Une alimentation riche en sucres et en graisses favorise la croissance de l’adénocarcinome pulmonaire, l’une des formes les plus répandues de cancer du poumon, révèle une étude. Cette association intrigante a été mise en évidence dans les tissus de patients, où le taux de glycogène – une forme complexe de glucide de réserve – est étonnamment élevé. Ces résultats ouvrent la voie à une stratégie de prévention potentiellement simple et accessible.
L’implication de l’alimentation dans le développement de nombreuses formes de cancer est bien documentée. Cela a contribué au développement de stratégies de prévention en matière de diététique, déconseillant par exemple la consommation excessive de certains types d’aliments, tels que l’alcool et la viande rouge.
Récemment, le glycogène a été identifié comme impliqué dans le développement de certains types de cancer. Il s’agit d’une forme complexe de glucide de réserve servant au stockage des sucres dans l’organisme, principalement au niveau du foie (glycogène hépatique) et des muscles squelettiques (glycogène musculaire).
Des études ont montré que l’accumulation de glycogène constitue un puissant déclencheur de malignité des tumeurs. Une fois transporté au niveau des cellules, le glucose est par exemple phosphorylé en glucose-6-phosphate (G6P) et piégé à l’intérieur des cellules. Catalysant la dernière étape de dégradation du glycogène (glycogénolyse), le G6PC est généralement régulé à la baisse dans les cellules cancéreuses, augmentant ainsi les niveaux de glycogène dans les cellules.
Cependant, si l’impact à long terme de l’alimentation sur des cancers hépatiques est bien établi, les liens avec d’autres types, notamment pulmonaires, restent peu étudiés. On pense généralement que seuls le tabagisme ou la pollution de l’air sont associés au risque de cancers du poumon.
« Le cancer du poumon n’a pas toujours été considéré comme une maladie liée à l’alimentation », explique dans un communiqué Ramon Sun, professeur associé et directeur du Centre de recherche avancée sur les biomolécules spatiales de l’Université de Floride. « Des maladies comme le cancer du pancréas ou du foie, oui. Cependant, en ce qui concerne le cancer du poumon, l’idée que l’alimentation puisse jouer un rôle est rarement évoquée. »
Pour la première fois, l’équipe de Sun établit un lien direct entre le cancer du poumon et le glycogène, dans le cadre d’une récente étude publiée dans la revue Nature Metabolism. « Nos résultats soutiennent la conclusion selon laquelle l’accumulation de glycogène entraîne la progression de l’adénocarcinome pulmonaire (LUAD) et fournissent un cadre pour intégrer la métabolomique spatiale aux modèles translationnels afin de découvrir les moteurs métaboliques du cancer », indiquent les chercheurs dans leur document.
Régime occidental : un puissant facteur de croissance tumorale
LUAD représente 40 % des diagnostics de cancer du poumon dans le monde. Pour effectuer leur enquête, Sun et son équipe se sont inspirés des précédents travaux du chercheur sur la maladie de Lafora. Il s’agit d’une maladie neurologique rare et dévastatrice, se manifestant par une altération du processus de stockage du glycogène. Les personnes atteintes développent des inclusions cytoplasmiques excessives de glycogène dans presque tous leurs tissus. Ces inclusions provoquent des syndromes épileptiques sévères qui sont généralement mortels, la plupart des patients décédant avant l’âge de 25 ans.
L’équipe a utilisé une plateforme de métabolomique spatiale à haute résolution développée par Sun en 2020. Elle permet d’identifier les caractéristiques spécifiques des petites molécules en fonction de leur emplacement dans le tissu. « Cette plateforme a offert une nouvelle perspective pour visualiser les maladies, permettant aux chercheurs de discerner des modèles et des interactions moléculaires jusque-là inconnus avec des détails saisissants et une profondeur de vision », explique l’expert.
En utilisant cette technologie pour analyser des échantillons de tissus humains atteints de LUAD, les chercheurs ont détecté des concentrations significativement élevées de glycogène. Plus les niveaux de glycogène intracellulaire étaient élevés, plus la croissance tumorale s’intensifiait. Pour confirmer leurs observations, l’équipe a nourri des modèles souris de LUAD avec un régime occidental typique, riche en graisses et en fructose, ce qui a accru l’accumulation de glycogène dans les cellules tumorales. Leurs tumeurs ont rapidement proliféré lorsque les niveaux de glycogène étaient élevés, mais ont ralenti lorsque ceux-ci diminuaient.
Des modélisations informatiques des réserves de glycogène au niveau des poumons ont montré que, dans les cas de cancer, la molécule agissait comme un puissant métabolite oncogène. De manière générale, ces résultats suggèrent que le glycogène pourrait servir de biomarqueur pertinent pour évaluer la progression tumorale et le pronostic chez les patients atteints de LUAD.
De nouvelles stratégies thérapeutiques ciblant le glycogène
Les résultats suggèrent également une prévention nutritionnelle ciblée sur le métabolisme du glycogène. « À long terme, notre approche de la prévention du cancer devrait refléter le succès de la campagne antitabac, en mettant davantage l’accent sur la sensibilisation du public et sur des stratégies politiques qui favorisent des choix alimentaires plus sains comme élément fondamental de la prévention des maladies », affirme Sun.
Par ailleurs, cette orientation présente un avantage stratégique : une diversité d’options thérapeutiques existe déjà. Trois médicaments expérimentaux ciblant le métabolisme du glycogène ont été développés dans le cadre de la maladie de Lafora et pourraient être reconsidérés dans une perspective oncologique.
Néanmoins, en adoptant des habitudes alimentaires plus saines, il serait possible de réduire le risque de cancer du poumon et de renforcer les mécanismes de défense de l’organisme sur le long terme.