Alors que l’Homme s’apprête à retourner sur la Lune en 2025, dans le cadre du programme Artemis, les scientifiques réfléchissent à la manière d’établir une présence humaine durable sur notre satellite. Dans ce contexte, une équipe japonaise a développé un concept de base lunaire dotée d’une gravité artificielle. Baptisée « Lunar Glass », cette structure utilise la force centrifuge pour reproduire une gravité similaire à celle de la Terre.
On sait que séjourner longuement dans l’espace a des conséquences notables sur le corps humain. Un programme de la NASA, le Human Research Program, est même dédié spécifiquement à l’étude des effets de l’espace sur l’organisme. L’impact est tant psychique que physique ; être isolé et confiné avec une poignée d’individus peut être difficile à supporter. Perte de densité minérale osseuse et diminution de la masse musculaire comptent parmi les effets dus à la microgravité. De plus, les fluides corporels se déplacent vers la tête, ce qui accroît la pression oculaire et peut causer des problèmes de vision.
Malgré les données récoltées ces dernières années — notamment via les astronautes séjournant sur la Station spatiale internationale — les effets d’une faible gravité sur le corps sont encore à éclaircir. Or, si nous envisageons de nous installer sur la Lune, voire sur Mars — qui présentent des gravités de 1,62 m/s2 et de 3,72 m/s2 respectivement — il pourrait être intéressant de permettre aux colons d’habiter dans un environnement de gravité équivalente à celle de la Terre, afin de minimiser les risques.
Limiter les risques liés au manque de gravité
C’est exactement pour cette raison que des chercheurs de l’Université de Kyoto, en collaboration avec des experts en construction de Kajima Corporation, ont conçu une station à gravité artificielle. C’est pour eux la seule condition qui permettrait réellement à l’Homme de prospérer dans l’espace. « 1G est l’identité de l’humanité », soulignent les concepteurs du projet dans un communiqué.
Les scientifiques précisent en effet qu’un individu qui grandirait dans un environnement à gravité nulle ou faible pourrait ne pas être capable de se tenir debout ou de se déplacer normalement. « Sans gravité, les mammifères pourraient ne pas être en mesure de se reproduire et leurs bébés pourraient ne pas bien se développer », explique l’équipe dans le communiqué, qui souligne que les recherches de la NASA sur le sujet se sont essentiellement concentrées sur les adultes. Nous n’avons donc aucune idée de la façon dont des enfants pourraient se développer sous une gravité différente.
Ils ont présenté leur projet la semaine dernière, lors d’une conférence de presse. La structure ressemble à un immense cône vertical en rotation, aux parois de verre. On y distingue des étendues d’eau, de la végétation (des parcs, des arbres), des habitations ; des humains y évoluent comme s’ils étaient sur Terre. La vidéo de présentation montre même des bateaux naviguant sur l’eau !
Ce cône, surnommé Lunar Glass, mesure près de 400 mètres de haut et effectue une rotation complète toutes les 20 secondes : la force centrifuge permet d’atteindre la gravité à laquelle les humains sont habitués. La structure a été spécifiquement conçue pour résister aux conditions atmosphériques de la Lune et de Mars. En parallèle, les chercheurs ont prévu le développement d’un système de transport interplanétaire : cet « Hexagon Space Track System » maintiendra lui aussi une gravité normale pendant les trajets reliant la Terre, la Lune et Mars.
La physiologie humaine comme facteur limitant
En 2017, Thomas Lang, expert en radiologie et imagerie biomédicale à l’UC San Francisco, soulignait que la technologie n’est pas le vrai facteur limitant de l’exploration spatiale. En réalité, le vrai facteur limitant est la physiologie humaine. Bon nombre des changements observés par les chercheurs à la suite des vols spatiaux sont similaires à ceux observés lors du vieillissement — à la différence qu’ils se produisent beaucoup plus rapidement.
Les problèmes osseux et musculaires sont apparus dès les premiers vols spatiaux des missions Apollo, dans les années 1960 et 1970. Depuis, les astronautes qui séjournent longtemps sur l’ISS doivent s’astreindre à un entraînement physique régulier, pour préserver leur force musculaire et leurs os. Mais encore aujourd’hui, de nombreux astronautes souffrent de maux de dos pendant des années après leur retour sur Terre.
Les chercheurs ont découvert que le manque de gravité stoppait le cycle naturel de la fonction osseuse : de par la réduction de pression au niveau de l’os, les ostéoclastes continuent à résorber l’os endommagé, mais les ostéoblastes ne le reconstituent pas. Lang a estimé que les astronautes séjournant six mois sur l’ISS perdaient 6 à 9% de la densité osseuse totale de leurs hanches !
La faible gravité de l’espace a également un impact sur le système vasculaire, en particulier sur les cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins. S’ensuivent des problèmes circulatoires et un risque accru d’arythmie et de crise cardiaque. Une étude pointe quant à elle le risque de calculs rénaux inhérent au vol spatial de longue durée — un risque dû à la déshydratation des astronautes et à l’excrétion accrue de calcium de leurs os.
En résumé, il est essentiel de proposer aux humains qui séjourneront longtemps sur la Lune — et peut-être sur Mars — un environnement qui ne les mettra pas en danger. Le projet proposé par cette équipe japonaise semble être la meilleure façon de répondre au besoin. L’équipe envisage de construire un premier prototype sur la surface lunaire d’ici 2050.