Notre ADN et notre ARN sont constitués de cinq bases azotées, qui jouent un rôle clé dans l’expression et la transmission de l’information génétique. Combinées à des sucres (nucléosides) ou des phosphates (nucléotides), elles interviennent en outre dans de nombreux processus métaboliques. Des chercheurs affirment aujourd’hui que ces bases — l’adénine, la cytosine, la guanine, la thymine et l’uracile — ont toutes été retrouvées dans des fragments de météorites. Cette découverte suggère que les précurseurs de la vie sur Terre pourraient provenir de l’espace.
Les récentes missions de retour d’échantillons des astéroïdes Ryugu (de type C) et Bénou (de type B), dirigées respectivement par la JAXA et la NASA, fourniront des informations importantes sur les molécules organiques extraterrestres et des indices potentiels concernant les origines de la vie sur Terre. En effet, ces astéroïdes riches en carbone sont des corps parents plausibles de météorites retrouvées sur Terre, dans lesquelles diverses molécules organiques primordiales avaient été détectées au début des années 1960 — notamment de l’adénine et de la guanine, ainsi que des traces d’uracile.
Grâce à une nouvelle technique d’analyse, qui permet d’extraire et de séparer plus doucement les différents composés chimiques de la poussière de météorite liquéfiée, une équipe de chercheurs japonais, comprenant également deux membres de la Division de l’exploration du système solaire de la NASA, a examiné trois météorites carbonées tombées il y a des décennies — y compris la météorite de Murchison, tombée en 1969 en Australie, célèbre pour les nombreux composés organiques qu’elle contient (dont des acides aminés, des purines et des pyrimidines). Leur technique a révélé la présence des cinq nucléobases dans l’ensemble des échantillons.
Des bases nucléiques et d’autres composés essentiels à la vie
Les origines de la vie sur Terre font toujours l’objet d’un débat : les molécules primordiales sont-elles le fruit de processus chimiques qui se sont déroulés sur Terre au sein d’une « soupe prébiotique » ou proviennent-elles de l’espace ? La nouvelle étude publiée dans Nature Communications penche en faveur de la seconde hypothèse : « Un ensemble diversifié de matières organiques exogènes d’origine météoritique, y compris des nucléobases, a pu être livré à la Terre primitive au cours de la période de bombardement lourd tardif (~4,0-3,8 milliards d’années) », écrivent les chercheurs.
Dans cette étude, l’équipe a analysé les météorites de Murchison (deux échantillons), de Murray (tombée en 1950 dans le Kentucky), et du lac Tagish (tombée en 2000 au Canada) par chromatographie liquide à haute performance couplée à la spectrométrie de masse haute résolution à ionisation par électrospray.
« Notre méthode de détection présente une sensibilité supérieure de plusieurs ordres de grandeur à celle appliquée dans les études précédentes », a déclaré à ScienceNews Yasuhiro Oba, géochimiste à l’Université d’Hokkaido, qui a dirigé l’étude. Leur objectif était de mesurer l’abondance des différentes molécules hétérocycliques contenant de l’azote dans chacune de ces météorites. Leur technique d’extraction utilise de l’eau froide au lieu de l’acide formique chaud utilisé habituellement, ce qui permet de préserver ces composés particulièrement fragiles.
À savoir qu’il existe deux types de nucléobases dans l’ADN et l’ARN : les nucléobases pyrimidiques, formées d’un seul cycle hétérocyclique azoté à six atomes (la cytosine, l’uracile et la thymine), et les nucléobases puriques, constituées de deux cycles à six et cinq atomes (l’adénine et la guanine). Jusqu’à présent, seules la thymine et la cytosine manquaient à l’appel dans les analyses météoritiques.
Plusieurs nucléobases puriques ont été identifiées dans les deux échantillons de météorite de Murchison — la guanine étant généralement la plus abondante dans toutes les météorites (à l’exception de celle du lac Tagish). Diverses molécules de purine et de pyrimidine ont également été identifiées dans les échantillons de Tagish et Murray. Finalement, les chercheurs ont détecté et mesuré dans les quatre échantillons les cinq bases azotées, ainsi que plusieurs composés liés à ces bases et quelques acides aminés. Ils ont ensuite entrepris d’effectuer les mêmes analyses sur les terrains où ont été prélevées les météorites.
Une contamination par le sol terrestre peu probable
Pour certains des composés détectés, les valeurs d’abondance des météorites étaient supérieures à celles du sol environnant, ce qui suggère que les composés sont bel et bien arrivés sur Terre transportés par ces roches. Pour d’autres composés en revanche, notamment la cytosine et l’uracile, les abondances mesurées dans le sol sont jusqu’à 20 fois supérieures que dans les météorites.
Ces résultats suggèrent que ces composés pourraient s’être déposés dans les météorites par contamination terrestre. Pour le cosmochimiste Michael Callahan, de l’Université d’État de Boise dans l’Idaho, qui n’a pas participé à cette étude, les données ne sont donc pas suffisamment convaincantes pour affirmer que les nucléobases sont d’origine extraterrestre.
Oba et ses collègues soulignent toutefois qu’ils ont identifié d’autres composés qui renforcent leur hypothèse. En effet, ils ont détecté la présence de plus d’une douzaine d’autres composés essentiels à la vie dans les météorites, en particulier des isomères des cinq bases nucléiques. Or, ces isomères — qui sont des composés de même formule chimique, mais dont les atomes sont organisés différemment — ne se trouvent que dans les météorites, et non dans le sol environnant, ce qui exclut la possibilité d’une contamination par le sol.
L’étude des météorites « à leur source » permettra de lever définitivement le doute, c’est pourquoi l’équipe applique actuellement sa méthode d’analyse sur les échantillons de l’astéroïde Ryugu, rapportés sur Terre en décembre 2020 par la mission Hayabusa 2 ; le retour des échantillons de l’astéroïde Bénou dans le cadre de la mission OSIRIS-Rex, est prévu quant à lui pour septembre 2023. Les scientifiques se réjouissent des nouveaux indices qu’apporteront ces matériaux extraterrestres. Si les molécules qui composent l’ADN proviennent effectivement de l’espace, cela remet en question la distribution potentielle de la vie dans notre système solaire et au-delà.