Une enquête menée auprès de 195 magiciens révèle qu’ils seraient moins sujets aux problèmes de santé mentale que les autres artistes et la population en général. Ils posséderaient notamment des caractéristiques uniques leur conférant un profil de santé mentale comparable à celui des scientifiques. Alors que de nombreuses preuves suggèrent une étroite corrélation entre les professions créatives et la psychopathologie, cette découverte démontre que cette association est bien plus complexe qu’on le pensait.
Bien que le lien ne soit pas entièrement compris, il existe une perception populaire selon laquelle de nombreuses personnes travaillant dans le milieu artistique souffrent de maladies mentales qui stimuleraient leur créativité. Toujours plus de preuves et de témoignages semblent corroborer cette idée. De nombreux artistes, dont le célère peintre Van Gogh, connu pour ses impressionnantes performances créatives, aurait par exemple souffert de troubles mentaux.
D’un autre côté, les travaux scientifiques menés dans ce sens se sont surtout concentrés sur l’association entre la schizophrénie et la créativité. Il a été suggéré que des niveaux plus élevés de traits schizotypiques étaient présents chez les comédiens et les artistes. Les expériences et les flux de pensées excessives permettraient notamment de générer des idées innovantes et originales.
Cependant, bien qu’ils exercent également une profession artistique, les magiciens seraient quant à eux dotés de caractéristiques uniques qui les préservent des troubles mentaux. Cette découverte a été réalisée dans le cadre d’une étude récente menée par des chercheurs de l’Université d’Aberystwyth (Pays de Galles). « Cette étude se concentre sur un groupe créatif distinct doté de caractéristiques uniques qui n’ont jamais été étudiées auparavant : les magiciens », déclarent les auteurs dans leur rapport, publié dans la revue BJ Psych Open.
Un profil de santé mentale comparable à celui des scientifiques
À la fois créateurs et interprètes, les magiciens se distinguent de la plupart des artistes. En effet, ces derniers peuvent être des interprètes ou des créateurs (de nouveaux tours de magie). Les poètes, les écrivains et les compositeurs sont par exemple des créateurs dont les œuvres sont « consommées » ou interprétées par d’autres personnes. En revanche, les acteurs, les musiciens et les danseurs interprètent des créations. Les magiciens ainsi que les auteurs-compositeurs-interprètes, sont l’un des rares groupes artistiques à faire les deux.
Les magiciens travaillent sur plusieurs domaines créatifs. La magie rapprochée consiste par exemple à utiliser des objets simples tels que des pièces de monnaie ou des cartes, tandis que les grands spectacles d’illusion nécessitent du matériel sophistiqué et beaucoup d’espace. Ils se distinguent aussi des autres artistes par leurs performances nécessitant une grande précision et de la technicité corporelle directe. Cela signifie également qu’il est plus difficile de surmonter les erreurs. Un comédien qui rate une blague a par exemple de nombreuses autres occasions d’en raconter d’autres. Un musicien qui rate une note a encore l’occasion de se rattraper tout au long du concert. En revanche, même si les performances magiques peuvent inclure quelques erreurs au début du spectacle, les tours doivent finalement produire un véritable effet de surprise qui serait difficile, voire impossible, à compenser en cas d’erreur.
Ainsi, quel que soit le type de magie pratiqué, les enjeux élevés des tours de magie indiquent que ceux qui la pratiquent représentent un groupe créatif unique à étudier, pour éclairer davantage le lien entre la créativité et les traits psychotiques. Dans cette vision, les experts de la nouvelle étude ont recruté 195 magiciens (35 ans de pratique en moyenne) et 233 personnes de la population générale. Chaque participant a effectué des tests de mesures de traits schizotypiques (psychose, perte de contact avec la réalité, hallucinations, …) et du spectre autistique. Les magiciens ont également été comparés avec d’autres groupes créatifs (comédiens, acteurs, musiciens, poètes et artistes visuels) pour les traits schizotypiques.
Les résultats ont révélé que sur 3 mesures clés de psychose ou de degré de perte de contact avec la réalité, les magiciens avaient des scores nettement inférieurs par rapport aux autres artistes et à la population générale. Ils étaient notamment moins susceptibles de vivre des expériences inhabituelles telles que les hallucinations et la désorganisation cognitive, qui peuvent altérer la concentration.
Les experts suggèrent qu’à bien des égards, leur profil de santé mentale se rapproche davantage de celui des mathématiciens et autres scientifiques. Selon l’auteur principal de l’étude, Gil Greengross, du département de psychologie de l’Université d’Aberystwyth, « l’étude met en évidence les caractéristiques uniques des magiciens et la myriade d’associations possibles entre la créativité et les troubles mentaux au sein des groupes créatifs ».
En outre, les professionnels de la magie avaient également des scores inférieurs de non-conformité impulsive, un trait associé aux comportements antisociaux et au manque de maîtrise de soi. En effet, ce trait peut être utile à d’autres artistes comme les écrivains, les poètes et les comédiens, dont les œuvres ou les interprétations se basent souvent sur l’audace et la remise en question d’idées reçues. Les magiciens peuvent aussi faire preuve d’innovation et repousser les limites de ce qu’on croit possible. Les enquêtes de la nouvelle étude ont d’ailleurs montré que l’originalité de la magie était associée aux expériences inhabituelles et à l’identité créative. Cependant, la majorité d’entre eux répètent des tours familiers ou des variantes de ceux-ci, sans ressentir le besoin d’innover.
Par ailleurs, il a été suggéré que chez certains magiciens (surtout ceux de sexe masculin), l’utilisation de la magie découlerait d’un comportement adaptatif pour compenser un déficit social. Il est notamment courant que les magiciens se lancent à l’adolescence, entre 8 et 14 ans, probablement parfois dans le but de se faire accepter et de s’intégrer socialement. Au cours des enquêtes, les chercheurs ont constaté que contrairement à certains groupes artistiques, les professionnels de la magie ne différaient pas de la population générale en matière de traits autistiques (associés à l’inadaptation sociale). Cela indiquerait une prédisposition réduite aux troubles mentaux et neurodéveloppementaux.