Une étude dénonce le « lobbying climatique » des producteurs de viande et de lait

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Un rapport écrit par des chercheurs de l’Université de New York révèle que les plus grosses entreprises de viande et de produits laitiers contribuent largement au réchauffement climatique. Aux États-Unis, les acteurs du secteur ont dépensé des millions de dollars en lobbying contre l’action pour le climat. En outre, ils affichent peu d’efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et contournent la législation sur le climat et l’environnement par tous les moyens.

Comment ? En semant le doute et en minimisant les liens entre l’élevage et le changement climatique. Et pourtant, ces entreprises comptent parmi les plus grands contributeurs mondiaux aux émissions de gaz à effet de serre, comme le souligne Olivier Lazarus, l’un des auteurs de l’étude, spécialiste en histoire des sciences.

Ce nouveau rapport, qui s’appuie sur des données publiées en 2017 et 2018 par le groupe international de défense GRAIN et l’Institut de politique agricole et commerciale (IATP), est la toute première étude évaluée par des pairs à documenter précisément les empreintes carbone individuelles des entreprises de viande et de produits laitiers.

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Un impact conséquent sur les objectifs nationaux de réduction des émissions

L’élevage est responsable de plus de 14% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon les chiffres de l’organisation GRAIN et de l’IATP, les cinq plus grands producteurs de viandes et de produits laitiers — JBS, Tyson, Cargill, Dairy Farmers of America et Fonterra — ont émis plus de gaz à effet de serre que le géant du pétrole, ExxonMobil ! Un rapport de l’IATP publié l’année dernière révélait par ailleurs que les émissions totales combinées des plus grandes sociétés laitières avaient augmenté de 11% en seulement deux ans (de 2015 à 2017).

Bien que plusieurs rapports récents, y compris celui du GIEC, aient démontré que la réduction des émissions liées à l’agriculture est essentielle dans la lutte contre le changement climatique, cette nouvelle recherche a révélé que seuls sept des 16 pays où sont basés les plus gros acteurs du secteur mentionnent des mesures liées à l’élevage dans leurs plans pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.

Sur les 35 plus grandes entreprises de viande et de produits laitiers du monde examinées dans le rapport, seules quatre se sont explicitement engagées à réduire les émissions nettes d’ici 2050 : Dairy Farmers of America, Nestlé, Danish Crown et Danone. Depuis, Smithfield Foods, le plus grand transformateur mondial de viande de porc — qui appartient au groupe chinois WH Group depuis 2013 — s’est engagé à avoir un bilan carbone négatif d’ici 2030. La société brésilienne JBS, qui représente environ un quart du marché mondial du bœuf, a annoncé récemment qu’elle atteindrait un bilan nul d’ici 2040. Enfin, Hormel prévoit de fixer un objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2023.

Problème : tous ces engagements manquent de détails et d’éléments concrets et se focalisent sur les émissions de dioxyde de carbone, alors que la majeure partie des émissions du secteur provient du méthane, un autre gaz à effet de serre. Les auteurs de l’étude font par ailleurs remarquer que dans certains cas, les objectifs annoncés en matière d’émissions ne concernent qu’une partie de la chaîne d’approvisionnement.

Les chercheurs ont également examiné l’impact des émissions de chaque entreprise sur les objectifs de réduction d’émissions de leur pays. Ainsi, ils ont par exemple déterminé que les émissions produites par la société suisse Nestlé et le géant laitier néo-zélandais Fonterra étaient si élevées qu’elles éclipseraient les promesses d’émissions annoncées par leur pays respectif — en consommant à elles seules la totalité du quota prévu. Arla, le plus grand producteur de produits laitiers en Scandinavie, représentera quant à lui 60% des émissions totales du Danemark. « Ces émissions inhérentes à la production de viande et de produits laitiers élimineraient en fait complètement les promesses formulées par les pays dans le cadre de l’accord de Paris », souligne Jennifer Jacquet, professeur agrégé au Département d’études environnementales de l’Université de New York et co-auteure de l’étude.

Par ailleurs, le rapport a révélé que les neuf entreprises américaines étudiées étaient responsables de 6% de l’ensemble des émissions du pays, mais avaient émis environ 350 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone, ce qui est très élevé en termes d’émissions absolues. Sans compter que l’étude n’inclut pas les émissions de ces entreprises liées à la production en dehors des États-Unis.

Un lobbying largement ignoré

Grâce à leur approche plus granulaire, à l’échelle des entreprises et non plus des pays dans leur ensemble, les auteurs de l’étude pointent du doigt que la responsabilité pourrait dans certains cas reposer sur une seule entité. « L’accord de Paris suggère que le Brésil est responsable de ce qui se passe au Brésil. Et si le Brésil était responsable de JBS ou la Chine de Smithfield ? » propose Jacquet.

Cette approche avait déjà été appliquée au secteur des combustibles fossiles, dans le cadre d’une étude publiée en 2015, dans laquelle les émissions des plus grands producteurs mondiaux de pétrole, de gaz et de charbon (Chevron, ExxonMobil, Saudi Aramco, BP, Gazprom, etc.), avaient été passées au crible. Cette étude avait montré que ces sociétés avaient une responsabilité importante dans le changement climatique et qu’elles avaient donc le pouvoir de contribuer efficacement à changer la donne. De la même façon, ce nouveau rapport vise à renforcer la responsabilité climatique des producteurs de viande et de produits laitiers.

Une autre partie des recherches concernait le lobbying de l’industrie agroalimentaire américaine face à la réglementation climatique. Les auteurs ont ainsi découvert que le secteur — les entreprises de viande et de produits laitiers, ainsi que d’autres entreprises agricoles — avait dépensé 750 millions de dollars pour soutenir des candidats politiques entre 2000 et 2020. Ces mêmes entreprises ont également alloué 2,5 milliards de dollars en lobbying entre 2000 et 2019. De son côté, le secteur américain de l’énergie a dépensé 1 milliard de dollars en soutien politique et 6,2 milliards de dollars en lobbying.

Le rapport a également examiné les contributions individuelles des entreprises. Il en ressort qu’ExxonMobil a dépensé environ 17 millions de dollars en campagnes politiques et plus de 240 millions de dollars en lobbying au cours des 20 années étudiées. Dans le même laps de temps, Tyson, premier exportateur de bœuf américain, a alloué 3,2 millions de dollars aux campagnes politiques. Mais si l’on considère le chiffre d’affaires de chaque entreprise, Tyson a dépensé le double de ce qu’Exxon a dépensé en campagnes politiques et un tiers de plus en lobbying !

Parallèlement, les plus gros lobbys — la National Cattlemen’s Beef Association, le National Pork Producers Council, le North American Meat Institute, le National Chicken Council, etc. — ont dépensé près de 200 millions de dollars sur vingt ans contre les réglementations climatiques et environnementales, précisent les auteurs. Ces groupes de pression se sont notamment élevés contre un projet de loi sur le plafonnement et l’échange et ont financé des recherches minimisant les émissions de gaz à effet de serre liées à l’élevage.

De nombreuses recherches universitaires ont déjà mis en exergue les tentatives de l’industrie des combustibles fossiles pour influencer le discours public. Un corpus similaire de recherche sur les efforts de l’industrie agricole n’avait pas encore émergé jusqu’à ce jour. « Cela pourrait être largement attribué au fait que très peu de recherche agricole est effectuée en dehors des universités influencées par l’industrie ou par des chercheurs indépendants », expliquent les auteurs.

Sources : Climatic Change, O. Lazarus et al.

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