Après des millénaires de recherche et d’analyse, de dissections et d’imageries diverses selon l’époque, nous serions tentés de croire que l’anatomie humaine n’a plus de secrets pour le corps médical. Et pourtant… Des chercheurs néerlandais viennent de découvrir ce qui pourrait être un ensemble d’organes jusqu’alors non identifiés : des glandes salivaires, tapies dans la zone où la cavité nasale rencontre la gorge.
Ces glandes étaient donc fort bien cachées, puisque cela fait près de trois siècles que l’inventaire des glandes salivaires sous-maxillaires et sublinguales — initié par l’anatomiste Thomas Wharton (1614-1673) — est considéré comme exhaustif. Même aujourd’hui, le corps humain continue de surprendre les scientifiques…
Une structure similaire aux glandes salivaires
Comme leur nom l’indique, les glandes salivaires produisent de la salive, permettant d’humidifier la bouche pour faciliter la parole et la déglutition ; la salive contient par ailleurs des enzymes capables de dégrader les aliments et favoriser ainsi une bonne digestion. Jusqu’à présent, les ouvrages d’anatomie moderne ne distinguaient que trois principaux types de glandes salivaires dans la cavité buccale :
- les glandes parotides, les plus grosses, situées près des oreilles, juste derrière l’angle de la mâchoire ;
- les glandes sublinguales, situées sous la langue ;
- les glandes sous-maxillaires, situées sous la mâchoire.
Aujourd’hui, un quatrième type pourrait s’ajouter à la liste, selon le Dr Matthijs Valstar, chirurgien et chercheur au Netherlands Cancer Institute, et auteur principal de l’étude rapportant cette découverte. Celle-ci a quelque peu secoué le monde médical. La Dr Yvonne Mowrey, radio-oncologue à l’université Duke, a ainsi déclaré qu’elle était assez choquée du fait qu’en 2020, il est encore possible d’identifier une nouvelle structure dans le corps humain.
Comment Valstar et son équipe, qui travaillent habituellement sur le cancer de la prostate, ont-ils fait cette découverte ? Ils ont simplement parcouru les scans d’une centaine de patients, puis ont remarqué deux structures inconnues au centre du crâne : deux glandes plates et fines, de quatre centimètres de long en moyenne, dissimulées dans les canaux qui relient les oreilles à la gorge. La vidéo suivante montre où se situe exactement cette paire de glandes nouvellement découvertes (Crédits : YouTube/Antoni Van Leeuwenhoek) :
Intrigués, ils ont finalement disséqué les tissus de deux cadavres pour examiner ces glandes de plus près. Il s’avère qu’elles présentaient des similitudes avec les glandes salivaires sublinguales. En outre, elles étaient reliées à de grands conduits de drainage, preuve qu’elles sont capables de canaliser un fluide d’un endroit à l’autre. Les chercheurs ont proposé de nommer ces glandes nouvellement identifiées les « glandes tubaires ».
Pourquoi ces organes ont-ils échappé aux anatomistes jusqu’alors ? Le Dr Wouter Vogel, radio-oncologue au Netherlands Cancer Institute et co-auteur de l’étude explique que leur emplacement est peu accessible et que seule une imagerie très sensible peut permettre leur détection. En outre, contrairement aux autres glandes salivaires qui se situent plus près de la surface de la peau, ces glandes situées à la base du crâne ne peuvent être facilement atteintes par les instruments médicaux habituels.
Une découverte qui peut améliorer la qualité de vie des patients sous radiothérapie
Ces structures salivaires sont particulièrement importantes pour les chercheurs et médecins spécialisés en oncologie. Les glandes salivaires produisent quotidiennement 500 à 1200 mL de salive, indispensable au bon fonctionnement de notre organisme. Outre son rôle de lubrifiant, la salive transporte les molécules responsables de la saveur des aliments vers les cellules réceptrices et possède certaines propriétés antiseptiques qui accélèrent la cicatrisation. Les glandes salivaires sont donc des organes essentiels.
Par conséquent, les médecins prennent de nombreuses précautions pour éviter de les endommager lors d’une séance de radiothérapie, qui pourrait, par une toute petite erreur d’orientation, compromettre définitivement ces tissus délicats. Or, la découverte de ces nouvelles glandes pourrait justement expliquer pourquoi les patients subissant une radiothérapie pour un cancer situé au niveau de la tête ou du cou présentent souvent une sécheresse chronique de la bouche et des problèmes de déglutition. Parce qu’elles n’étaient pas connues des médecins, aucune précaution n’a jamais été prise pour préserver ces glandes lors de ces traitements !
Le Dr Alvand Hassankhani, radiologue à l’université de Pennsylvanie, est quant à lui sceptique concernant cette découverte, déclarant qu’il hésitait à qualifier ces structures de « nouveaux organes ». En effet, en plus des trois grandes paires de glandes salivaires connues, il existe environ 1000 glandes salivaires mineures disséminées sur la muqueuse de la bouche et de la gorge. Elles sont plus petites, donc plus difficiles à trouver par imagerie. Par conséquent, Hassankhani estime possible que les chercheurs néerlandais viennent tout simplement de trouver une meilleure façon d’observer un ensemble de glandes mineures jusqu’à présent sous-estimées.
La Dr Valerie Fitzhugh, pathologiste à l’université Rutgers, qui n’était pas impliquée dans la recherche, souligne par ailleurs que l’étude réalisée portait sur un nombre très restreint d’individus, dont les profils étaient peu diversifiés : le groupe examiné par les chercheurs était en effet entièrement constitué de personnes atteintes d’un cancer de la prostate ou de la glande urétrale ; il ne comprenait en outre qu’une seule femme sur cent sujets. Pour autant, la piste lui semble intéressante et si elle se confirme, cela pourrait véritablement changer la façon dont doivent être pris en charge les cancers et autres pathologies dans cette région de l’organisme.
Davantage de données cliniques seront donc nécessaires pour confirmer l’existence de cette potentielle nouvelle paire de glandes salivaires. Une tâche qui ne devrait pas être si ardue selon Fitzhugh, car maintenant qu’elles ont été repérées, il devrait être plus facile de les observer même avec des techniques d’imagerie plus traditionnelles.