Depuis son arrivée il y a 65 000 ans environ, l’homme a largement contribué au modelage des paysages et des écosystèmes. Une partie de la mégafaune australienne aurait même cohabité avec les premiers Autochtones qui peuplaient l’île-continent. L’implication de l’homme dans l’extinction d’animaux anciens fait encore aujourd’hui l’objet de grands débats scientifiques. Une nouvelle découverte mettra désormais peut-être fin à l’un des débats archéopaléontologiques, grâce au séquençage de biomolécules protéiques extraites de fragments de coquilles d’œufs préhistoriques. Les résultats de la nouvelle étude suggèrent que l’homme serait bel et bien impliqué dans l’extinction de Genyornis newtoni (un oiseau coureur de plus de deux mètres de haut), en exploitant et consommant massivement leurs oeufs.
L’Australie fait partie des quelques endroits exceptionnels où la flore et la faune ont évolué différemment d’ailleurs dans le monde. On y trouvait certains des plus grands oiseaux qui aient existé, notamment ceux de la famille des dromornithidaes, qui parcouraient l’île depuis l’oligocène supérieur (il y a 25 millions d’années).
Les plus grandes espèces pouvaient atteindre trois mètres de haut pour un poids allant jusqu’à 600 kilogrammes. Ces grands oiseaux étaient également munis de très petites ailes incapables de faire voler leurs corps massifs. Ils se déplaçaient probablement en groupe, comme les émeus ou les autruches, avec leurs puissantes jambes.
Le célèbre Genyornis newtoni faisait partie de ces oiseaux géants (ou mihirung en aborigène), éteints il y a environ 50 000 ans, au pléistocène. D’après les archives fossiles, cet oiseau coureur mesurait plus de deux mètres de haut et pesait entre 220 et 240 kilogrammes. Il pondait de ce fait de très grands œufs de 1,5 kilogramme en moyenne. Il a fait partie de la mégafaune australienne disparue peu après l’arrivée de l’homme. Ce qui suggère que celui-ci pourrait être impliqué dans sa disparition.
Des traces de « brûlures de cuisine »
Comme mentionné précédemment, Genyornis newtoni aurait disparu quelques milliers d’années après l’arrivée de l’homme, suggérant que ce dernier a probablement joué un rôle dans son extinction. Toutefois, beaucoup de chercheurs avaient réfuté cette hypothèse, car aucune preuve de consommation anthropique de ce grand oiseau n’avait été trouvée.
Cependant, des marques particulières de brûlure ont été découvertes sur des coquilles d’oiseaux géants éteints depuis longtemps et enfouies dans le sable australien, ce qui signifierait peut-être qu’au lieu de chasser les oiseaux géants, les premiers Australiens se seraient plutôt servis dans les nids et auraient consommés les oeufs cuisinés.
Toutefois, l’espèce d’oiseau géant qui aurait réellement pondu les œufs faisait encore l’objet de nombreux débats. Certains experts pensent que la forme et l’épaisseur des coquilles correspondent davantage au Progura (Leipoa gallinacea), un autre mégapode disparu, également endémique de l’île mais beaucoup plus petit que le genyornis (environ cinq à sept kilogrammes) — et ressemblant davantage à un grand dindon.
Mais d’après les nouvelles recherches codirigées par l’Université de Cambridge et de Turin (en Italie), les dates correspondraient davantage au genyornis. L’homme aurait en effet commencé à occuper l’Australie il y a environ 65 000 ans, et les coquilles d’œufs brûlées datent toutes de 50 à 55 000 ans, soit peu de temps après que l’homme se serait répandu à travers le continent et un peu avant la disparition totale des genyornis.
« Les fragments de coquilles d’œufs avec des motifs de brûlure uniques, compatibles avec l’activité humaine, ont été trouvés à différents endroits à travers le continent », explique Gifford Miller, co-auteur principal de la nouvelle étude, publiée dans PNAS, et professeur de sciences géologiques à l’Université du Colorado. « La surexploitation des œufs par les humains pourrait bien avoir contribué à l’extinction de genyornis », suggère-t-il.
De plus, cette consommation anthropique d’œufs serait similaire à celle observée concernant des œufs d’autruche, dont les coquilles brûlées datant d’au moins 100 000 ans ont été découvertes sur des sites archéologiques en Afrique. D’après les données de la nouvelle étude, la stratégie de reproduction de genyornis n’a pas été assez efficace pour supporter l’exploitation des oeufs par les humains (contrairement aux autruches, qui ont cohabité avec l’homme depuis la préhistoire).
Des preuves biomoléculaires
Les chercheurs ont par ailleurs comparé les séquences protéiques de fossiles de coquilles d’œufs pulvérisés à celles codées dans les génomes des espèces aviaires actuelles. Les coquilles d’oeufs contiennent notamment des cristaux de minéraux qui peuvent piéger certaines protéines et préserver les données biologiques dans les environnements les plus difficiles — et ce, potentiellement pendant des millions d’années. Celles préhistoriques testées étaient âgées de 50 000 ans et provenaient du site archéologique de Wood Point en Australie-Méridionale.
Les protéines des coquilles ont également été étudiées (au lieu du matériel génétique, qui n’a malheureusement pas été assez bien conservé). Bien que moins riches en informations, ces biomolécules ont pu être analysées grâce à une nouvelle base de données de matériel biologique : le projet Bird 10 000 Genomes (B10K).
Les scientifiques ont alors découvert que les œufs préhistoriques ont été pondus par des oiseaux apparus avant les galliformes. Les proguras, appartenant à cette lignée, n’auraient alors pas pu pondre les oeufs. « Nous avons découvert que l’oiseau ayant pondu les œufs mystérieux est apparu avant la lignée galliforme, ce qui nous permet d’écarter l’hypothèse du Progura », affirme Beatrice Demarchi, auteure principale de l’étude et professeure au département de science de la vie et des systèmes biologiques à l’Université de Turin. « Cela confirme que les œufs mangés par les premiers Australiens ont été pondus par genyornis », conclut-elle.