Une étude révèle l’étendue de « l’anémie spatiale » des astronautes

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Illustration représentant les résultats de l'étude. | Nibras Shahin
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Séjourner longuement dans l’espace n’est pas sans risque pour la santé. Le corps humain, plongé dans des conditions inhabituelles (rayonnement, microgravité, faible pression, confinement, etc.), est parfois soumis à rude épreuve. À leur retour sur Terre, les astronautes peuvent souffrir de perte osseuse, d’atrophie musculaire ou encore d’anémie. Si les dommages observés sur la masse musculaire et osseuse sont aujourd’hui bien compris et pris en charge, les causes et conséquences de l’anémie liée aux vols spatiaux restent floues. Une équipe canadienne de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa apporte de nouveaux éléments permettant de mieux comprendre cette pathologie.

Alors que l’humanité envisage des missions longue durée, sur la Lune puis sur Mars, et cherche à développer le tourisme spatial, il sera essentiel de comprendre les implications sanitaires de la vie dans l’espace pour planifier des voyages sûrs. C’est pourquoi le Dr Guy Trudel, professeur à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, a cherché à comprendre les mécanismes physiologiques qui causent l’anémie spatiale. « Ces découvertes sont spectaculaires, étant donné que ces mesures n’avaient jamais été faites auparavant », souligne-t-il dans un communiqué.

Jusqu’à présent, les experts pensaient que l’anémie spatiale résultait d’une adaptation rapide au déplacement des fluides vers le haut du corps, qui survient lorsque l’astronaute entre en microgravité. Les astronautes perdent alors 10% du liquide (du plasma sanguin) de leurs vaisseaux sanguins. Les scientifiques pensaient que le phénomène induisait la destruction rapide de 10% des globules rouges pour rétablir l’équilibre hémostatique, et que la concentration en hémoglobine revenait aux valeurs quasi terrestres après une dizaine de jours dans l’espace. Mais Trudel et son équipe ont découvert que la perte de globules rouges était en réalité bien plus conséquente et durable.

Plus de 50% de globules rouges supplémentaires détruits

Pour mener leur enquête, les chercheurs ont recruté 14 astronautes (11 hommes et 3 femmes), entre 2015 et 2020. Tous ont séjourné sur la Station spatiale internationale pendant plus de 130 jours (167 ± 31 jours très exactement). Ils se sont livrés à des prélèvements sanguins et d’air alvéolaire expiré, avant leur mission, pendant toute la durée de leur séjour, puis à leur retour sur Terre. Les échantillons d’haleine ont servi à mesurer avec précision le nombre de globules rouges détruits. En effet, l’air expiré contient du monoxyde de carbone et il faut savoir qu’une molécule de monoxyde de carbone est produite chaque fois qu’un hème — l’un des composants de l’hémoglobine — est détruit.

taux élimination CO
Mesure du taux d’élimination du monoxyde de carbone, avant, pendant et après la mission. © G. Trudel et al.

Les globules rouges ont une durée de vie limitée, de 120 jours environ. Sur Terre, l’organisme crée et détruit environ 2 millions de globules rouges chaque seconde. Les analyses de l’équipe de Trudel ont révélé que 54% de globules rouges supplémentaires étaient détruits pendant un séjour de six mois dans l’espace, soit 3 millions par seconde et ce, quel que soit le sexe de l’astronaute. Ce résultat implique que le corps des astronautes a nécessairement compensé cette perte en générant de nouvelles cellules sanguines ; dans le cas contraire, ils présenteraient tous les symptômes d’une anémie sévère une fois dans l’espace.

« Heureusement, avoir moins de globules rouges dans l’espace n’est pas un problème lorsque votre corps est en apesanteur. Mais lors de l’atterrissage sur Terre et potentiellement sur d’autres planètes ou lunes, l’anémie affectant votre énergie, votre endurance et votre force peut menacer les objectifs de la mission », explique Trudel. Effectivement, à leur retour sur Terre, cinq astronautes sur 13 étaient cliniquement anémiques (le 14e n’ayant pas eu de prise de sang à son retour). Pour rappel, l’hémoglobine a pour rôle de transporter l’oxygène depuis l’appareil respiratoire vers le reste de l’organisme ; un taux anormalement bas de cette molécule peut donc entraîner des symptômes plus ou moins graves (pâleur cutanée, fatigue, tachycardie, etc.).

Des changements structurels durables

Fort heureusement, l’anémie provoquée par un séjour dans l’espace est réversible : les analyses ont montré que les niveaux de globules rouges revenaient progressivement à la normale trois à quatre mois après l’atterrissage. L’équipe a toutefois observé qu’un an après le retour des astronautes sur Terre, le taux de destruction des globules rouges était encore relativement important : près de 30% supérieur au taux mesuré avant la mission. Cela signifie qu’un séjour dans l’espace entraîne des changements structurels dans l’organisme, qui impactent durablement le contrôle des globules rouges.

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Pourcentage de réticulocytes (f) et concentrations d’hémoglobine (g) avant la mission, à bord de l’ISS, et après la mission. © G. Trudel et al.

Les résultats de cette étude a plusieurs implications. Pour commencer, ils mettent en lumière la nécessité d’inclure dans les bilans de santé des astronautes un dépistage systématique des problèmes de santé pouvant être provoqués ou exacerbés par une anémie. En outre, une étude menée par Trudel en 2019, impliquant les données de santé de 300 astronautes, avait déjà mis en évidence le fait que l’ampleur et le temps de récupération de l’anémie spatiale dépendaient de la durée de la mission : près de la moitié des astronautes (48%) étaient anémiques après de longues missions (5 mois en moyenne), tandis que le chiffre tombait à 7% dans le cas de missions courtes (5 jours en moyenne).

Si l’Homme envisage de s’installer durablement sur la Lune (et peut-être un jour sur Mars), il sera donc essentiel de trouver le moyen de pallier ce phénomène, notamment en prévoyant une alimentation adaptée. Si les astronautes produisent également beaucoup plus de globules rouges, comme le pensent les chercheurs, leur organisme aura besoin de toute l’énergie nécessaire. Reste à savoir si le corps humain est capable de soutenir durablement cette production/destruction accrue.

Source : G. Trudel et al., Nature Medicine

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