt pour toute activité, perte de plaisir, troubles du sommeil, etc.), peuvent dans le pire des cas conduire au suicide : selon l’Inserm, 10 à 20 % des personnes dépressives meurent par suicide.
Le lithium est aujourd’hui un traitement courant de certaines pathologies mentales, telles que la bipolarité (alternance d’épisodes maniaques et dépressifs). Des études ont par ailleurs montré qu’un taux élevé de lithium naturel dans l’eau potable est associé à un taux de suicide plus faible parmi la population. Cet oligoélément agit comme régulateur de l’humeur, mais son mécanisme d’action et les effets métaboliques qu’il entraîne dans l’organisme sont encore méconnus.
Bombarder le lithium avec des neutrons
Pour mieux comprendre les processus physiologiques impliqués dans la dépression et potentiellement contribuer au développement de traitements plus adaptés, des physiciens et des neuropathologistes de l’Université technique de Munich (UTM) ont ainsi entrepris de développer une nouvelle technique pour déterminer la distribution du lithium dans le cerveau. En effet, les quantités de lithium naturel y sont si faibles (de l’ordre du picogramme) qu’il est particulièrement difficile de les évaluer.
Leur technique, baptisée NIK (pour neutron-induced coincidence, soit « coïncidence induite par les neutrons »), consiste à bombarder une fine section de tissu cérébral avec des neutrons. L’isotope 6Li s’avère particulièrement efficace pour capturer les neutrons : après la capture, son noyau est fortement excité de sorte que les particules se scindent presque instantanément en hélium et en tritium selon la réaction : 6Li + n → 4He + 3H. Ces produits de réaction sont ensuite capturés par des détecteurs au silicium situés de part et d’autre de l’échantillon, ce qui permet de déterminer l’emplacement exact du lithium dans la section cérébrale.
Le Dr Roman Gernhäuser, du Laboratoire central de technologie du département de physique de l’UTM, souligne un autre avantage de la technique : « Un aspect particulier de l’enquête utilisant des neutrons est que nos échantillons ne sont pas détruits. Cela signifie que nous pouvons les examiner à plusieurs reprises sur une plus longue période ».
Dans le cadre de leurs expérimentations, les chercheurs ont examiné le tissu cérébral post-mortem de trois hommes : l’un est décédé de mort naturelle et ne présentait aucune maladie mentale ; le deuxième s’est suicidé et n’avait pas bénéficié de traitement au lithium ; le troisième est décédé d’une intoxication aux barbituriques, et suivait un traitement au lithium au moment de sa mort (qui n’est pas enregistrée comme un suicide). Au total, ils ont analysé 139 échantillons de diverses régions cérébrales, la plupart étant des régions qui sont vraisemblablement associées au traitement des émotions. Ils disposaient ainsi d’une véritable cartographie en 3D de la distribution et de la concentration du lithium dans le cerveau humain.
Des différences significatives
Les chercheurs se sont notamment intéressés au rapport de la concentration de lithium entre la matière blanche et la matière grise du cerveau : « Nous avons vu que chez la personne saine, il y avait significativement plus de lithium dans la substance blanche que dans la substance grise. En revanche, le patient suicidaire avait une distribution équilibrée, sans différence systématique mesurable », résume le Dr Roman Gernhäuser. Ces observations restaient valables pour chacune des sections cérébrales étudiées.
Par conséquent, il semblerait que les concentrations de lithium dans la substance blanche contribuent à la stabilisation de l’humeur. Les chercheurs notent que ces résultats corroborent des études antérieures réalisées sur des animaux, qui suggéraient qu’une supplémentation en lithium augmentait ses concentrations dans la substance blanche.
Ces résultats sont très importants, car ils reflètent la distribution du lithium dans des conditions physiologiques, sans qu’aucun médicament n’ait été administré au préalable. Pour l’équipe à l’origine de cette étude, cela confirme que le lithium a une fonction importante dans l’organisme. Reste en revanche à déterminer si cette distribution divergente du lithium observée chez les personnes dépressives est une cause ou une conséquence de la maladie. Gernhäuser et son équipe prévoient ainsi de mener d’autres analyses, sur une cohorte plus importante de personnes décédées.