Des résultats prometteurs obtenus ces dernières années sur des modèles animaux laissent entrevoir la possibilité, plus proche que jamais, d’appliquer l’édition génétique au cerveau humain. Alors que la technique a déjà fait ses preuves dans le traitement de maladies sanguines ou oculaires, les affections cérébrales semblaient, jusqu’à récemment, inaccessibles. Les chercheurs espèrent désormais lancer les premiers essais cliniques dans les prochaines années.
La technique d’édition génétique CRISPR (de l’anglais « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ») permet de corriger directement le génome en ciblant avec précision les mutations responsables de certaines affections héréditaires. En théorie, elle pourrait s’appliquer à l’ensemble de ces maladies. Jusqu’ici, cependant, son usage s’est limité à des pathologies relativement fréquentes, comme la drépanocytose.
L’application de l’édition génétique aux maladies héréditaires rares demeure particulièrement complexe et exige des moyens considérables. Une avancée notable a toutefois été réalisée avec le traitement d’un nourrisson, KJ Muldoon, atteint d’un déficit sévère en carbamoyl phosphate synthétase 1 (CPS-1), une affection extrêmement rare affectant le foie. Cet exploit médical a suscité autant d’espoir que de frustration, notamment parmi les familles touchées par des maladies génétiques du cerveau.
« La question que j’entends le plus souvent est : “on a pu agir si vite pour lui. Pourquoi faut-il tant de temps pour nous ?” », rapporte Monica Coenraads, fondatrice et directrice générale du Rett Syndrome Research Trust, basé à Trumbull (Connecticut), dans un article publié dans la revue Nature.
Malgré les obstacles persistants, les avancées dans l’application de CRISPR au cerveau sont significatives. « Les données n’ont jamais été aussi solides. Ce n’est plus de la science-fiction, mais de plus en plus une réalité », souligne l’experte.
Des résultats prometteurs sur les souris
Au début du mois, des chercheurs ont annoncé avoir corrigé la mutation responsable de l’hémiplégie alternante de l’enfant (HAE), une affection neurologique provoquant convulsions, troubles de l’apprentissage et épisodes de paralysie partielle, dont les symptômes apparaissent généralement avant l’âge de 18 mois. Pour corriger cette mutation, ils ont eu recours à une technique dérivée de CRISPR, dite « prime editing ».
Contrairement au CRISPR-Cas9, qui coupe les deux brins de l’ADN, le « prime editing » ne cible qu’un seul brin, ce qui réduit le risque d’erreurs d’édition. Chez la souris, la mutation a été corrigée dans environ la moitié du cortex cérébral, ce qui a amélioré les capacités cognitives et le contrôle moteur, tout en réduisant la fréquence des crises d’épilepsie et a augmenté l’espérance de vie des animaux.
Une autre équipe a ciblé le gène MEF2C grâce à l’édition de base, une approche d’une extrême précision qui permet de corriger une seule base – une « lettre » de l’ADN. Chez l’humain, une mutation de ce gène entraîne épilepsie, déficience intellectuelle et capacités verbales limitées ; chez la souris, elle provoque des troubles comportementaux. L’édition de base a permis d’inverser ces anomalies chez l’animal et d’améliorer les connexions synaptiques.
Parallèlement, des travaux portent sur des thérapies CRISPR visant les mutations du gène MECP2, impliqué dans le syndrome de Rett, une encéphalopathie neuro-développementale touchant principalement les filles. Selon Nature, la précision de l’édition est ici cruciale : l’ajout d’une copie normale supplémentaire du gène, comme dans une thérapie génique classique, risquerait de provoquer une surproduction de la protéine correspondante, dont des concentrations excessives peuvent être toxiques.
Les premiers essais cliniques d’ici 5 ans ?
La transition entre résultats obtenus chez l’animal et essais cliniques chez l’humain demeure longue et difficile, en raison de contraintes techniques et financières. L’un des principaux défis concerne l’administration des thérapies au cerveau.
Les particules lipidiques utilisées pour traiter KJ Muldoon ne sont pas adaptées à cet organe. Des chercheurs envisagent donc d’utiliser des virus modifiés, tel le virus adéno-associé 9 (AAV9), capable de traverser la barrière hémato-encéphalique et d’infecter les cellules cérébrales. Mais l’AAV9 n’est pas exempt de risques : dans certains essais à forte dose, notamment chez des enfants atteints d’amyotrophie spinale, des réponses immunitaires graves et parfois fatales ont été observées.
Des travaux visent à améliorer ces vecteurs viraux, afin de pouvoir les employer à plus faible dose. En parallèle, l’organisation dirigée par Monica Coenraads finance la recherche de méthodes d’administration sans recours à des virus. Mais le secteur de la biotechnologie traverse une crise financière majeure aux États-Unis : le gouvernement a procédé à des réductions budgétaires et à des suppressions de postes, notamment au sein du NIH, tandis que les investisseurs se détournent progressivement des thérapies géniques, jugées trop coûteuses et à horizon de rentabilité trop lointain.
« Les capitaux se tarissent », déplore Monica Coenraads. « Les choses évoluent souvent par cycles », ajoute-t-elle. Les chercheurs espèrent néanmoins lancer, d’ici environ cinq ans, les premiers essais cliniques d’édition de base pour le syndrome de Rett. Des essais similaires pour l’HAE devraient voir le jour dans le même horizon. « Pour l’instant, il faut rester prudents et continuer à produire des données solides », conclut l’experte.