Certains éléments de notre quotidien sont si banals que nous n’y prêtons pas nécessairement attention. C’est particulièrement vrai pour une activité fréquente et familière : l’écriture. Des chercheurs ont en effet démontré qu’une grande majorité de personnes interrogées ne savaient absolument pas reconnaître la typographie correcte de la forme minuscule de la lettre « G ».
À moins d’être des typographes accomplis, et malgré le fait de l’avoir déjà vu un nombre incalculable de fois, la plupart des gens n’ont aucune idée de la forme minuscule standard de la lettre « G ». L’un des paradigmes dans le domaine de la psychologie affirme que nos capacités de lecture sont directement reliées à notre aptitude à reconnaître les lettres. Cependant, cela n’implique pas nécessairement, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une connaissance morphologique parfaitement détaillée de chaque lettre de l’alphabet. Le meilleur exemple en est la lettre minuscule « g ».
Il existe plusieurs façon d’écrire cette lettre, indépendamment du style d’écriture de chacun. En typographie moderne, il existe deux représentations standard de la minuscule « g ». Une première, appelée forme de « plain-pied » ou « queue ouverte » et une seconde, appelée forme « à deux étages » ou « queue bouclée ».
Le style « queue ouverte » est familier puisqu’il s’agit généralement de la forme enseignée à l’école dans les pays utilisant l’alphabet latin. En revanche, le style « à deux étages » se révèle problématique pour un grand nombre de personnes ; non seulement celles-ci ne savent en général pas qu’il existe deux représentations distinctes, mais en plus elles montrent des difficultés à se souvenir de la forme correcte, quand bien même elles en ont une représentation mentale vague.
Telles sont les conclusions d’une équipe de chercheurs en sciences cognitives de l’Université Johns Hopkins qui, au travers d’une série de trois expériences, ont testé la capacité des sujets à discriminer les formes de la lettre « g ». Les résultats ont été publiés dans la revue Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance. Dans la première expérience, 38 participants recrutés parmi les étudiants de l’université ont dû répondre à des questions à propos de leurs connaissances relatives aux différentes formes des lettres.
« Malgré des questions répétées et le fait d’avoir été informés que la lettre G possède deux formes minuscules différentes, pratiquement la moitié des sujets ont montré une absence totale de connaissances concernant la forme à queue bouclée « g », et un seul des sujets a réussi à l’écrire correctement » expliquent les chercheurs.
Pour la deuxième expérience, les chercheurs ont sélectionné 16 nouveaux participants qui devaient lire un paragraphe en faisant bien attention aux lettres minuscules « g » imprimées en style queue bouclée. Ensuite, le texte leur a été enlevé et ces derniers avaient pour consigne de réécrire la lettre « g » telle qu’elle apparaissait dans le paragraphe lu.
De nouveau, un seul participant a réussi à l’écrire correctement. La moitié pensaient avoir vu la version en queue ouverte et l’un des sujets s’est même emporté. « L’un des participants semblait penser que le style queue ouverte était l’unique réponse acceptable. Lorsqu’il lui a été demandé d’écrire le « g » qu’elle avait vu, elle a rétorqué « tout ceci est stupide » » rapportent les scientifiques.
Dans la troisième et dernière expérience, 44 nouveaux participants ont dû sélectionner la forme correcte des lettres minuscules « a » et « g ». La plupart ont, là aussi, choisi la forme incorrecte de « g ». « Nous pensons que ces résultats proviennent du fait que nous apprenons les formes des lettres en grande partie à l’école, où nous devons les écrire » explique Michael McCloskey, cognitiviste et directeur de l’étude. « Le style queue bouclée de « g » est une forme que, en revanche, nous n’apprenons jamais à écrire, donc nous ne la connaissons pas bien ».
Selon l’étude, nous n’apprenons jamais vraiment la forme précise des lettres, nous en savons juste assez pour pouvoir les différencier. En outre, ces résultats montrent également que nous en savons encore trop peu sur la manière dont l’humain perçoit le monde qui l’entoure, notamment au regard d’éléments aussi familiers que les lettres.
« Que cela signifie-t-il à propos des enfants qui apprennent tout juste à écrire ? Ont-ils plus de difficultés avec cette forme de « g » à cause du fait qu’ils n’ont jamais été obligés d’y prêter attention ? Ce sont des questions auxquelles il nous manque des réponses. Nos résultats donnent des angles de vue intéressants sur la façon de raisonner sur les questions traitant de l’importance de la lecture pour l’écriture », conclut McClosey.