Au cours des siècles passés, la mise au point de matériaux de construction solides, tels que les aciers, le béton et les composites à base de pétrole, a connu un grand succès. La plupart d’entre eux s’avèrent cependant trop lourds, trop coûteux et/ou non renouvelables. C’est pourquoi les composites biosourcés sont des alternatives séduisantes, en particulier lorsqu’ils présentent une résistance mécanique élevée. Des chercheurs de l’Université du Maryland sont justement parvenus à obtenir un nouveau matériau solide et léger, dérivé du bambou, qui pourrait devenir le matériau de choix des futurs gratte-ciels.
Les briques, le béton, l’acier sont aujourd’hui les matériaux les plus utilisés dans le secteur de la construction. Or, il se trouve que ces matériaux ne sont pas renouvelables et que leur production génère énormément de gaz à effet de serre. Alors que le monde entier cherche à réduire son empreinte carbone pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C – conformément au rapport spécial du GIEC approuvé en 2018 – il est urgent de trouver des alternatives pour les constructions de demain. Dans ce contexte, une équipe de scientifiques américains propose un nouveau matériau plus écologique et doté de propriétés mécaniques exceptionnelles.
La construction : un secteur hautement polluant
Le béton est partout. Après l’eau, c’est en matière de volume, la deuxième matière la plus consommée par l’Homme. Sa production représente environ 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En outre, son impact environnemental est particulièrement élevé : l’extraction du sable et du gravier (nécessaires à sa fabrication) entraîne la disparition des plages, des phénomènes d’érosion, la pollution des écosystèmes et une diminution de la biodiversité.
Le bambou, quant à lui, est un matériau renouvelable, qui est déjà utilisé dans le secteur de la construction de nombreux pays asiatiques. Cependant, il n’est pas assez solide dans sa forme naturelle pour qu’il soit envisageable de l’utiliser pour des constructions plus conséquentes, de type gratte-ciel. Une équipe de chercheurs de l’Université du Maryland, menée par Liangbing Hu, s’est toutefois intéressée à ce végétal à haut potentiel, en étudiant des moyens de lui conférer plus de solidité.
Pour ce faire, ils ont tout d’abord appliqué un traitement chimique au bambou pour éliminer la majorité de la lignine qui le constitue. La lignine est l’un des principaux composants du bois, avec la cellulose. Elle se trouve également dans les plantes vasculaires, ligneuses et herbacées. Il s’agit d’une macromolécule qui confère à la plante une rigidité, une imperméabilité à l’eau et une grande résistance à la décomposition. À savoir que la délignification est la technologie de base de l’industrie papetière. Ici, la délignification partielle est une étape essentielle, car elle permet de ramollir les parois cellulaires du bambou et d’exposer plus de nanofibres de cellulose.
L’étape suivante consiste à chauffer le bambou par micro-ondes. Le chauffage par micro-ondes, rapide et uniforme, permet d’éliminer l’eau du bambou, sans toutefois détruire son intégrité structurelle (même si le volume diminue de près de 29% après chauffage). En outre, le processus permet de regrouper les fibres de cellulose en couches denses, ce qui favorise la formation de liaisons chimiques fortes (des liaisons hydrogène), qui améliorent la résistance du bambou.
Un matériau naturel, léger et très solide
Des expérimentations similaires avaient déjà été conduites par quelques équipes de chercheurs, dont celle de Hu, à partir du bois. Toutefois, le bambou présente un grand avantage par rapport au bois : il peut être produit à grande échelle car il croît très rapidement (jusqu’à un mètre par jour chez certaines espèces !), et il résiste très bien aux conditions extrêmes (sécheresse et gelées).
Le « bambou modifié » qui résulte de ce traitement présente des propriétés mécaniques exceptionnelles : une résistance à la traction et à la flexion presque deux fois plus élevée que le bambou naturel. La résistance à la traction atteint les 560 MPa cm3/g, une valeur impressionnante étant donné la faible densité du matériau (1,0 g/cm3). C’est six fois supérieur à la résistance de l’acier à poids égal ! En outre, il supporte un peu plus de compression que le béton et les briques et ne se dégrade pas à l’air libre. Aucun des matériaux de construction courants (tels que les aciers, les alliages métalliques et les composites à base de pétrole) n’affiche de telles performances.
Ses excellentes propriétés mécaniques, combinées à ses caractéristiques renouvelables et durables, ainsi qu’au processus de fabrication rapide et évolutif, rendent ce matériau particulièrement intéressant pour des applications d’ingénierie légères et économes en énergie. D’autant plus que la matière première est particulièrement abondante : selon une estimation de l’Organisation internationale sur le bambou et le rotin datant de 2005, les forêts de bambous couvrent environ 37 millions d’hectares dans le monde (soit 3,2% de la surface totale des forêts), dont 23,6 en Asie, 2,8 en Afrique et 10,4 en Amérique latine.
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Ce dérivé de bambou ouvre ainsi la voie à des ouvrages plus respectueux de l’environnement, et plus performants. « Ces propriétés rendent le matériau approprié pour construire des gratte-ciels qui seraient légers, mais resteraient stables en étant fermement fixés au sol », explique Hu. « Il pourrait également être utilisé pour fabriquer des voitures électriques plus légères, qui pourraient ainsi fonctionner avec des batteries plus grandes pour voyager plus loin, ou des avions plus légers qui nécessiteraient moins de carburant pour les propulser ». Pour appuyer leurs dires, Hu et ses collègues vont à présent tester leur dérivé de bambou sur le terrain, dans des projets de constructions réels.