Parmi le bestiaire cosmique actuellement répertorié, les étoiles à neutrons font partie des objets les moins bien compris. Bien qu’activement étudiées, leurs propriétés physiques demeurent peu contraintes du fait de l’absence de données précises concernant leur structure et leur dynamique. Au nombre de celles-ci, la masse représente une propriété dont l’étude est extrêmement importante car elle renseigne directement sur l’évolution de l’étoile. Grâce à l’observation récente de la fusion d’étoiles à neutrons et à la détection des ondes gravitationnelles qui ont accompagné l’événement, des chercheurs sont parvenus à déterminer la masse maximale que peuvent atteindre ces mystérieux objets.
L’astrophysique moderne a dernièrement bénéficié d’un nouvel élan grâce aux différentes détections successives d’ondes gravitationnelles. Ces observations ont permis aux scientifiques de dresser un portrait plus précis des étoiles à neutrons. Résidus extrêmement compacts issus de l’effondrement gravitationnel du cœur d’une étoile massive, les étoiles à neutrons sont des objets dont le diamètre dépasse rarement 20 km et dont la structure et la composition restent encore aujourd’hui mal connues.
Parmi ces inconnues, la question de la masse maximale limite atteignable par une étoile à neutrons avant son effondrement en trou noir est un enjeu majeur pour les chercheurs. Bien qu’une limite théorique ait déjà été calculée par les physiciens J. R. Oppenheimer et G. M. Volkoff, la limite d’Oppenheimer-Volkoff, située entre 1.5 et 3 masses solaires, cette dernière n’a toujours pas été contrainte avec précision. Affiner la précision sur cette valeur permettrait d’améliorer drastiquement les modèles existants. À ce sujet, James Lattimer, astrophysicien nucléaire à l’université d’État de New-York, explique que « de toutes les caractéristiques définissant une étoile à neutrons, la masse et le rayon sont les deux plus importantes ».
Dans une étude publiée dans le journal The Astrophysical Journal Letters, une équipe d’astrophysiciens allemands propose une limite bien plus précise sur la masse maximale des étoiles à neutrons. Pour ce faire, les auteurs ont utilisé les données relatives à la fusion d’étoiles à neutrons binaires du 17 août 2017. L’événement, nommé GW170817, n’a pas échappé aux interféromètres LIGO et Virgo qui ont permis la détection et l’analyse des ondes gravitationnelles émises lors de la fusion. Grâce à ces résultats, les physiciens avaient pu calculer que la masse combinée des deux objets s’élevait à environ 2.74 masses solaires.
Les analyses menées ont montré que le produit de la fusion était une étoile à neutrons massive, en rotation rapide, et temporairement stabilisée par la force centrifuge. À l’issue de la fusion, entre 0.1 et 0.2 masses solaires de matière ont été éjectées sous forme d’éléments radioactifs, c’est-à-dire bien plus que si le résultat de la coalescence avait été directement un trou noir. Le sursaut gamma (GW170817A) ayant suivi l’événement a confirmé aux physiciens que cette étoile à neutrons en rotation s’était ensuite effondrée en trou noir après seulement quelques secondes.
Afin de fixer une limite précise sur la masse maximale, les auteurs ont particulièrement étudié les amplitudes des ondes gravitationnelles générées par l’étoile, provenant de la fusion. Les modèles actuels prédisent que les couches stellaires extérieures tournent tout d’abord plus vite que les couches internes, puis une fraction des couches est expulsée et l’objet ralentit tout en se rigidifiant.
Les scientifiques peuvent ainsi calculer la masse de cette « nouvelle » étoile à neutrons en soustrayant la masse de la matière éjectée aux masses combinées des deux étoiles à neutrons initiales. Le fait que celle-ci n’ait été stable que quelques secondes avant de s’effondrer en trou noir indique que sa masse devait être très proche de la masse limite.
Un tel indice a donc permis aux astrophysiciens de dériver la masse limite d’une étoile à neutrons statique à partir de celle d’une étoile à neutrons en rotation. En effet, les modèles théoriques suggèrent que la masse de la seconde peut excéder celle de la première de 18%. Les auteurs ont ainsi pu déterminer une masse limite comprise entre 2.01 et 2.17 masses solaires. Ces valeurs convergent avec celle de ~2.2 masses solaires calculée précédemment par plusieurs autres équipes. Pour Lattimer, « c’est encourageant que les scientifiques soient tous d’accord ».