Dans le traitement contre le cancer, la chimiothérapie et la radiothérapie ne sont pas toujours des instruments thérapeutiques efficaces. En effet, certains patients présentent une résistance à ces traitements. Les scientifiques tentent donc de développer d’autres voies thérapeutiques en substitution ou supplémentation des méthodes usuelles. L’injection de bactéries dans les tumeurs pourrait constituer l’une de ces nouvelles voies prometteuses.
Selon des résultats présentés le 30 septembre 2018 lors de la Fourth International Cancer Immunotherapy Conference, certaines bactéries semblent capables de retarder la progression des tumeurs, voire de la bloquer, lorsqu’elles sont injectées dans ces dernières.
L’injection active une réponse immunitaire ciblant tant les bactéries que les tumeurs. Bien que cette méthode soulève des questions en terme de sécurité, la résistance aux traitements ordinaires développée par certains patients fait de ce nouveau processus une voie prometteuse.
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Ces recherches s’appuient sur des travaux vieux de plus d’un siècle. Dans les années 1890, l’oncologiste William Coley a débuté des injections de bactéries mortes sur des patients souffrant de tumeurs inopérables. Coley a témoigné du succès de sa méthode et les « toxines de Coley » ont ainsi été vendues comme thérapie anticancéreuse aux États-Unis, jusque dans les années 1960. Mais les autres médecins ont remis en doute les résultats de Coley, et sa méthode a été remplacée par la chimiothérapie et la radiothérapie, devenues les traitements usuels.
Des injections bactériennes pour réduire la taille des tumeurs
Néanmoins, en 2014, une équipe de cancérologues a suggéré que, finalement, les injections bactériennes pourraient constituer un traitement anti-cancéreux digne d’intérêt. Leur étude, publiée dans la revue Science Translational Medicine, montrait comment chez six chiens sur 16 souffrant de tumeurs solides, celles-ci avaient diminué ou disparu après l’injection de bactéries Clostridium novyi vivantes.
Pour ce faire, les chercheurs ont tout d’abord supprimé le gène producteur de toxines chez ces bactéries. Encouragés par ces résultats, les médecins ont traité de la même manière une patiente de 53 ans atteinte de leiomyosarcome (cancer musculaire), dont les tumeurs ont également diminué, bien qu’elle ait ensuite été soumise aux traitements usuels.
Dans le cadre de travaux cliniques additionnels menés par le cancérologue Filip Janku du Centre de cancérologie MD Anderson de Houston, faisant partie de l’équipe de 2014, 23 autres patients atteints de sarcome avancé ou d’autres tumeurs solides allant du cancer du sein au mélanome, ont obtenu une seule injection dans leur tumeur de 10’000 à 3 millions de spores de Clostridium, une forme dormante de la bactérie.
L’équipe de recherche a été surprise et enthousiasmée par les effets antitumoraux de la bactérie. Dix-neuf patients, y compris la première femme, ont vu leurs cancers se stabiliser, ce qui signifiait que leurs tumeurs ne continuaient pas à se développer après le traitement. « Même si les injections étaient locales, les bactéries semblaient aussi parfois stabiliser et réduire la croissance tumorale ailleurs dans le corps, comme le montre l’imagerie » explique Janku.
Une réponse inflammatoire aux spores peut générer l’action immunitaire anticancéreuse clé dans le processus. Les chercheurs ont constaté chez 11 des patients certains symptômes — fièvre, douleur et gonflement aux sites d’injection — indiquant que les spores avaient germé, processus par lequel les bactéries dormantes redeviennent actives.
Le dosage bactérien : un facteur clé dans la sécurité du traitement
La stratégie était si nouvelle que les scientifiques n’étaient pas certains que la dose était un facteur important, notamment parce qu’ils espéraient que les spores deviendraient actives une fois dans la tumeur.
Il s’est finalement avéré que le nombre de spores injectées était un facteur essentiel : les deux patients ayant reçu la plus forte des six doses ont développé une gangrène et une septicémie, une réaction potentiellement mortelle à l’infection. Un troisième patient, également dans un groupe recevant une dose plus élevée, a aussi développé une septicémie.
« Nous ne nous sommes pas enfoncés plus en avant dans le mécanisme » explique Janku. Les bactéries actives libèrent diverses enzymes qui peuvent détruire les cellules tumorales et, comme tout intrus organique, elles déclenchent un état inflammatoire du système immunitaire pouvant également cibler des masses cancéreuses. Mais les détails du processus restent pour le moment flous.
L’essai clinique visait principalement à établir la sécurité immédiate des injections bactériennes — bien qu’il offre de forts indices d’une véritable action antitumorale, il n’était pas conçu pour évaluer la survie, ni même la réaction des patients à long terme. Les patients traités entre 2013 et 2017 ont reçu une seule injection (à l’exception d’une personne, qui en a demandé et obtenu une seconde un mois plus tard, ce qui ne s’est pas révélé efficace), puis ont suivi un autre traitement.