Implanter une puce dans votre cerveau pour contrôler votre smartphone par la pensée, ça vous tente ? Peut-être faudra-t-il y réfléchir à deux fois. Grâce à l’évolution des recherches sur les implants cérébraux, c’est en fait déjà possible, ou presque. Plusieurs chercheurs soulignent toutefois que ces puces ont des effets notables sur les personnes qui sont implantées.
Dans un article du 15 février dernier, le média Insider est allé à la rencontre de plusieurs chercheurs pour tirer au clair les effets que peuvent avoir les implants cérébraux sur les êtres humains. La réponse en bref : il y en a, mais ils sont très variables selon les individus. Bien que les recherches ne soient pas aisées lorsqu’on touche à une zone aussi sensible que le cerveau, des entretiens avec de nombreuses personnes implantées tendant à montrer que les effets sur leur comportement, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont bien réels.
Si les implants cérébraux vous évoquent davantage un terme de science-fiction qu’une technologie déjà déployée dans notre monde, détrompez-vous. Certains implants cérébraux, à visée médicale, sont en usage sur des êtres humains depuis bien longtemps. C’est le cas, par exemple, des bien connus implants cochléaires, ces appareils qui aident les personnes malentendantes à « entendre », d’une certaine façon. De même, la médecine est désormais capable d’aider des personnes atteintes d’épilepsie à prédire l’arrivée de leurs crises, et même de traduire les pensées de personnes paralysées en mots, même si ces technologies sont encore en pleine phase de développement.
Concrètement, comment ces implants fonctionnent-ils ? Ce sont des appareils qui « traduisent » les signaux cérébraux en signaux numériques. Dans notre cerveau, les neurones sont connectés entre eux grâce aux synapses. Celles-ci communiquent via des signaux électriques que l’on appelle « potentiels d’action » : c’est cela qui libère les neurotransmetteurs. Ces « messagers chimiques » sont chargés de passer à travers les synapses pour transmettre l’information et déclencher l’action voulue. Au fil des recherches scientifiques, il a été possible de déterminer des zones du cerveau reliées à différentes fonctions : mouvement, vue, toucher… Les implants cérébraux d’interface directe ont donc pour objectif de capter les « intentions » des cellules neuronales, grâce à des électrodes, et de transmettre ce signal à une puce.
Des changements pas toujours négatifs…
Cette base ouvre la porte à de nombreuses applications. Par exemple, il est possible de capter une intention de mouvement et de la retransmettre à une machine, pour la « contrôler par la pensée ». Jusqu’ici, la plupart des implants cérébraux mis en place sur des humains ont une visée médicale. Toutefois, certains entrepreneurs, comme Elon Musk, déclarent vouloir développer, en plus des applications médicales, des applications visant le grand public. Peu avare de grandes déclarations, Elon Musk avait par exemple affirmé que ses puces Neuralink permettraient bientôt de « diffuser de la musique directement dans le cerveau », ou que l’on pourrait avoir un « fitbit dans le crâne ». À noter toutefois que l’entrepreneur a annoncé plusieurs fois le début des tests de Neuralink sur des humains, sans jamais réussir à tenir les délais.
Avant d’envisager de brancher son cerveau à une console de jeu, à un smartphone ou à un ordinateur, il faut toutefois tenir compte des effets qu’une telle puce peut avoir sur notre psyché, affirment plusieurs chercheurs qui se sont penchés sur la question. Anna Wexler, professeur adjointe de philosophie au département d’éthique médicale et de politique de santé de l’université de Pennsylvanie, s’est exprimée auprès d’Insider sur ce sujet : « Bien sûr que cela provoque des changements. La question est de savoir quels types de changements cela provoque, et dans quelle mesure ces changements sont importants », pose-t-elle d’emblée.
Ces changements ne sont toutefois pas nécessairement négatifs. En interrogeant des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, traitées par un dispositif de stimulation placé à l’intérieur du cerveau, Anna Wexler s’est aperçue que le traitement les aidait à retrouver une part de leur identité : « Beaucoup ont estimé que la maladie les avait privés, à certains égards, de qui ils étaient », explique-t-elle. « Cela a vraiment un impact sur votre identité, votre sens de soi, si vous ne pouvez pas faire les choses que vous pensez être capable de faire ».
De la même façon, Eran Klein et Sara Goering, chercheurs à l’Université de Washington, ont noté des changements positifs dans la personnalité et la perception de soi chez des patients utilisant un implant cérébral. Dans un article de 2016, ils rapportaient que des participants à une étude avaient souvent le sentiment que le traitement les aidait à retrouver un soi « authentique » qui avait été abîmé par la dépression ou les troubles obsessionnels compulsifs.
Toutefois, le phénomène peut aussi parfois se produire dans le sens inverse. Ainsi, Frederic Gilbert, professeur de philosophie à l’Université de Tasmanie et spécialisé en neuroéthique appliquée, a également étudié les effets sur la psyché de patients. Il a publié un article à ce sujet dans Neuroethics. Il a pu constater un phénomène de distanciation développé par certains patients, qui n’avaient plus le sentiment d’être complètement eux-mêmes. « Ils savent qu’ils sont eux-mêmes, mais ce n’est pas comme avant l’implantation », affirme-t-il à Insider.
Parfois, les patients peuvent aussi se sentir dépendants de la technologie qui les aide, ou avoir la sensation de ne plus pouvoir « fonctionner » sans elle. Frederic Gilbert a rencontré de nombreux participants à des études qui ont sombré dans la dépression après avoir été privés de leur appareil. Bien entendu, le jeu peut en valoir la chandelle si un implant cérébral aide à combattre les symptômes de la maladie de Parkinson, ou s’il permet à une personne entièrement paralysée de communiquer à nouveau. Quand il s’agit de piloter un smartphone par la pensée, en revanche, tous ces constats peuvent valoir d’y réfléchir à deux fois…