Plus de 1000 tonnes de particules de plastique – soit le poids de 120 à 300 millions de bouteilles d’eau en plastique – se déposent chaque année sur les espaces sauvages protégés du sud et de l’ouest des États-Unis, et il en va de même (des centaines de tonnes) en Europe. Portées par le vent, elles peuvent en effet parcourir le monde et se retrouver dans des zones en théorie préservées de toute pollution.
Conçus pour être résistants et durables, les plastiques ne se dégradent pas ; ils persistent dans la nature et finissent par se décomposer, lentement, en minuscules morceaux aussi petits que des grains de sable. Ils s’accumulent dans les eaux douces et les océans, mais également dans l’atmosphère : le vent et les intempéries les font voyager à travers le globe. Une équipe de chercheurs s’est intéressée au « voyage » de ces microplastiques, notamment pour analyser l’impact des conditions atmosphériques dans leur cycle de vie. Leur conclusion est sans appel : aucun endroit n’est à l’abri de cette pollution plastique.
Les vêtements, première source de microplastiques
Les experts prévoient que 11 milliards de tonnes de plastique s’accumuleront dans l’environnement d’ici 2025. Ces plastiques qui se retrouvent dans la nature se fragmentent en morceaux si petits et légers qu’ils peuvent être transportés par le vent. La plupart de ces particules proviennent de microfibres synthétiques utilisées pour fabriquer des vêtements.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Pour étudier les déplacements de ces particules de plastique, les chercheurs ont passé plusieurs mois à collecter des échantillons dans 11 parcs nationaux et zones sauvages de l’ouest des États-Unis. À l’aide de données spatiales et temporelles, ils ont notamment comparé les cycles de vie atmosphériques des plastiques déposés dans des conditions humides et ceux déposés dans des conditions sèches. Leurs résultats, particulièrement alarmants, ont fait l’objet d’une publication dans la revue Science.
Au total, ce sont en moyenne 132 plastiques par mètre carré et par jour, soit plus de 1000 tonnes de microplastiques, qui sont disséminées chaque année dans les parcs nationaux et autres zones protégées de l’ouest des États-Unis. Un constat qui amplifie l’inquiétude des scientifiques quant à l’impact de ces particules sur notre santé : « Nous ne sommes pas censés respirer ces matériaux », avertit Steve Allen, chercheur à l’Université de Strathclyde (Écosse), qui n’a pas participé à cette étude, mais qui lui aussi s’intéresse de près au sujet. Il précise que ces plastiques contiennent toutes sortes de pesticides, de métaux lourds et autres substances chimiques produites par l’Homme, qui vont forcément atterrir dans nos poumons.
Car aujourd’hui, ces particules sont malheureusement partout : non seulement dans les océans, mais aussi dans les neiges de l’Arctique ou dans les zones les plus reculées du monde. Même si les microplastiques sont moins nombreux dans l’Arctique (de 0 à 14,4 x 103 particules par litre) que dans la neige prélevée dans les alpes suisses et en Bavière (de 0,19 x 103 à 154 x 103 particules par litre), ils sont tout de même présents en quantité substantielle. La composition des polymères varie fortement, mais globalement, le vernis, le caoutchouc, le polyéthylène et le polyamide dominent.
En outre, la plupart des particules identifiées se trouvaient dans la plus petite plage de tailles, suggérant qu’un grand nombre se situe certainement en dessous de la limite de détection de 11 μm. Ces substances ayant été repérées même dans des endroits éloignés de toute civilisation, tout indique qu’elles sont transportées par le vent. Mais peu d’études s’étaient jusqu’à présent penchées sur la question.
À l’origine, Janice Brahney, chercheuse à l’Université d’État de l’Utah et auteure principale de cette nouvelle étude, souhaitait comprendre comment les nutriments étaient transportés par la poussière. Mais surprise : en regardant des échantillons au microscope, elle a constaté que plusieurs particules de couleur se trouvaient parmi les grains de poussière, ce qui a titillé sa curiosité.
Des microparticules que l’on finit par inhaler
Après avoir recueilli deux seaux de « poussières » tombées du ciel – l’un dédié aux conditions climatiques humides, l’autre destiné à la matière recueillie par temps sec – l’équipe a compté puis examiné les particules de plastique qui s’y trouvaient, par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier. Au total, 4% des particules atmosphériques analysées étaient des polymères synthétiques. Ils ont pu constater que les particules et les fibres capturées avaient des origines très diverses : moquettes, peintures, produits cosmétiques, matériel de camping, etc. Mais la plus grande part de ces particules provenaient de vêtements : en effet, ces derniers perdent un peu de leurs microfibres chaque fois qu’ils sont portés, lavés et séchés.
En analysant les conditions météorologiques et l’accumulation des poussières dans les zones sauvages, Brahney et son équipe sont parvenus à mieux comprendre le « cycle du plastique ». Sans trop de surprises, les zones urbaines contribuent largement au phénomène : les microplastiques tombés au sol lors des tempêtes avaient tendance à être plus gros et survenaient lorsque des vents provenaient de régions peuplées. Plus précisément, les plastiques associés aux dépôts humides provenaient de villes proches, les fragments les plus gros tombant au sol près de l’endroit d’où ils étaient émis. Les sources secondaires comprenaient la redistribution des microplastiques réentraînés à partir des sols ou des eaux de surface.
Sur le même sujet : Pollution plastique : une tortue retrouvée morte après l’ingestion d’une centaine de morceaux de plastique
En revanche, les microplastiques tombés par temps sec étaient plus petits, mais aussi plus nombreux. Ils correspondaient également à des courants d’air plus élevés dans l’atmosphère, suggérant que ces plastiques avaient parcouru de longues distances. « Nos données montrent que le cycle du plastique rappelle le cycle global de l’eau, avec des durées de vie atmosphérique, océanique et terrestre », déclare Brahney.
Cette étude vient corroborer et compléter plusieurs publications antérieures sur le sujet, notamment celle menée par Steve Allen et son épouse, publiée l’année dernière dans Nature Geoscience. « La séparation des microplastiques secs et humides représente une avancée importante vers la compréhension de la façon dont les conditions atmosphériques affectent les trajectoires de vol de ces particules », souligne Deonie Allen. Il y a un an, tous deux, épaulés par leurs collaborateurs, avaient tenté de mesurer pour la première fois la quantité de plastique tombant de l’atmosphère.
Brahney et son équipe prévoient à présent de mener de nouvelles recherches pour comprendre par quels moyens les microplastiques pénètrent dans l’atmosphère. En attendant, ces premiers résultats soulignent une nouvelle fois l’importance de réduire la pollution causée par ces matériaux pour préserver non seulement l’environnement, mais aussi la santé humaine. « Cette omniprésence de microplastiques dans l’atmosphère et le dépôt subséquent dans des environnements terrestres et aquatiques reculés soulèvent des préoccupations écologiques et sociétales généralisées », avertit Brahney.
Le monde a produit 348 millions de tonnes de plastique en 2017, dont près de 65 millions en Europe ; si aucune mesure n’est prise pour les limiter, les déchets plastiques mal gérés pourraient tripler, passant de 60-99 millions de tonnes en 2015 à 155-265 millions de tonnes d’ici 2060.