Après la découverte du boson de Higgs en 2012, les physiciens continuent la traque aux nouvelles particules au LHC. Que ce soit pour la supersymétrie, la matière noire ou les théories de grande unification, les analystes fouillent sans relâche les données recueillies au cours des collisions proton-proton. Toutefois, de nouvelles données obtenues récemment dans le cadre de l’expérience CMS pourraient révéler l’existence d’une toute nouvelle particule non prédite par les théories actuelles.
Le Solénoïde compact pour muons (CMS), un détecteur polyvalent installé sur l’anneau du LHC, est destiné à explorer divers domaines de la physique des hautes énergies. Il y a quelques mois, les équipes de CMS ont identifié un mystérieux pic d’énergie dans les données recueillies par le détecteur au cours de collisions proton-proton à 8 TeV et 13 TeV.
Les résultats, publiés sur le serveur de pré-publication arXiv, montrent un pic d’énergie à 28 GeV avec un degré de fidélité statistique de 4.2σ, soit une probabilité de seulement 0.0013% que ce pic soit dû au bruit de fond ou à tout autre biais. Une telle énergie ne correspond à aucune particule actuellement prédite par les différentes théories au-delà du Modèle Standard, et pourrait donc correspondre à une toute nouvelle particule.
Mais malgré cet indice de confiance encourageant, le principe de précaution est de mise. L’existence d’un biais statistique ou d’interprétation ne peut pas être exclu, et ce pic d’énergie ne pourrait finalement être qu’une fluctuation statistique aléatoire due au bruit de fond. Des confirmations supplémentaires seront donc nécessaires, et le résultat devra être reproduit au cours d’autres collisions pour renforcer l’indice de confiance.
Que révèlent les données recueillies ?
De nombreuses expériences du LHC, utilisant les collisions protons-protons, mettent en évidence des particules nouvelles et exotiques en détectant des configurations inhabituelles de particules connues, telles que des photons ou des électrons. En effet, les particules les plus massives sont très souvent instables et se désintègrent donc rapidement en particules plus légères.
En analysant ces produits de désintégration, notamment leur signature énergétique, les physiciens peuvent chercher si elles correspondent à la désintégration d’une particule massive prédite par les modèles théoriques. C’est ainsi que de nombreuses particules ont pu venir compléter le Modèle Standard après avoir été détectées.
Sur le même sujet : Des anomalies dans les données du LHC indiquent-elles une nouvelle physique ?
La nouvelle découverte provient d’une expérience impliquant le détecteur CMS, qui a enregistré un certain nombre de paires de muons — des particules bien connues et aisément identifiables, similaires aux électrons, mais plus lourdes. En analysant leur trajectoire et leur énergie, les chercheurs se sont demandés si elles pouvaient provenir d’une unique particule plus massive.
Ordinairement, les muons proviennent de différentes sources ; de deux événements distincts plutôt que de la désintégration d’une seule particule. Dans ce cas-là, la masse détectée s’étale sur plusieurs niveaux d’énergie, plutôt que de correspondre à un pic spécifique pointant sur une énergie bien déterminée. Toutefois, dans les données recueillies par CMS, c’est bien un tel pic à 28 GeV qui a été mis en évidence.
Ce dernier est-il donc un véritable pic d’énergie correspondant à la désintégration d’une particule massive ? Ou bien est-il la résultante d’une fluctuation statistique provenant de la distribution aléatoire des données de fond (ligne pointillée sur l’image ci-dessus) ? Si le pic est confirmé, alors cela indique bien que la paire de muons provient effectivement de la désintégration d’une particule unique d’une masse de 28 GeV. Et aucune particule possédant une telle masse n’a été détectée auparavant.
Une précaution nécessaire dans l’interprétation des résultats
Toutefois, la précaution est de mise. Les faux positifs ne sont pas rares au LHC, et l’anomalie du Digamma(750) en est un récent exemple. Des erreurs de détection, des mauvaises interprétations ou des données incomplètes sont des menaces omniprésentes, et obligent ainsi à une grande prudence.
Ces biais sont en partie dus à l’effet baptisé « look-elsewhere effect ». Il s’agit d’un phénomène dans le domaine de l’analyse statistique d’expériences scientifiques où une signifiance statistique (degré de confiance du résultat statistiquement élevé) est en fait due au hasard. En d’autres mots, même si la probabilité que ce pic à 28 GeV soit dû au bruit de fond est de 13 sur 1 million, ce bruit de fond pourrait être responsable d’un autre pic ailleurs dans les données, à 16 GeV ou 29 GeV par exemple.
Au-delà des probabilités non-négligeables de biais statistiques ou expérimentaux, un autre fait pose problème : le pic est bien apparu au cours d’un des run du LHC, mais pas lors du suivant alors que l’énergie avait été doublée. Pourtant, l’on devrait s’attendre à un pic deux fois plus énergétique en doublant l’énergie des faisceaux.
Les conséquences pour la physique des particules
Si le pic observé correspond bien à la désintégration d’une particule, alors cette dernière ne fait pas partie du catalogue des particules prédites par les physiciens. Les particules actuellement proposées comme candidates à la matière noire ne correspondent pas à cette gamme d’énergie. Et une version plus légère du boson de Higgs ne se désintégrerait pas en muons. De la même manière, les potentiels bosons Z légers et photons lourds sont censés interagir avec les électrons, et auraient donc été détectés d’une autre manière.
Dans le cas où cette nouvelle particule existerait bien, elle se situerait non seulement au-delà du Modèle Standard, mais également en dehors de toute prédiction actuelle. Elle ne correspond pas non plus aux superpartenaires théorisés dans le cadre de la supersymétrie, ni aux candidates suggérées pour les théories de grande unification (GUT).
L’expérience parallèle à CMS, ATLAS, a également recueilli des données similaires qui sont en cours d’analyse pour déterminer s’il existe des corrélations avec les résultats du premier run de CMS ou non.
Il faudra donc encore attendre l’étude complète de ces données pour savoir si il ne s’agissait finalement que d’une fluctuation statistique aléatoire, ou bien de la découverte d’une toute nouvelle particule.