Le foie est l’organe le plus volumineux du corps humain. Il fait partie du système digestif et assure de nombreuses autres fonctions indispensables au bon fonctionnement de l’organisme, notamment celle d’un puissant filtre. Il est le seul organe viscéral à posséder la capacité de se régénérer, c’est-à-dire de remplacer des tissus endommagés ou manquants. Mais cette capacité est-elle constante tout au long de la vie ? Récemment, des chercheurs allemands ont mis en évidence que, quel que soit l’âge d’une personne, le foie a toujours moins de trois ans en moyenne. Le vieillissement n’a aucun effet sur le renouvellement des cellules hépatiques : elles se renouvellent aussi bien chez les jeunes que chez les personnes âgées. Cette découverte ouvre une nouvelle perspective dans l’étude des maladies chroniques du foie.
Le foie est un organe indispensable à la vie, situé dans la cavité abdominale, sous le poumon droit et en partie protégé par les côtes droites. Il a de nombreux rôles, en particulier ceux de filtrage, de stockage et d’épuration de l’organisme. Il a pour fonction de « détoxifier » le corps de l’alcool, des médicaments et de toutes les substances toxiques. Il est également à l’origine de la synthèse de la bile (indispensable à la digestion) et des protéines de la coagulation.
Sa capacité régénératrice est connue depuis longtemps, mais les principes de bases restent en partie incompris. Les scientifiques ne savent pas si les hépatocytes — cellules du foie — sont constamment échangés, tout au long de la vie, ou s’il s’agit de cellules physiologiquement à longue durée de vie, similaires aux cardiomyocytes et aux neurones, maintenant intégrité structurelle et fonctionnelle sur plusieurs décennies.
Les modèles animaux n’ont apporté que des réponses partielles et souvent contradictoires. Le Dr Olaf Bergmann, chef de groupe de recherche au Centre de thérapies régénératives de Dresde (CRTD) à TU Dresde, explique : « Certaines études ont souligné la possibilité que les cellules hépatiques aient une longue durée de vie, tandis que d’autres ont montré un renouvellement constant ». C’est pourquoi, avec son équipe interdisciplinaire, il a cherché à déterminer directement l’âge des cellules hépatiques humaines. Pour cela, récemment, son équipe et lui ont utilisé une technique connue sous le nom de datation rétrospective au radiocarbone. Leurs résultats étonnants sont publiés dans la revue Cell Systems.
Une datation radioactive du foie
L’équipe a analysé des échantillons de tissus post-mortem et de biopsie de plus de 50 personnes âgées de 20 à 84 ans, afin de déterminer l’âge biologique de cet organe. Elle est familière de la technique de datation de naissance rétrospective au radiocarbone.
Le carbone est un élément chimique omniprésent sur Terre. Le carbone 14, ou 14C, est un isotope du carbone. Ce radiocarbone se forme naturellement dans l’atmosphère. Les plantes l’absorbent par photosynthèse, tout comme le carbone normal, et le transmettent aux animaux et aux humains. Le radiocarbone est faiblement radioactif et instable. Ces propriétés sont utilisées en archéologie pour déterminer l’âge des spécimens. Pour les études de tissus cellulaires contemporains, les scientifiques s’appuient sur des normes récentes. Effectivement, les essais d’armes nucléaires en surface, menés dans les années 1950, ont introduit un pic de quantité de radiocarbone dans l’atmosphère, les plantes et les animaux. En conséquence, les cellules qui sont apparues au cours de cette période ont des niveaux plus élevés de radiocarbone dans leur ADN. Après l’interdiction officielle des essais d’armes nucléaires en surface en 1963, les niveaux de radiocarbone atmosphérique ont commencé à baisser, et avec eux la quantité de radiocarbone incorporée dans l’ADN animal. Les valeurs de radiocarbone atmosphérique et cellulaire concordent très bien.
Comme le souligne le Dr Bergman dans un communiqué, « même si les quantités sont infimes et non nocives, nous pouvons les détecter et les mesurer dans des échantillons de tissus. En comparant les valeurs avec le radiocarbone atmosphérique, on peut déterminer rétrospectivement l’âge des cellules ».
Étonnamment, l’équipe a découvert que les concentrations en radiocarbone des hépatocytes ne sont pas corrélées avec la concentration atmosphérique de 14C au moment de la naissance. De plus, l’âge estimé des hépatocytes, par datation carbone, est indépendant de l’âge des personnes, indiquant un renouvellement cellulaire continu tout au long de la vie. Ainsi, les cellules hépatiques de tous les sujets ont plus ou moins le même âge. Que les échantillons proviennent de personnes de 20 ou 84 ans, ils ont tous moins de trois ans, en moyenne.
Le Dr Bergman explique : « Les résultats montrent que l’adaptation de la masse hépatique aux besoins de l’organisme est précisément régulée par l’échange constant de cellules hépatiques. Ce processus est également maintenu chez les personnes âgées ».
Inégalités chez les cellules hépatiques
Cependant, toutes les cellules du foie ne se renouvellent pas aussi rapidement, certaines ayant plus que trois ans, pouvant vivre jusqu’à 10 ans avant de se régénérer. Les chercheurs ont découvert que cette sous-population de cellules hépatiques contient plus d’ADN que les cellules typiques. La plupart de nos cellules, à l’exception des cellules sexuelles, portent deux ensembles de chromosomes, mais, selon cette étude, certaines cellules accumulent plus d’ADN à mesure qu’elles vieillissent. Elles peuvent porter quatre, huit voire plus d’ensembles de chromosomes.
Cette fraction de cellules augmente avec l’âge et pourrait représenter, selon les auteurs, un mécanisme de protection contre l’accumulation des mutations délétères, risquant d’induire à long terme un cancer ou d’autres dommages au foie, indépendamment de nos propres comportements.
Les chercheurs étudient parallèlement les mécanismes entraînant la régénération d’autres tissus supposés statiques, comme le cerveau ou le cœur. D’ailleurs, ils ont pu montrer que la formation de nouvelles cellules cérébrales et cardiaques ne se limite pas à la période prénatale, mais se poursuit tout au long de la vie. Le groupe étudie actuellement si de nouvelles cellules musculaires cardiaques peuvent encore se former chez les personnes atteintes de maladies cardiaques chroniques.
Le Dr Bergmann conclut : « Notre recherche montre que l’étude directe du renouvellement cellulaire chez l’Homme est techniquement très difficile, mais peut fournir des informations sans précédent sur les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents de la régénération des organes humains ».