En s’appuyant sur des principes de mécanique quantique, des physiciens sont pour la première fois parvenus à diviser temporairement des phonons, les plus petits constituants des ondes sonores — que l’on croyait jusqu’ici impossibles à « scinder ». Leur similitude avec les photons (particules de lumière) suggère des applications potentielles dans la conception d’ordinateurs quantiques dotés d’un tout nouveau genre de capacité de calcul.
En physique, le phonon désigne un quantum de vibration sonore, le plus petit constituant d’une onde sonore. Les phonons ne peuvent exister que dans un matériau cristallin, c’est-à-dire que contrairement aux photons, qui peuvent se mouvoir dans le vide, ils ont besoin de milieux tels que l’air ou l’eau pour pouvoir se déplacer, ou de la surface d’un matériau élastique. Si baisser l’intensité d’une source lumineuse équivaut à réduire le nombre de photons, diminuer le volume d’un son revient à réduire le nombre de phonons.
Bien qu’individuellement, le phonon représente le mouvement collectif de plusieurs milliards d’atomes, il ne transporte qu’une très petite quantité d’énergie. En mécanique quantique, il est caractérisé par une dualité onde-corpuscule (à l’instar de la lumière), en se manifestant soit telle une onde, soit tel un « paquet élémentaire ». Si l’on peut généralement diviser la matière en plusieurs particules subatomiques telles que les protons et les électrons, il était jusqu’à ce jour considéré comme impossible de diviser les phonons.
Une nouvelle étude présentée dans la revue Science suggère cependant qu’un phonon peut être temporairement scindé par le biais d’un effet quantique particulier. À l’instar de la lumière, le principe de divisibilité quantique pourrait entre autres s’appliquer au son ou aux vibrations. « Personne n’avait vraiment exploré cela », indique le physicien de l’Université de Chicago et coauteur principal de l’étude Andrew Cleland. Avec ses collègues, il estime que ces recherches pourraient potentiellement découler sur le développement de nouvelles architectures quantiques destinées à l’informatique qui soient plus ou moins similaires à celles conçues actuellement en exploitant les photons.
Une séparation pouvant servir de base aux « portes » quantiques
L’expérience de la nouvelle étude consiste à exploiter les effets d’un séparateur de faisceau quantique sur les phonons. Il s’agit d’un dispositif permettant de recevoir un « flux » de phonons incidents dont la moitié est réfléchie une fois en contact avec le séparateur phononique. Le même principe est appliqué lorsque le système réceptionne un phonon unique, qui entre alors dans un état quantique au cours duquel il se déplace dans deux sens différents. Le phonon réfléchi puis transmis interagit avec lui-même selon un processus d’interférence, et peut se déplacer de sa position d’origine.
Les effets du dispositif ont été observés sur un son dont la fréquence est plusieurs millions de fois plus élevée que celle audible par l’homme. L’ensemble a été soumis à des températures proches du zéro absolu. Ce refroidissement est nécessaire, car lorsqu’un réseau cristallin se retrouve dans un milieu dont les températures sont supérieures à zéro, son énergie n’est pas constante et fluctue de manière aléatoire autour d’une valeur moyenne. Cette fluctuation est due à des vibrations aléatoires des atomes engendrées par la chaleur.
De plus, des qubits supraconducteurs (transportant l’information quantique) ont été utilisés à la place de haut-parleurs et de microphones émettant et réceptionnant respectivement le son. Les paramètres de déplacement du son ont ensuite été ajustés de sorte à modifier la façon dont les phonons transmis et réfléchis interagissent entre eux. Ces manipulations ont permis aux chercheurs de faire en sorte que le phonon émis soit réceptionné soit par son qubit d’origine soit par celui se trouvant de l’autre côté du séparateur de faisceau phononique, après avoir été en contact avec celui-ci.
Dans un deuxième temps, les chercheurs ont confirmé ce comportement quantique des phonons en les envoyant simultanément vers deux qubits. Plus précisément, les phonons ont été dirigés de sorte à se déplacer vers le séparateur de faisceau exactement au même moment, puis vers leurs destinations. Ainsi, ils sont toujours censés se déplacer de manière imprévisible vers les qubits, mais se retrouvent toujours au même qubit en frappant simultanément le séparateur de faisceau.
Si l’on considérait le déplacement des phonons sans les lois de la physique quantique, il n’y aurait aucune corrélation entre les zones où ils atterrissent après avoir frappé le séparateur de faisceau. Cet effet de séparation pourrait potentiellement servir de base à la construction de « portes quantiques », les blocs de base constituant les circuits en informatique quantique. « La prochaine étape logique de cette expérience est de démontrer que nous pouvons créer une porte quantique avec des phonons. Ce serait la première porte dans l’assemblage dont vous avez besoin pour effectuer un calcul réel », conclut Cleland.