Dans la recherche de traitements contre les troubles oculaires dégénératifs, de nombreuses thérapies à base de cellules souches sont à l’essai depuis quelques années. Cependant, ces essais sont précédés de processus de validation rigoureux, au risque de représenter un danger pour les patients. Dans ce sens, des chercheurs américains ont passé près de 10 ans à concevoir, à partir de cellules souches cutanées reprogrammées, des organoïdes pouvant reproduire entièrement le fonctionnement des cellules rétiniennes. La dernière étape avant l’essai clinique était ici de voir si les cellules de ces organoïdes pouvaient établir correctement des connexions synaptiques avec celles encore (intactes) issues de patients malades. L’objectif étant qu’à terme, les amas d’organoïdes puissent remplacer les cellules rétiniennes endommagées chez les personnes souffrant de dégénérescence oculaire.
Chez les primates, les cellules interagissant avec la lumière et celles responsables de la vision à « haute définition » sont celles en forme de cône, situées dans la fovéa. Chez les personnes souffrant de troubles oculaires dégénératifs, ces cellules meurent, ne se renouvellent pas et engendrent une cécité partielle, voire totale. Dans une étude antérieure, des chercheurs de l’Université du Wisconsin-Madison (États-Unis) ont réussi à reprogrammer génétiquement des cellules cutanées pour qu’elles agissent comme de cellules souches et se différencient en cellules rétiniennes fonctionnellement semblables aux cônes de la fovéa.
Cependant, la plus grande difficulté des thérapies à base de cellules souches est le fait de ne pas pouvoir s’assurer qu’une fois différenciées in vitro, elles se comportent correctement après implantation chez un patient. En 2017, des patients ont en effet été victimes d’essais cliniques mal contrôlés, où des cellules-souches adipeuses ont été directement injectées dans leurs yeux le jour même après les prélèvements. Les résultats ont été désastreux, car une fois injectées, les cellules souches s’étaient différenciées en myofibroblastes, provoquant un décollement rétinien et une grave hémorragie intraoculaire chez trois patientes.
Dans la nouvelle étude de l’Université du Wisconsin-Madison, plus de dix années ont été consacrées à établir le bon protocole en laboratoire, afin de s’assurer que les cellules souches se différencient correctement en organoïdes de cellules rétiniennes. « Nous voulions utiliser les cellules de ces organoïdes comme pièces de rechange pour les mêmes types de cellules qui ont été perdues au cours de maladies rétiniennes », explique dans un communiqué David Gamm , professeur d’ophtalmologie à l’Université du Wisconsin-Madison, directeur du McPherson Eye Research Institute (le laboratoire qui a développé les organoïdes) et co-auteur principal de la nouvelle étude.
Une fois cette étape effectuée, il fallait déterminer si une fois séparées de l’organoïde compact, les cellules se comporteraient correctement et établiraient des connexions entre elles, afin de pouvoir transmettre les signaux lumineux au cerveau. Les cellules rétiniennes communiquent en effet grâce à des connexions synaptiques, un point commun avec les neurones. Il s’agit de minuscules espaces entre chaque axone qui véhiculent des informations sensorielles entre les cellules.
Les cellules issues des organoïdes développés par les chercheurs devaient donc acquérir la capacité de développer correctement les équivalents de ces axones et de ces synapses, sous la forme de petits cordons fonctionnels. « La dernière pièce du puzzle était de voir si les cordons avaient la capacité de se brancher ou de se lier à d’autres types de cellules rétiniennes afin de communiquer », souligne Gamm.
Des connexions synaptiques établies
Selon les résultats reportés dans la revue PNAS, les chercheurs ont utilisé des virus de la rage génétiquement modifiés (et rendus inoffensifs) afin d’identifier les paires de cellules capables de former des connexions synaptiques entre elles. Ils ont préalablement isolé des cellules individuelles des organoïdes compacts, et leur ont donné une semaine pour qu’elles puissent développer des axones.
Grâce au marquage fluorescent des virus, les chercheurs ont pu constater que des connexions ont été établies entre les cellules, car elles ont pu être infectées par le virus (passant par les synapses). De plus, les chercheurs ont également pu confirmer que les cellules ayant formé des synapses et des connexions étaient des photorécepteurs, similaires aux cellules en cônes et bâtonnets de la rétine.
La prochaine étape consistera maintenant à voir comment ces cellules se comportent une fois implantées chez des patients. « Tout cela mène, en fin de compte, à des essais cliniques sur l’homme, qui sont clairement la prochaine étape », estime Gramm. À rappeler que cette étape reste délicate, dans la mesure où il est possible que les cellules se comportent autrement une fois implantées, et qu’elles n’assurent pas les fonctions attendues voire provoquent des effets secondaires graves.