Les premières missions humaines sur Mars sont planifiées pour les années 2030, voire plus tôt selon Elon Musk. Une fois sur la planète rouge, les astronautes auront besoin de ressources vitales qu’il ne sera pas possible d’importer de la Terre sur le long terme. Dans ce contexte, des scientifiques montrent que la culture de cyanobactéries est possible dans des conditions extrêmes telles que celles de Mars, ce qui pourrait permettre le développement de systèmes biologiques durables sur cette planète.
Dans un article publié dans Frontiers in Microbiology, des chercheurs expliquent comment ils sont parvenus à cultiver des cyanobactéries Anabaena (anciennement nommées algues bleues) — des bactéries capables de fixer l’azote et de produire de l’oxygène — uniquement avec des gaz de l’atmosphère martienne à basse pression, de l’eau et d’autres nutriments disponibles sur Mars.
Dans ces conditions propres à la planète rouge, les cyanobactéries ont conservé leur capacité à se développer dans une eau contenant uniquement de la poussière semblable à celle de Mars et pourraient potentiellement être utilisées pour nourrir d’autres microbes. Pour le Dr Cyprien Verseux, astrobiologiste au Centre de technologie spatiale appliquée et de microgravité (ZARM) de l’Université de Brême (Allemagne), cette expérience concluante ouvre la voie à des programmes d’exploration de Mars durables.
Les conditions martiennes recréées à petite échelle
Les cyanobactéries présentent un intérêt certain pour assurer le soutien biologique de la vie lors de missions spatiales, car toutes les espèces produisent de l’oxygène par photosynthèse, tandis que certaines peuvent fixer l’azote atmosphérique pour le transformer en nutriments. Mais elles ne peuvent pas se développer sur Mars, car la pression atmosphérique totale y est très faible (entre 6 et 11 hPa environ), trop faible pour la présence d’eau liquide ; la pression partielle de l’azote gazeux (de 0,2 à 03 hPa) est quant à elle insuffisante pour le métabolisme de ces bactéries.
Il serait particulièrement difficile (et très onéreux) de recréer une atmosphère semblable à celle de la Terre sur Mars. Des chercheurs ont donc tenté de déterminer, à partir des ressources martiennes disponibles, les conditions atmosphériques appropriées pour permettre le bon développement des cyanobactéries. Pour cela, ils ont développé un photobioréacteur à basse pression, baptisé Atmos (pour Atmosphere Tester for Mars-bound Organic Systems), pouvant fournir des conditions atmosphériques étroitement régulées à neuf chambres de culture.
Ils l’ont utilisé pour étudier les effets d’un mélange gazeux composé à 96% de diazote (N2), et à 4% de dioxyde de carbone (CO2), à une pression totale de 100 hPa, sur des cyanobactéries de la souche Anabaena sp. PCC 7938. Des tests préliminaires avaient mis en évidence le fait que cette souche est particulièrement efficace pour exploiter les ressources martiennes. Il a notamment été démontré que des espèces étroitement apparentées sont comestibles, adaptées au génie génétique et capables de former des cellules dormantes spécialisées pour survivre dans des conditions difficiles.
L’objectif de l’expérience est que tout élément utilisé pour la culture bactérienne doit se trouver sur Mars. C’est le cas du N2 et du CO2, qui sont abondants dans l’atmosphère martienne et de l’eau, qui peut être extraite de la glace. Les nutriments nécessaires doivent quant à eux provenir du régolithe, la poussière qui recouvre le sol martien ; il a en effet été démontré que le régolithe martien était riche en phosphore, en soufre et en calcium.
Une source de nutriments pour d’autres bactéries
Après dix jours de culture sous le mélange gazeux à basse pression, les chercheurs ont constaté que les cyanobactéries s’étaient développées aussi bien que sous l’air ambiant. Ils ont ensuite réitéré l’expérience, dans cette même atmosphère modifiée, en introduisant du régolithe. Étant donné qu’aucun échantillon de sol martien n’a encore été rapporté à ce jour, ils ont dû utiliser un substrat similaire, développé par l’Université de Floride centrale, connu sous le nom de Mars Global Simulant.
Là encore, les cyanobactéries se sont bien développées. Les chercheurs ont toutefois noté que le développement était plus rapide sur un milieu standard, optimisé pour ces bactéries, que sur le Mars Global Simulant, ce qui était prévisible. Après 28 jours, les échantillons cultivés sur le pseudo-régolithe ont produit environ deux fois moins de chlorophylle que ceux cultivés sur le substrat optimisé. Mais l’expérience reste un succès majeur : le support standard de croissance devrait être importé de la Terre, tandis que le régolithe est omniprésent sur Mars. « Nous voulons utiliser comme nutriments les ressources disponibles sur Mars, et uniquement celles-ci », souligne Verseux. L’objectif est donc atteint.
Par la suite, la biomasse séchée d’Anabaena a été broyée, mise en suspension dans de l’eau stérile, filtrée, puis utilisée avec succès comme substrat pour la croissance de bactéries E. coli. Cette seconde expérience prouve que les sucres, les acides aminés et d’autres nutriments peuvent être extraits des cyanobactéries pour nourrir d’autres bactéries, qui sont moins robustes, mais éprouvées pour la biotechnologie. Les chercheurs expliquent que E. coli pourrait par exemple être modifiée pour produire certains produits alimentaires et médicaments sur Mars, qu’il ne serait pas possible d’obtenir avec Anabaena.
Cette étude constitue donc une avancée majeure pour l’exploration martienne. Mais les auteurs soulignent qu’il ne s’agit que d’une preuve de concept et que des études supplémentaires sont nécessaires, notamment pour élaborer un système à plus grande échelle pouvant être utilisé efficacement sur Mars. « Notre bioréacteur, Atmos, n’est pas le système de culture que nous utiliserions sur Mars […]. Mais nos résultats aideront à guider la conception d’un système de culture martien », déclare Verseux. Le biologiste précise que la faible pression utilisée permet par exemple d’envisager le développement d’une structure plus légère, donc plus facile à transporter, car elle n’aura pas à supporter de grandes différences de pression entre l’intérieur et l’extérieur.
L’équipe de chercheurs suggère par ailleurs d’affiner les proportions et la pression des gaz utilisés pour obtenir une croissance optimale, mais aussi de tester d’autres genres de cyanobactéries, voire des bactéries génétiquement adaptées pour les missions spatiales.