Dans le cadre de leurs recherches sur le cancer, alors qu’ils travaillaient sur la désactivation d’un gène permettant aux cancers de se propager, une équipe de scientifiques américains a fait une découverte surprenante. En rendant ce gène hyperactif dans le cœur de souris, ils ont déclenché la régénération des cellules cardiaques. Un phénomène qui n’avait jusqu’à présent jamais été observé ! Cette découverte ouvre la voie à un éventuel traitement curatif des maladies cardiaques.
Plusieurs équipes de scientifiques ont déjà tenté de faire proliférer des cellules cardiaques, mais sans succès. Les traitements existants pour les pathologies cardiaques ne font que ralentir la progression de la maladie, mais aucun n’est capable d’inverser la dégénérescence des tissus. Autrement dit, un cœur endommagé ne peut se réparer. Mais peut-être que la découverte du Dr Cathy Wilson et son équipe, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications, va changer la donne.
Un duo de gènes réparateur
Le terme « cancer » couvre un ensemble de maladies, qui se caractérisent par la multiplication et la propagation de cellules anormales. Divers facteurs de risque, internes ou externes, peuvent favoriser l’apparition d’un cancer. Celui-ci débute lorsqu’une cellule de l’organisme a accumulé trop de « dégâts » ; elle devient cancéreuse et commence à se multiplier de façon incontrôlée. Une tumeur maligne se forme peu à peu, elle grandit. Elle évolue en métastase primaire, puis en métastases secondaires, qui s’échappent de leur tissu d’origine pour coloniser d’autres organes. Si ces cellules cancéreuses ne sont pas éliminées rapidement, l’évolution de la maladie peut mener au décès.
Le gène Myc joue un rôle clé dans le processus de réplication des cellules cancéreuses. Ce gène fait partie des oncogènes, qui favorisent la prolifération cellulaire ; une centaine d’oncogènes ont déjà été identifiés. Myc est connu pour être hyperactif dans la grande majorité des cancers agressifs. Il fait donc l’objet de nombreuses études sur le cancer ; plusieurs recherches récentes évoquent ainsi la prise de contrôle de Myc comme piste de traitement.
Dans cette optique, l’équipe du Dr Wilson, de l’Université de Cambridge, a rendu le gène Myc hyperactif chez la souris. Ils ont alors pu observer ses effets néfastes sur les organes, notamment sur le foie et les poumons : une énorme quantité de cellules a commencé à se répliquer en quelques jours. En revanche, ils n’ont rien observé de tel au niveau du cœur. Bien au contraire, ils sont parvenus à faire basculer le cœur dans un état régénératif et ses cellules ont commencé à se répliquer. Ceci grâce à la présence d’une protéine, la cycline T1.
Une protéine qui favorise la réplication des cellules cardiaques
Aujourd’hui, l’insuffisance cardiaque affecte environ 23 millions de personnes dans le monde chaque année. C’est un état pathologique dans lequel le muscle cardiaque a perdu sa force musculaire, il n’est plus capable d’assurer son rôle et donc, ne pompe plus suffisamment de sang pour permettre aux organes de recevoir assez d’oxygène. Cette maladie peut survenir suite à un infarctus du myocarde, une angine de poitrine, ou encore une hypertension artérielle. Elle touche majoritairement les seniors, mais peut apparaître à tout âge. Il n’existe actuellement aucun remède pour traiter la maladie. « Aucun des traitements actuels ne peut inverser la dégénérescence du tissu cardiaque. L’incapacité du cœur à se régénérer est un besoin clinique non satisfait important », souligne le Dr Wilson.
Après une crise cardiaque, un cœur humain adulte peut perdre jusqu’à un milliard de cellules musculaires cardiaques — appelées cardiomyocytes. Or, contrairement à de nombreux autres organes du corps, le cœur adulte ne peut pas se régénérer et ses cellules ne sont jamais remplacées. Leur perte conduit donc nécessairement à la formation de lésions, à une réduction des capacités cardiaques, pouvant mener à la mort.
Mais ce que les chercheurs ont découvert lors de leur expérimentation pourrait être une piste sérieuse vers le développement d’un traitement. Ils ont en effet observé que l’activité induite par le gène Myc dans les cellules du muscle cardiaque était complètement dépendante du niveau de protéine cycline T1 dans ces cellules, codée par le gène CCNT1. Ainsi, lorsque les gènes CCNT1 et Myc sont exprimés ensemble, le cœur semble basculer dans un état régénératif, comme l’explique le Dr Wilson : « Lorsque ces deux gènes ont été surexprimés ensemble dans les cellules musculaires cardiaques des souris adultes, nous avons observé une réplication cellulaire extensive, conduisant à une forte augmentation du nombre de cellules musculaires cardiaques ».
Du cancer au traitement de pathologies cardiaques
Habituellement, le gène Myc produit une protéine qui se lie à l’ADN dans des cellules spécifiques, puis active l’expression des gènes. Mais malgré cette liaison, les cellules cardiaques n’ont pas commencé à se répliquer ; la protéine était incapable d’activer l’expression des gènes. Or, il se trouve qu’une autre protéine essentielle à l’expression des gènes, la Cycline T1, était déficiente dans le cœur.
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L’ajouter aux cellules avec le Myc hyperactif a provoqué la prolifération des cellules. « Nous avons constaté que même lorsque Myc est activé dans le cœur, les autres outils ne sont pas là pour le faire fonctionner, ce qui peut être l’une des raisons pour lesquelles le cancer du cœur est si rare », explique la spécialiste. « Maintenant, nous savons ce qui manque, nous pouvons l’ajouter et faire répliquer les cellules ».
Les chercheurs envisagent à présent de développer, à partir de leur découverte, une thérapie génétique pour le traitement des maladies cardiaques. Ceci nécessitera de prendre évidemment toutes les précautions qui s’imposent pour ne pas induire de cancer là où cela n’était pas possible auparavant : « Nous voulons utiliser des technologies commutables à court terme pour activer Myc et la cycline T1 dans le cœur. De cette façon, nous ne laisserons aucune empreinte génétique qui pourrait conduire par inadvertance à la formation d’un cancer », a déclaré le Dr Wilson.