Une étude suggère que Miranda, une des lunes d’Uranus, pourrait abriter un océan liquide sous sa surface. Cela expliquerait notamment les étranges formations géologiques en forme de stries et de crêtes observées sur les images transmises par Voyager 2 lors de son survol en 1986. Ces résultats contredisent les précédentes hypothèses sur sa formation et sa composition et la classeraient parmi les environnements potentiellement propices à la vie dans notre système solaire.
Située à 2,7 milliards de kilomètres de la Terre, Miranda, la plus interne des cinq lunes d’Uranus, se distingue par son étrange géologie de surface. Les images capturées par Voyager 2 lors de son survol en janvier 1986 indiquent la présence d’un tectonisme étendu au niveau de son hémisphère sud. Cela inclut des crêtes concentriques, des escarpements rugueux, ainsi que de gigantesques systèmes de failles s’étendant sur tout l’hémisphère. Ces reliefs suggèrent une activité géologique relativement récente qui ne concorde pas avec l’hypothèse conventionnelle concernant son évolution.
Les chercheurs suggèrent que ces structures résultent des forçages de marée (des forces gravitationnelles engendrées par l’interaction orbitale entre les autres lunes et la planète mère), qui provoquent un réchauffement interne. Or, toute chaleur résiduelle de ce type est censée s’être dissipée depuis longtemps en raison de la désynchronisation des trajectoires orbitales des lunes d’Uranus. En outre, étant donné sa petite taille, son âge avancé et sa distance par rapport au Soleil, il est largement accepté que Miranda est entièrement gelée.
De nouvelles simulations effectuées par une équipe de l’Université Johns Hopkins et de l’Université du Dakota du Nord (UND) suggèrent que ces formations géologiques sont dues à la présence d’un océan liquide sous sa surface. « Découvrir la preuve de l’existence d’un océan à l’intérieur d’un petit objet comme Miranda est incroyablement surprenant », explique dans un communiqué du laboratoire de physique appliquée Johns Hopkins, Tom Nordheim, coauteur de l’étude. « Cela permet de renforcer l’idée selon laquelle certaines de ces lunes d’Uranus pourraient être très intéressantes – qu’il pourrait y avoir plusieurs mondes océaniques autour de l’une des planètes les plus éloignées de notre système solaire, ce qui est à la fois passionnant et étrange », ajoute-t-il.
Un océan interne de 100 km de profondeur il y a 100-500 millions d’années
Afin d’expliquer la géologie énigmatique de Miranda, l’équipe de la nouvelle étude a effectué une rétroingénierie des reliefs observés sur les images de Voyager 2. Cela consiste à effectuer des simulations visant à découvrir quels processus internes pourraient donner lieu à ces formations en réponse aux forçages des marées. Plus précisément, après avoir cartographié les différentes caractéristiques de surface du satellite naturel, les chercheurs ont développé un modèle informatique testant les structures internes susceptibles d’y correspondre. « Cette recherche nous aide à comprendre les conditions requises pour qu’une lune glacée devienne un monde océanique, ce qui est pertinent pour évaluer l’habitabilité des satellites glacés du système solaire externe », explique Caleb Strom de l’UND, auteur principal de l’étude — détaillée dans la revue Planetary Science Journal.
Les simulations ont montré que pour que ces reliefs puissent se former, un vaste océan aurait dû être présent sous la surface gelée de Miranda il y a 100 à 500 millions d’années. Cet océan aurait eu une profondeur d’au moins 100 kilomètres et aurait été emprisonné sous une couche de glace de 30 kilomètres — ce qui est surprenant pour un objet dont le rayon ne fait que 235 kilomètres.
Les forçages de marée entre Miranda et les autres lunes d’Uranus seraient à l’origine de la formation de cet océan. Ces interactions gravitationnelles régulières auraient été amplifiées par les résonances orbitales, des processus au cours desquels la période orbitale d’une lune autour de sa planète mère correspond à un nombre entier exact de celle d’une autre. Io et Europe, des lunes de Jupiter, ont par exemple une résonance de 2 :1, ce qui signifie que pour deux orbites d’Io autour de Jupiter, Europe en effectue une. Cela a conduit à des forçages de marée contribuant à maintenir un océan liquide sous la surface d’Europe.
Il y a des centaines de millions d’années, les forçages de marée amplifiés auraient déformé les satellites d’Uranus comme des balles en caoutchouc, ce qui a entraîné des forces de frottement générant suffisamment de chaleur pour maintenir un océan liquide interne au sein de Miranda. Cela aurait généré des contraintes mécaniques, formant les plis et les fissures de la surface.
Un océan liquide résiduel subsistant jusqu’à aujourd’hui ?
Cependant, les orbites des satellites naturels d’Uranus se seraient à un moment donné désynchronisées, ce qui aurait réduit la résonnance orbitale et, par extension, le forçage de marée. En conséquence, l’intérieur de Miranda s’est refroidi et s’est solidifié au fil du temps. Toutefois, les chercheurs estiment que cet intérieur n’est pas encore entièrement solidifié et qu’un océan liquide souterrain pourrait encore y subsister.
En effet, si l’intérieur de la lune était entièrement gelé, cela aurait provoqué une dilatation (l’eau solide ayant un volume supérieur à celui de l’eau liquide) qui aurait généré davantage de fissures à la surface, ce qui n’est pas le cas d’après les images de Voyager 2. Bien que cet océan interne résiduel soit probablement relativement mince à ce jour, « l’idée d’un océan à l’intérieur de l’une des lunes les plus éloignées du système solaire est intéressante », indique Strom.
Ces résultats soulignent que les prédictions initiales concernant les lunes de glace des géantes gazeuses peuvent parfois être erronées. À noter que cela s’est précédemment déjà produit avec Encelade, l’une des lunes de Saturne, dont la présence d’un océan liquide souterrain n’a été confirmée qu’après le survol de la sonde Cassini, en 2004. Le satellite figure désormais parmi les cibles de prédilection pour la recherche de vie extraterrestre. Miranda pourrait aussi figurer parmi ces cibles, étant donné que sa taille et sa composition sont comparables à celles d’Encelade. Toutefois, davantage de données sont nécessaires avant de pouvoir confirmer définitivement qu’elle abrite un océan liquide interne.